Le 7 janvier 2015, deux terroristes font irruption dans les bureaux du journal satirique français Charlie Hebdo. Douze personnes seront tuées, dont huit membres de la rédaction. Un autre attentat visera un supermarché casher. Mais dix ans après, sommes-nous toujours Charlie ? Et si le mouvement de solidarité en appui à la liberté d’expression ne s’était pas un peu éteint sous la pression du fondamentalisme religieux et du wokisme ? Quelques réflexions sur une affaire toujours d’actualité.

Il est dangereux de publier des caricatures du prophète de l’islam dans les journaux. Parlez-en à ce journal danois, Jyllands-Posten, qui aura l’audace, en 2005, de diffuser des dessins représentant le prophète Mahomet. Cela est considéré comme un sacrilège par les fondamentalistes musulmans de représenter une création divine, qu’elle soit humaine ou animale, par la photographie ou le dessin.

Et cela est encore plus vrai si l’on représente l’ultime tabou : le prophète de la religion musulmane. Résultat : des consulats danois sont attaqués, et les employés du journal sont protégés en permanence par la police. Tout ça pour des dessins. C’est dans cet esprit iconoclaste que Charlie Hebdo publiera, quelque temps après, ses propres caricatures, en plus de reprendre celles du Danemark.

Des gens meurent ou sont menacés en permanence pour avoir commis un blasphème. On pense au réalisateur néerlandais Théo Van Gogh, ou encore à l’auteur Salman Rushdie. Ce dernier survivra à une violente attaque au couteau lors d’une conférence qu’il donnera aux États-Unis. Disons qu’il est risqué de caricaturer le prophète de l’islam. Et la rédaction de Charlie Hebdo l’a payé de sa vie.

La suite, vous la connaissez : un mouvement spontané naîtra de cette tragédie, appelant à un respect absolu de la liberté d’expression. L’esprit Charlie sera défini comme suit : on peut ne pas aimer les caricatures, être mal à l’aise, mais nous sommes pour la liberté de création. Que personne ne doit voir sa vie mise en danger pour des dessins. C’est là où il y a une cassure générationnelle.

Les générations plus âgées sont plus laïques, moins préoccupées par les polémiques religieuses. Elles soutiennent Charlie Hebdo. Elles ne croient généralement pas que la religion devrait avoir des droits particuliers, comme celui de se protéger du blasphème. Mais certains jeunes ne pensent pas comme ça. La pratique religieuse des jeunes est en hausse en France notamment. Pour eux, la liberté d’expression ne peut pas servir de prétexte à « offenser » les croyants.

On se retrouve donc avec des gens qui vont relativiser les attaques terroristes en disant que les caricaturistes ont provoqué leur malheur. Qu’ils savaient que dessiner le prophète n’allait pas être sans conséquences. C’est là où l’esprit Charlie a perdu de sa vigueur au cours des années. Les gens ont peur d’offenser ou d’être offensés. Ajoutons à cela le wokisme, qui rend périlleux le fait de se moquer des questions de genre ou de racisme.

Et vous obtenez un contexte où les humoristes, les artistes, les auteurs ont de plus en plus de mal à mettre le doigt où ça fait mal. Ou tout simplement à faire rire avec des sujets maintenant tabous. On se plaint de nos jours que les humoristes ne sont pas aussi bons qu’avant. Peut-être est-il possible qu’ils aient justement les mains liées ?

Quant à Charlie Hebdo, il faut voir le documentaire de BFMTV pour comprendre à quel point la nouvelle rédaction doit affronter une nouvelle réalité, entre l’indifférence grandissante de la jeunesse et des mesures de sécurité drastiques pour faire son travail. On a ce sentiment d’avoir perdu quelque chose en chemin depuis cette attaque du 7 janvier 2015.

Anthony Tremblay

Originaire de La Baie, au Saguenay–Lac-Saint-Jean, Anthony Tremblay a étudié en politique appliquée à l’Université de Sherbrooke. Curieux de nature et passionné par les enjeux contemporains, il a parcouru le monde, explorant des pays tels que l’Indonésie, la Turquie et la Chine. Ces expériences l’ont marqué et nourrissent aujourd’hui ses réflexions sur la crise du monde moderne, les bouleversements technologiques et l’impact croissant des réseaux sociaux. Fort de son expérience d’enseignement de l’anglais en Chine, Anthony conjugue perspectives locales et internationales dans ses analyses. Il réside actuellement à Sherbrooke, où il partage son quotidien avec ses deux chiens.

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