C’est une véritable bombe dans le débat climatique mondial. Bill Gates, longtemps perçu — et souvent attaqué — comme l’incarnation même du mondialisme technocratique et du tout-électrique, vient de rompre avec l’un des piliers du discours écologique contemporain. Après des années à promouvoir la neutralité carbone et à financer la transition énergétique, le milliardaire admet désormais que les changements climatiques ne constituent pas une menace existentielle pour l’humanité. Un article de David Goldman, publié le 28 octobre 2025 sur CNN, rapporte ce revirement spectaculaire, exposé dans un long essai sur son blogue Gates Notes. À quelques semaines du sommet COP30 au Brésil, cette volte-face du principal mécène de la décarbonation mondiale ébranle jusqu’aux fondations idéologiques du mouvement climatique international.
De la peur à la proportion : la nouvelle doctrine Gates
Bill Gates écrit noir sur blanc que, malgré leurs conséquences graves, les changements climatiques « ne mèneront pas à la disparition de l’humanité ». S’il réaffirme la nécessité de réduire les émissions, il plaide désormais pour rééquilibrer les priorités : l’humanité, selon lui, doit consacrer davantage de ressources à la lutte contre la pauvreté, la faim et les maladies évitables, domaines où chaque dollar sauve des vies de façon mesurable.
« Nous devons traiter les problèmes en proportion de la souffrance qu’ils causent », écrit-il, avant d’ajouter que le véritable indicateur du progrès ne devrait pas être la baisse des températures, mais l’amélioration de la qualité de vie.
Ce repositionnement marque un contraste saisissant avec les écrits plus alarmistes que Gates publiait encore en 2023 sur Breakthrough Energy, où il appelait à une réponse « sans précédent » pour contrer le dérèglement climatique.
Dans son essai actuel, il insiste au contraire sur les succès déjà obtenus — notamment la chute de 40 % des projections mondiales d’émissions depuis dix ans — et sur la résilience humaine. Gates juge que les ressources limitées doivent être investies là où elles auront le plus d’impact : vaccins, agriculture durable, énergies abordables et santé publique.
Un discours en rupture avec le dogme climatique dominant
Le texte de Gates, souligne CNN, s’inscrit comme une remise en question frontale du catastrophisme qui domine le discours environnemental depuis deux décennies. En entrevue à CNBC, l’entrepreneur a qualifié ce recul des investissements climatiques de « déception », mais aussi de nécessité morale face aux coupes dans l’aide internationale, notamment celles du programme américain USAID, supprimé par l’administration Trump.
Cette position suscite déjà des critiques dans le milieu scientifique. Michael Mann, directeur du Penn Center for Science, Sustainability & the Media, estime que Gates « a tout faux » et qu’aucune menace ne pèse plus lourdement sur les pays en développement que la crise climatique. À l’inverse, la climatologue Jennifer Francis du Woodwell Climate Research Center salue une approche plus nuancée : « L’humanité n’est pas condamnée, mais il faut continuer à s’attaquer à la cause — les émissions — tout en traitant les symptômes ».
Une convergence inattendue avec le rapport du Département de la Sécurité intérieure des États-Unis
Cette position de Bill Gates fait écho, de manière frappante, aux conclusions du Global Catastrophic Risk Assessment, un rapport publié en novembre 2024 par le Département de la Sécurité intérieure (DHS) américain. Comme le rappelait Québec Nouvelles à l’époque, ce document bipartisan — rédigé sous l’administration Biden — avait statué que les changements climatiques ne constituent pas un “risque existentiel” ni une “catastrophe planétaire”, mais bien un risque régional et sociétal.
Le rapport du DHS définissait un risque existentiel comme « une situation menant à l’extinction de l’humanité » et soulignait qu’aucune étude scientifique sérieuse n’appuyait un tel scénario dans le cas du réchauffement climatique. Les auteurs y critiquaient d’ailleurs la rhétorique militante et émotionnelle de certains mouvements écologistes, jugeant qu’elle repose davantage sur des « valeurs et visions du monde subjectives » que sur des données empiriques.
En affirmant que le monde doit “cesser de voir le climat comme la fin de la civilisation”, Gates s’aligne donc avec cette nouvelle tendance : celle d’un réalisme scientifique qui distingue les risques réels des projections apocalyptiques.
Un recentrage sur le développement humain et technologique
Le nouveau paradigme proposé par Gates repose sur une idée clé : le développement est la meilleure adaptation. Dans sa vision, la croissance économique, la santé publique et l’innovation énergétique représentent les remparts les plus efficaces contre les effets du réchauffement.
Il souligne que les pays pauvres, souvent dépendants de l’agriculture, souffrent davantage de maladies et de malnutrition que de la hausse des températures elle-même. D’où son appel à financer des vaccins, des semences résistantes, des technologies agricoles à faibles émissions, et à rendre les énergies propres abordables grâce à la baisse du Green Premium (la différence de coût entre technologies propres et polluantes).
L’homme d’affaires se veut optimiste : il affirme que les avancées récentes en intelligence artificielle et en matériaux bas-carbone rendent possible une économie mondiale décarbonée sans renoncer à la prospérité.
Un signal politique avant la COP30
Ce repositionnement, à quelques semaines de la COP30 de Rio de Janeiro, pourrait influencer les débats mondiaux. Gates appelle les dirigeants à mesurer le succès non par la température globale, mais par l’impact sur le bien-être humain. Il incite les gouvernements à adopter une approche sectorielle — énergie, agriculture, santé, infrastructures — et à juger chaque projet selon son efficacité réelle à améliorer la vie des plus vulnérables.
Cette approche, fondée sur le rapport coût-bénéfice et non sur la rhétorique d’urgence, s’inscrit dans un réalisme économique et humanitaire que plusieurs observateurs jugent salutaire après des années de discours catastrophistes.
Une inflexion majeure dans la guerre du narratif climatique
Bill Gates n’abandonne pas la lutte contre le réchauffement, mais il rompt avec l’idée d’une apocalypse climatique imminente. Comme le notait David Goldman pour CNN, il s’agit d’un revirement philosophique : du mythe de la fin du monde vers une stratégie mesurable d’amélioration des conditions humaines.
En s’accordant implicitement avec les conclusions du rapport américain de 2024, Gates légitime un nouvel équilibre du débat environnemental, où la rationalité scientifique et le souci du développement reprennent le dessus sur la peur et le militantisme.
Ce virage marque sans doute l’un des moments les plus symboliques de la décennie : celui où le principal apôtre de la décarbonation mondiale reconnaît que l’humanité n’est pas en péril — mais qu’elle a mieux à faire pour soulager la souffrance réelle.



