Blocage des nouvelles : avec des amis comme ça, pas besoin d’ennemis

Depuis hier, Meta a annoncé officiellement le début du blocage des nouvelles au Canada, sans quoi elle serait forcée de payer les grands médias canadiens, ce qu’elle refuse. Québec Nouvelles se retrouve dans une situation particulière : notre média est l’un des seuls au pays à s’être positionné contre les lois C-11 et C-18, et malgré tout, nous subissons quand même les conséquences de leur application au même titre que les médias subventionnés qui les ont supporté.

C’est donc pour se conformer à cette loi dévastatrice pour l’écosystème du web que la compagnie mère de Facebook et Instagram a décidé de retirer les contenus journalistiques de sa plateforme. « Vous voulez me forcer à payer pour ça? Je n’en ai pas besoin, merci, bonsoir. »

Mais voilà, depuis hier, les journalistes sont tombés dans des analyses kafkaïennes qui font sérieusement douter de leur intelligence. On accuse Meta de censure et, du même souffle, on s’insurge que l’entreprise n’ait pas voulu payer les grands médias pour leurs nouvelles. Pierre Karl Péladeau parle d’un « comportement de censure sauvage, digne des grandes noirceurs ».

Comment est-ce que ça peut être de la censure quand on parle du fait d’acheter ou non un produit/service? Ça ne fait aucun sens! Que Meta ne soit pas intéressé par votre produit et le cadre réglementaire malhonnête que l’État canadien a mis en place pour vous remplir les poches ne constitue pas une censure, Pierre-Karl…

Cette dynamique paradoxale est très bien évoquée dans ce tweet de Pascal Mulegwa, correspondant pour RFI et France 24 : « Les Canadiens n’ont plus accès aux informations des médias du Canada sur les réseaux sociaux Facebook et Instagram depuis hier. Meta, la maison mère, ne veut pas payer les médias pour avoir le droit de diffuser leurs articles et vidéos sur ses réseaux. »

Donc, on parle de censure… d’une chose dont il faut payer des droits pour la diffuser? Expliquez-moi la logique. Je n’en vois aucune. Justement, si les plateformes web refusent de payer les droits… Ne sont-elles pas forcées par la loi de retirer ce contenu?

C’est l’équivalent d’accuser une maison de disque de discrimination parce qu’elle refuse de produire (acheter) votre musique. L’équivalent d’accuser un commerce d’un crime s’il ne veut pas s’approvisionner avec les produits que vous lui proposez.

Non, en fait, c’est pire : c’est l’équivalent de faire pression sur le gouvernement pour qu’il passe une loi rendant obligatoire pour des commerces d’acheter votre produit à un prix tout à fait arbitraire et potentiellement inadapté. Et pour le commerce de vous dire : « si c’est comme ça, je ne suis pas intéressé ».

C’est pourtant assez simple : on ne peut pas forcer quelqu’un ou une entreprise à acheter un produit! C’est tellement ridicule comme débat qu’à lire ces journalistes s’insurger sur les médias sociaux, je crois avoir perdu quelques neurones.

Pour François Philippe-Champagne, ministre de l’Innovation, des Sciences et de l’Industrie, « il est inacceptable que Facebook abuse ainsi de son pouvoir de marché. Nous ne le tolérerons pas. Avec nos partenaires internationaux, nous leur demanderons des comptes et rappellerons aux chefs d’entreprise l’importance d’investir dans les médias locaux. »

« Abuse de son pouvoir de marché »??? Vous voulez dire son pouvoir d’acheter ou non un produit? Vous appelez ça un abus de pouvoir? Et que voulez-vous dire par « l’importance d’investir dans les médias locaux »? Je vous rappelle que cette loi n’est pas un simple incitatif à investir dans les médias : ça en fait une obligation pour les plateformes web qui hébergeraient leur contenu. C’est une coercition pure et simple.

La malhonnêteté sidérante de cette défense délirante d’une loi qui s’avère de toute évidence un échec dévoile tout ce qui ne va pas dans le journalisme actuel. Au lieu de comprendre la perspective des plateformes web et des petits créateurs, les grands médias et les journalistes, en vrais radins, ne pensent qu’à leur portefeuille sans fond qui fait disparaître chaque année des centaines de millions en subventions. Ligués avec les classes politiques, ces petits journaleux de pacotilles ont fomenté un coup contre les plateformes web en utilisant toutes les excuses imaginables. Avec leurs armées de lobbyistes inassumés, ils ont poussé le gouvernement à créer une loi pour presser les citron des médias sociaux et subtiliser de force leurs gains publicitaires.

Ils avaient simplement oublié une chose : nous vivons encore dans un pays libre et capitaliste, et une entreprise ne peut être forcée à donner ses profits à une autre.

Si on creuse un peu d’un point de vue de l’idéologie politique, cette loi relève littéralement d’une forme de socialisme que Trudeau voudrait nous rentrer dans la gorge : il s’agissait d’une « redistribution de la richesse » entre médias et plateformes web. Et c’est sans parler le véritable outil de censure que le gouvernement s’est doté avec la loi C-11, complémentaire à C-18 et qui subordonne les algorithmes d’internet aux normes du CRTC.

Mais au lieu de reconnaître l’erreur, au lieu de faire un examen de conscience et admettre l’appât du gain de leur démarche, les journalistes continuent à soutenir le gouvernement et accusent Meta de tactiques « belliqueuses ». On renvoie toute la responsabilité de ce fiasco sur les épaules de ces entreprises qui, non seulement n’ont rien demandé, mais en plus, ont beaucoup donné en termes de visibilité à ces médias dans la dernière décennie.

Il y a un immense décalage entre la compréhension du web par les journalistes québécois et canadiens et la réalité du web. Il est loin d’être clair que ce sont les plateformes web qui profitent des grands médias. Mais un indicateur assez fiable demeure la loi du marché : si vraiment ce sont les plateformes web qui profitent des grands médias, ce seraient elles qui supplieraient les journalistes à l’heure actuelle, pas le contraire.

Dans tous les cas, quelle honte! Honte de sphères politiques qui, d’une manière autoritaire, ont ignoré tous les avertissements et nous ont mené à cette situation dystopique. Honte à nos journalistes qui, dans un conflit d’intérêt gros comme le bras, continuent de faire les cheerleaders en faveur de l’incompétence de Justin Trudeau. Et honte à nous, la population, de nous laisser avoir dans les manigeances de bas étages de ces bs de luxe qui nous font office de député et de faiseurs d’opinion.

Touché comme les autres par ce blocage des nouvelles, Québec Nouvelles, qui n’aurait rien obtenu de la loi C-18 – ne faisant pas partie de l’organisation journalistique qualifiée, qui détermine qui les plateformes web doivent payer – se questionne aujourd’hui sur son sort. Quant à moi, je me demande si j’aurai encore un emploi d’ici un mois. Nous sommes pourtant un média indépendant, nous ne touchons aucune subventions et n’avons rien demandé, mais malgré tout, parce que mes « collègues » journalistes ont décidé de partir en guerre contre Meta, nous devenons victimes collatérales. Et nous sommes frappés de plein fouet ; probablement plus durement encore que ces grands médias qui se plaignent constamment la bouche pleine.

Comme on dit, avec des amis comme ça, pas besoin d’ennemis.

Philippe Sauro-Cinq-Mars

Diplômé de science politique à l'Université Laval en 2017, Philippe Sauro Cinq-Mars a concentré ses recherches sur le post-modernisme, le populisme contemporain, la culture web et la géopolitique de l'énergie. Il est l'auteur du livre "Les imposteurs de la gauche québécoise", publié aux éditions Les Intouchables en 2018.

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