Avant de juger les Québécois, il faut essayer de les comprendre

Jean-François Lisée a écrit ce qui est déjà considéré comme l’un des articles les plus marquants de l’année. Il explique qu’un sentiment anti-québécois est en train de se normaliser dans les écoles. Les jeunes qualifient les Québécois de « kebs », si ce n’est pas des injures encore plus grossières. Même si dans un article précédent, j’ai tenté d’expliquer que ce sentiment anti-Québec ne datait pas d’hier, revenons sur ces préjugés qui collent à la peau des Québécois. Faisons le tour de quelques-uns, et disons à ces gens venus d’ailleurs qu’avant de juger les Québécois, il faut essayer de les comprendre.

Tout d’abord, un premier stéréotype qui joue contre nous, c’est que nous serions un peuple fondamentalement ignorant, stupide, qui n’aimerait pas travailler, quitte à se « faire vivre » par des immigrants qui travailleraient dur. Rien n’est plus éloigné de la réalité. Si en effet il existe un système de sécurité sociale, comme dans presque tous les pays développés, les Québécois estiment que le travail doit être une priorité. Sans tomber dans les préjugés sur les « bs », nous considérons le travail comme un fondement essentiel de notre identité. Les plus pauvres essaient de s’en sortir comme ils peuvent. Le taux d’assistance sociale n’a jamais été aussi bas dans l’histoire récente. Il oscille environ à 4%, alors qu’il se rapprochait des 10% durant les années 90.

Qu’est-ce qui explique cette baisse drastique du pourcentage de personnes bénéficiaires des aides de l’État? Le plein emploi, mais aussi le fait que les Québécois dans leur vaste majorité préfèrent travailler au lieu de dépendre de faibles allocations qui permettent à peine de survivre. Parlez à des gens de la rue, et ils vous diront qu’ils aimeraient beaucoup revenir sur le marché de l’emploi et ainsi bénéficier d’une reconnaissance sociale. Les personnes qui ont longtemps été sur les aides retournent un jour sur le marché du travail, car autrement, leur santé physique et mentale est compromise à long terme. Ce qui démolit ce préjugé du Québécois oisif qui se fait vivre par les immigrants qui paient des impôts.

La seule chose qui change de nos jours par rapport à l’époque de nos parents, c’est que les jeunes ne sont plus prêts à accepter n’importe quelles conditions pour travailler. C’est là, la nuance. À l’époque, il fallait accepter son sort et remercier le patron pour un emploi médiocre et mal payé. Aujourd’hui, avec les nouvelles technologies, les jeunes ont plus de choix que par le passé. Ce qui a le don de mettre en rogne les patrons qui veulent toujours faire venir plus de travailleurs « temporaires » qui eux ne se plaindront pas de travailler la nuit ou de ne pas être payé pour le temps supplémentaire.

Un autre préjugé tenace, c’est « l’ignorance » des Québécois. Que nous ne sommes pas des gens éduqués et cultivés. Déjà, il faut que les gens qui disent ça voient tout le chemin parcouru depuis la Révolution tranquille. À l’époque, nous avions un système d’éducation classique, qui enseignait les belles lettres, le grec, le latin et la théologie. Ce système, parmi les meilleurs au monde, formait de solides intellectuels libéraux. Souvenons-nous de ces politiciens, artistes, penseurs et historiens lettrés qui ont marqué le Québec moderne. Or, si ce système produisait des intellectuels de qualité, il était très inégalitaire. Car en moyenne, un seul garçon par famille de plusieurs enfants pouvait accéder au collège classique.

La Révolution tranquille a montré ses limites, mais elle a rendu l’éducation accessible au plus grand nombre. Les Québécois comptent aujourd’hui parmi les pionniers de la recherche sur l’autisme, les sciences de l’éducation, mais aussi le génie électrique ou même en études classiques. Donc, de considérer les Québécois comme des ignorants, c’est insultant pour notre intelligence.

Le préjugé le plus tenace, c’est celui sur le « racisme » des Québécois. Racisme souvent imaginaire ou sinon très amplement exagéré par des regroupements communautaires qui viennent au Québec comme dans un pays conquis. Pour n’importe qui qui n’a pas dormi durant ses cours d’histoire, il se souvient sûrement du rapport Durham. Ce rapport, rédigé suite à la répression contre la rébellion des patriotes, affirme que les Anglais doivent assimiler les « français » en faisant venir toujours plus d’immigrants des îles britanniques. C’était le modus operandi de l’époque. Et rien n’indique que le fond ait changé. Seulement la forme. Il serait sulfureux politiquement pour les libéraux de reprendre mot pour mot le rapport Durham en 2024. Ils doivent être plus subtils.

Ce rapport, et le traumatisme collectif qui a suivi nous ont mis en garde contre l’immigration de peuplement. Même si les choses sont plus nuancées, que de nombreux immigrants soient devenus Québécois par la force des choses, cela fait partie de notre psyché collective. Il ne faut donc pas en vouloir aux Québécois d’être méfiants quand un gouvernement parle ouvertement de faire du Canada un pays de 100 millions d’habitants par le biais de l’immigration massive. De plus, dans ce contexte hostile aux Québécois, ils ont su faire preuve d’accueil et de bon sens malgré le rouleau compresseur fédéral. Parlez aux Vietnamiens, aux Colombiens, aux chrétiens d’orient accueillis ici à bras ouverts par des Québécois de toutes les générations.

Ces préjugés qui collent à la peau des Québécois sont basés sur des faussetés, répandues par des éditorialistes et auteurs anglophones comme Mordecai Richler. Ou par des jeunes dans les cours d’école qui n’ont que peu, voire pas de contacts avec des Québécois. Donnez une chance aux Québécois, et ils vous le rendront cent fois. Notre situation minoritaire fait que nous sommes méfiants des gens qui viennent avec de grands sabots. Ceux qui viennent en n’ayant que le mot « droits » dans la bouche. Car pour réussir son intégration, il faut accepter de laisser une part de son pays d’origine pour s’adapter au nouveau pays et à son peuple. Ce qu’un Mathieu Bock-Côté appelle le « devoir d’intégration ».

Anthony Tremblay

Après des études en politique appliquée à l'Université de Sherbrooke, Anthony Tremblay s'est intéressé notamment aux questions sociales telles que le logement ou l'itinérance, mais aussi à la politique de la Chine, qu'il a visité et où il a enseigné l'anglais. Il vit à Sherbrooke avec ses deux chiens.

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