Anglicisation du Québec : ce qui a changé depuis 1977, année d’adoption de la Charte de la langue française

Au Québec, le combat pour la préservation de notre langue, le français, remonte à la conquête britannique de 1760. Mais des jalons importants ont été franchis durant les années 60 et 70 afin d’en faire la langue d’usage au Québec pour tous. Mais il faut dire que depuis 1977, les choses ont beaucoup changé. Qu’il s’agisse de la culture, des médias, des habitudes chez les jeunes, il y a des choses à dire. Voici quelques réflexions sur le passé, le présent et l’avenir du français au Québec.

Pendant des décennies, durant cette période que l’on appelle aujourd’hui la « survivance », la religion catholique, la famille et la langue française ont été les piliers d’une société traditionnelle, paysanne et qui se mêlait peu au monde des villes. Ces villes étaient plutôt anglophones, étant donné l’importance de la bourgeoisie coloniale anglaise dans le commerce.

On regarde des photos prises il y a un siècle à Sherbrooke, Montréal ou Québec, et l’on peut constater l’omniprésence de l’anglais dans l’affichage. Mais des gens ont commencé à protester contre cette invasion. Il faudra attendre les années 60 pour voir des manifestations en faveur du français, dont la célèbre « McGill français », qui rassemblera des jeunes, des syndicalistes, des travailleurs.

La réponse du gouvernement à cette revendication de franciser McGill fut de créer le réseau de l’Université du Québec. À Montréal, Trois-Rivières, Chicoutimi, Rimouski, ainsi qu’en Outaouais et en Abitibi-Témiscamingue. Les premières lois linguistiques n’ont pas tardé à suivre. C’est à cette époque que l’Union Nationale votera le désormais célèbre « Bill 63 », donnant le libre-choix de la langue d’enseignement à tous, incluant les immigrants. La vaste majorité, surtout des Italiens, se tournera vers l’anglais. C’est ce qui donnera en 1969 lieu à la « bataille de Saint-Léonard ». Les gens en viendront aux affrontements entre les partisans de l’unilinguisme français, et d’autres, en faveur de l’enseignement en anglais, langue majoritaire en Amérique du Nord.

Après la loi 22 de Robert Bourassa, qui impose le français comme seule langue officielle du Québec, mais qui ne changera pas grand-chose à l’état de domination de l’anglais à l’époque, le docteur Camille Laurin, un des pionniers de la psychiatrie au Québec, sera élu député du Parti Québécois en 1976. Il aura la charge d’élaborer une nouvelle loi, qui changera la donne. Cette loi deviendra la loi 101, ou officiellement la « Charte de la langue française ».

La loi fera un scandale monstrueux dans les médias à l’époque. On accuse le Parti Québécois de la pire des ignominies. Les épithètes de « fascistes », de « nazis », « SS » commenceront à se répandre à travers les médias d’Amérique du Nord. Ce qui est un comble, quand l’on connaît l’intérêt de René Lévesque pour la culture juive, lui qui fut l’un des premiers reporters de guerre à entrer dans un camp allemand, celui de Dachau.

Par contre, la loi s’imposera au fil des années comme l’une des plus grandes lois linguistiques dans l’histoire du monde moderne. De nombreux pays se sont inspirés de la loi 101 pour écrire leur propre code visant à standardiser l’usage de leur langue nationale. On peut penser aux Catalans, qui reprirent des éléments de la Charte pour protéger leur langue.

Mais cette loi a une particularité : elle impose le français comme langue commune pour tous dans les écoles du Québec. Il y a la possibilité pour un élève d’étudier en anglais, mais il doit avoir un « droit acquis ». Un de ses parents doit avoir étudié en anglais dans une école au Canada. Ce qui fait que la majorité des enfants d’immigrants sont de nos jours considérés comme des « enfants de la loi 101 ».

Le néo-Québécois, et enfant de la loi 101, Akos Verboczy parle de son parcours particulier dans une école multiethnique de Montréal, où l’enseignement se fait en français. Dans Rhapsodie québécoise, livre publié chez Boréal en 2016, il montre les difficultés qu’ont les enseignants, des Québécois francophones, de faire apprécier leur culture à des enfants dont les parents viennent d’ailleurs. On a mal pour ces enseignants quand on voit que la culture québécoise est raillée par les élèves, qui voient dans notre culture une relique du passé, quelque chose d’imposé et de déshonorant.

C’est là où on veut en venir. Le Québec a bien changé depuis 1977, année de la Charte. Depuis, les moyens de communication se sont énormément développés. Les enfants de la loi 101, comme Ruba Ghazal qui en parle à l’occasion dans des entrevues, affirment qu’ils écoutaient Passe-Partout comme tous les autres petits Québécois à l’époque. Maintenant, avec la multiplication des plateformes de streaming, et le déclin de la télé québécoise, il y a comme une cassure entre le « monde d’avant » et le monde actuel, prémisse du futur.

Les jeunes Québécois de nos jours ne se rassemblent plus devant un rendez-vous télévisuel commun. À mon époque, il y avait Dans une galaxie près de chez vous et Radio Enfer qui fédéraient les jeunes de ma génération. Des émissions en français, avec des références québécoises. De même, on regardait avec nos parents des émissions comme La petite vie ou Les Bougons. Mais de nos jours, que reste-t-il?

La télé est devenue marginale chez les jeunes. Une étude à déterminé que la chaîne Noovo attirait le plus « jeune » public, à … 50 ans. Pour TVA et Radio-Canada, c’est encore pire. On parle de 56 et 57 ans. La musique aussi est digne de mention. À l’époque, Musique Plus diffusait énormément d’artistes québécois émergents, et attiraient un public jeune. Maintenant, avec les Spotify et YouTube de ce monde, la musique s’écoute surtout en anglais parmi la jeunesse québécoise.

Pour les enfants d’immigrants, le français à l’école primaire et secondaire est parfois vécu comme un fardeau inutile, imposé par des gens passéistes qui veulent défendre une culture « raciste ». Ce qui donne le résultat que l’on connaît aujourd’hui avec la popularité des Cégeps et Universités anglophones. Dawson est le plus grand Cégep au Québec, et attire un nombre toujours plus grand de Néo-Québécois, et même des Québécois de souche.

L’anglais est vu comme la porte d’entrée vers la mobilité sociale. L’ascenseur social, qui tire en ce moment de la patte, est une priorité pour plusieurs étudiants ambitieux. Et pourtant. Une bonne maîtrise du français permet une progression de sa carrière. Il vaut mieux bien parler le français que de le maîtriser à moitié. Plusieurs jeunes francophones et allophones ont désormais du mal à entretenir une conversation soutenue en français, sans avoir recours à ce qu’on appelle le « franglais ».

Il faut prendre cela comme une expérience sociale, mais dans un vox pop culte de Guy Nantel, il questionne des étudiants sur le terrain d’un Cégep anglophone. Le résultat est, disons pour le mieux catastrophique. Une étudiante ne se souvient même plus du mot « trombone » en français, qu’elle connaît seulement par son nom anglais « paperclip ». D’autres sont incapables de reconnaître des figures connues du Québec. Et pourtant, ils vivent dans la même société que vous et moi. Mais pas dans le même monde si l’on peut dire.

Oui, le français souffre par la multiplication des plateformes de streaming. YouTube et Spotify vont systématiquement favoriser le contenu en anglais, même si l’on veut écouter des productions québécoises. C’est dommage, car Internet peut paradoxalement contribuer à la sauvegarde des langues minoritaires. Cela peut paraître contre-intuitif, mais Google par exemple prend en charge la traduction pour des langues telles que le breton, le balinais.

Ce qu’il faut pour le Québec, c’est d’investir massivement dans l’offre culturelle destinée aux jeunes. La Corée du Sud, jadis un pays coincé entre deux puissants voisins, un pays pas très connu en dehors d’une guerre dévastatrice, a réussi un coup de maître en imposant sa culture sur le devant de la scène. Dépassant même la popularité du Japon qui perdurait depuis des décennies. Le Québec a amplement les moyens de devenir une grande puissance culturelle, ce qu’il est déjà à plus d’un titre. Mais ce qu’il faut, c’est une réelle volonté politique et de l’ambition.

Quant au franglais, il faut dénoncer l’usage de cette demi-langue. Non, ce n’est pas une richesse. Pas plus que le chiac au Nouveau-Brunswick. C’est la langue d’un peuple aliéné, qui veut progressivement se fondre dans l’univers anglo-saxon. Désolé, mais personne chez les anglophones ne parle le franglais. Cette langue se limite à certaines classes sociales montréalaises, souvent bien pensantes, qui pensent qu’en « s’émancipant » du Québec français, ils accéderont à quelque chose d’universel. Mais être « universel », c’est défendre chaque culture, même la plus petite, contre l’hégémonie d’une seule.

Donc, non, il ne faut pas se décourager. Le franglais sera progressivement stigmatisé. Ainsi que l’usage abusif de l’anglais au travail. La loi 96 ne va pas assez loin. C’est déjà une bonne avancée, mais celle-ci ne limite que partiellement l’accès aux études supérieures en anglais. Le Québec ne disparaîtra pas, car il vit depuis plus de 400 ans, dont plus de 260 ans sous l’occupation coloniale britannique, puis canadienne. Nous avons vécu des périodes encore plus sombres dans notre histoire. Telle que la répression contre les patriotes et les années qui ont suivi le rapport Durham. Nous sommes toujours là. Nous avons amplement les moyens de renverser la tendance. Tout ce qu’il faut, c’est un peu de volonté politique. Tout simplement.

Anthony Tremblay

Après des études en politique appliquée à l'Université de Sherbrooke, Anthony Tremblay s'est intéressé notamment aux questions sociales telles que le logement ou l'itinérance, mais aussi à la politique de la Chine, qu'il a visité et où il a enseigné l'anglais. Il vit à Sherbrooke avec ses deux chiens.

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