La France est plongée dans l’incertitude depuis les législatives de juillet 2024. Les deux premiers ministres ont été renversés par l’opposition. Le président Macron a nommé de ses proches alliés au poste de premier ministre, Sébastien Lecornu. Ghislain Benhessa estime que ce nouveau gouvernement ne sera pas en poste longtemps car le nouveau premier ministre est un macroniste. Il pense que seule la démission du parlement et le déclenchement d’une présidentielle anticipée pourrait sortir la France du désordre politique.
Ghislain Benhessa est essayiste et observateur de la politique française.
Entretien
Simon Leduc : Il y a deux semaines, le président Macron a nommé Sébastien Lecornu au poste de premier ministre. Que pensez-vous de cette nomination?
Ghislain Benhessa : «C’est l’ancien ministre de la Défense du président français. Il a occupé ce poste pendant trois ans et c’est comme cela qu’il s’est fait connaître du grand public. Il est une des rares ministres qui a été en fonction pendant longtemps, huit ans. Il n’est pas sur les feux de la rampe lors de la crise politique actuelle, car son ministère était à l’écart des agitations politiques. C’était une figure tranquille du gouvernement français. C’est un fidèle membre de la macronie de la première heure.
Auparavant, il était un politicien de la droite classique, les Républicains. Il a déserté François Fillon et s’est rallié à Emmanuel Macron lors de la présidentielle de 2017. C’est un membre de la garde rapprochée du président de la République.
Sébastien Lecornu est un homme de centre-droit et il est ouvert aux dialogues avec ses adversaires politiques. Par exemple, il a déjà eu des échanges directs avec Marine Le Pen et Jordan Bardella du RN.
C’est un homme de droite modéré qui se sent bien dans le camp Macron et c’est un partisan de l’Union européenne.
Dans le passé, il avait dénoncé le caractère trop identitaire et populiste de certaines figures des Républicains comme Laurent Wauquiez.»
Comment a réagi le bloc de gauche et le Rassemblement national face à cette nomination?
Ghislain Benhessa : «Tout d’abord, Olivier Faure, du Parti socialiste, pensait qu’il deviendrait le nouveau premier ministre. Il avait activement milité pour sa candidature. Les élites du PS pensaient que Macron nommerait un premier ministre de gauche après les échecs à droite (Michel Barnier) et au centre (François Bayrou). Ils ont pensé que le président tenterait de séduire la gauche pour pouvoir gouverner.
Mais, Macron a opté pour un de ses plus fidèles alliés. En conséquence, le front de gauche a dénoncé son geste et il n’a aucune intention de collaborer avec le premier ministre macroniste.
Le Rassemblement national a critiqué la décision du président de choisir quelqu’un de son parti. Il a affirmé qu’une censure serait inévitable, car le statut quo n’est pas la solution. Pour le RN, cela confirme que le président n’a aucune intention de travailler avec l’opposition afin de faire fonctionner le pays. Marine Le Pen a dit que Macron s’est remplacé par lui-même. Il n’y a rien qui va changer avec ce nouveau premier ministre. A priori, la gauche et la droite ont l’intention de censurer ce nouveau gouvernement.
La France plonge de jours en jours dans le chaos politique. La dette française est devenue incontrôlable. Le RN veut se présenter comme un parti aspirant au pouvoir. Alors, il doit trouver un équilibre entre satisfaire sa base électorale (qui veut du changement) et la respectabilité. Cela veut dire que Mme Le Pen désire être du côté de l’ordre. Donc, la leader du RN ne peut pas trop vouloir le chaos politique, car elle ne veut aucunement être perçu comme une politicienne irresponsable.»
Est-ce que Macron aurait pu nommer une figure proche du RN afin de débloquer la crise politique actuelle?
Ghislain Benhessa : «Cela serait légitime sur le plan institutionnel que le premier ministre provienne du premier parti de France qui est le RN. Après tout, c’est lui qui a le plus d’élus à l’Assemblée nationale.
Cependant, si Macron décidait de nommer comme premier ministre une personnalité politique proche du RN, il risquerait d’avoir sur le dos tous les camps politiques pro systèmes, les Républicains, le front de gauche et le centre. La droite classique pourrait se rallier au RN afin de former un gouvernement. Or, les Républicains ne feront jamais cela, car ils se marginaliseraient encore davantage. Ils risqueraient de se fondre dans le RN et de disparaître. Donc, le Rassemblement national se retrouverait rapidement isolé et il ne survivrait pas à une censure de l’opposition. En conséquence, le chaos politique continuerait d’empoisonner le pays.»
La démission du président de la République serait-elle la seule façon de mettre fin à cette tragédie politique?
Ghislain Benhessa : «Si le gouvernement Lecornu est renversé, Macron pourrait déclencher des élections législatives. Mais, on aurait droit aux mêmes résultats que le précédent scrutin. On retournerait à la case départ.
J’estime que le président Macron doit démissionner de son poste de président pour le bien de la France. Des élections présidentielles anticipées seraient déclenchées. Le pays doit se sortir de cette crise afin de régler ses problèmes financiers. Or, le président semble vouloir demeurer en poste et de gagner du temps. C’est pour cela qu’il a nommé un de ses amis au poste de premier ministre.
Pour conclure, c’est depuis les législatives de juillet 2024 que je martèle que M. Macron doit partir pour le bien de son pays. Il est l’architecte du chaos politique français. Alors, il doit prendre ses responsabilités en quittant l’Élysée. Va-t-il avoir le courage de poser ce geste? Seul le temps nous le dira.»
