Chanson country de Beyoncé: une station de radio accusée de racisme

Une station de format radiophonique country de l’Oklahoma a été vivement critiquée pour avoir rejeté une demande pour faire jouer la nouvelle chanson de Beyoncé « Texas Hold ‘Em », l’un des deux nouveaux morceaux à saveur country qu’elle a sortis suite à un coup de marketing lors du Super Bowl.

Le tollé a vite fait le tour des réseaux sociaux après qu’un internaute, ait partagé la capture d’écran de la réponse courriel de S.C.O.R.E. Diffusion [South Central Oklahoma Radio Enterprises]:

« Nous ne jouons pas Beyoncé sur KYKC car nous sommes une station de musique country ».

Relayé par le compte de fans « Beyoncé Legion », le message a obtenu 3 millions de vues et 25,000 réactions « j’aime ». L’internaute de 25 ans, qui place ses pronoms dans sa bio, a rejoint Twitter en novembre 2020, mais son plus ancien tweet date du 1er février dernier. Il a depuis publié des centaines de messages, presque tous au sujet de Beyoncé.

« Cette station doit être tenue responsable de son racisme et de sa flagrante discrimination contre Beyoncé », envoie-t-il ensuite, avant de lancer un appel à contacter la station pour demander la chanson.

Le directeur général de S.C.O.R.E. Diffusion, Roger Harris, a expliqué que le courriel était la réponse standard aux demandes concernant les artistes dont la musique n’est pas de genre country. Il a ajouté qu’une personne demandant les Rolling Stones recevrait cette même réponse.

Apparemment, la station n’était pas encore au courant de l’incursion de Beyoncé dans la musique country. Toutefois, KYKC a vite fait volte-face. Quelques heures plus tard, elle envoyait ce message:

« Beaucoup d’appels pour « Texas Hold’Em » de Beyoncé. Ça va jouer d’ici quelques minutes. »

Ce qui est frappant dans cette affaire, c’est l’accusation de racisme, alors que les stations de format country ont diffusé Darius Rucker, un chanteur noir, en forte rotation. Six de ses succès se sont classés dans le top 3 du palmarès country entre 2008 et 2017. Charley Pride, un autre artiste country de race noire, a placé 52 chansons dans le top 10 du palmarès country entre 1966 et 1987, et 30 d’entre elles ont atteint la première position.

La réalité, c’est que Beyoncé ne produit pas de la musique country. Bien que sa nouvelle chanson soit empreinte d’une sonorité country, elle n’en demeure pas moins essentiellement une chanson pop. Sa seconde nouveauté, « 16 carriages » évoque davantage le R&B et le negro spiritual que le country.

Malgré son fort accent country, le tube de genre musical euro-dance du groupe suédois Rednex basé sur la chanson folklorique « Cotton Eye Joe » ne tournait pas à la radio country. L’ajout des chansons de Beyoncé à la rotation des stations country promet d’être vastement débattu.

La musique country se caractérise par l’omniprésence du violon et du banjo, mais aussi de la guitare acoustique – et parfois électrique. Son centre névralgique se trouve à Nashville, au Tennessee. Au-delà du cliché des peines de cœur et des références au whiskey, le country aborde des thèmes lyriques centrés sur les valeurs familiales, la vie rurale, l’amour et les relations. C’est le genre musical traditionnel d’une Amérique profonde, patriote et conservatrice, et son rôle dans la guerre culturelle n’est pas négligeable [qu’on ait cette sensibilité musicale ou pas]. Le milieu artistique country a résisté à la sexualisation outrancière. Ses vedettes féminines ne donnent pas dans la vulgaire surcharge sexuelle que l’on observe dans les vidéos de musique pop ou hip hop.

Le country est néanmoins « sous attaque ». L’industrie musicale de Nashville est en train, semble-t-il, d’aseptiser et de dénaturer le genre en brouillant les lignes qui le distinguent de la musique pop et en le dépouillant de son traditionalisme. Il en résulte une radio country qui sert à ses auditeurs des morceaux qui s’éloignent de plus en plus du son traditionnel du genre. Ce virage a été particulièrement prononcé dans les années 2010, et ça rend bien difficile de s’objecter à l’inclusion des nouvelles chansons de Beyoncé dans la rotation du format country.

La dérive de l’industrie musicale de Nashville est d’ailleurs un thème qui revient régulièrement dans la musique country moins commerciale d’artistes boudés par l’industrie. Hank III, le petit-fils d’Hank Williams et fils d’Hank Williams Jr. a dénoncé ce phénomène, notamment dans sa pièce « Trashville ».

Lors des CMT Music Awards 2023, la co-animatrice Kelsea Ballerini a interprété une chanson entourée d’un groupe de drag queens, un signe de défiance envers les nouvelles lois du Tennessee et du Texas (où le spectacle avait lieu) pour épargner les enfants de l’activisme LGBTQ+. Comme quoi, les institutions de Nashville sont également proies au néo-progressisme woke. Jon Freeman du Rolling Stone s’en réjouit: « le milieu country devient peu à peu un espace plus accueillant pour tous ».

Si les nouvelles chansons de Beyoncé comportent indéniablement des éléments du genre country, elles n’en véhiculent pas l’esprit pour autant. La pochette de « Texas Hold’Em » la présente nue du nombril vers le bas, avec rien qu’un pendentif en forme de cœur pour cacher son sexe. Pour légitimer l’incursion dans le monde du country, elle porte tout de même un chapeau de cowboy. Les paroles ne diffèrent en rien de celles des chansons pop ou hip-hop, et comportent même les mots « bitch » et « shit ».

Le nom de Beyoncé n’évoque les valeurs conservatrices pour personne. En premier lieu, c’est une progressiste qui est reconnue en tant qu’alliée de la « communauté LGBTQ+ ». Beyoncé et son époux, le célèbre rappeur Jay-Z, sont de proches amis du couple Obama. Elle a d’ailleurs chanté aux deux inaugurations d’Obama.

Qui plus est, Beyoncé est une activiste politique pro Black Lives Matter. Beyoncé et Jay-Z avaient fait don de dizaines de milliers de dollars pour renflouer les manifestants de Black Lives Matter à Baltimore et Ferguson, ainsi que pour financer l’infrastructure nécessaire à la création de sections Black Lives Matter à travers les États-Unis.

Sur le plan purement artistique, la fusion country présentée par Beyoncé constitue, faut-il l’admettre, un exercice réussi en matière de musique pop. La critique du contenu lyrique et le non partage de ses opinions n’empêche pas de le reconnaître.

Son initiative survient à un moment très opportun, alors que le genre country connaît une hausse de popularité qu’on n’a pas observée depuis des décennies. 4 chansons country se sont hissées au sommet du palmarès Billboard en 2023, dont « Last Night » de Morgan Wallen, désignée chanson de l’année pour être restée 16 semaines non consécutives au #1. Beyoncé tente peut-être de profiter de la saveur en vogue du moment. Quoi qu’il en soit, il serait dommage que son incursion en territoire country contribue à brouiller davantage les distinctions entre formats radio, ou à faciliter le mariage de Nashville avec le wokisme.

Bien que le milieu artistique country soit moins acquis aux idées wokes que l’élite artistique dans son ensemble, la bien-pensance s’y est bien installée. Les sorties de grands noms comme Garth Brooks ou Zach Bryan en appui à Bud Light lors de la controverse avec Dylan Mulvaney en ont témoigné.

Être pessimiste, on pourrait penser que même dans les sphères traditionnellement républicaines, la droite conservatrice fait face à une solide opposition idéologique. Par contre, dans un monde où les gens s’identifient beaucoup à la musique qu’ils écoutent, on peut percevoir ce regain de popularité du country comme une hausse d’adhésion aux valeurs que le genre représente, ou comme un retour de balancier dans le cadre de la guerre culturelle. Ça peut être le cas peu importe la dérive de Nashville.

Il existe une contre-culture patriotique, conservatrice et/ou libertarienne [car les 3 peuvent se conjuguer, surtout aux États-Unis], mais ce n’est pas du côté de l’industrie musicale de Nashville qu’il faut regarder. On retrouve un message patriote décomplexé chez certains artistes indépendants, souvent dans le sous-genre country-rap. Il y a le très prolifique et talentueux Upchurch [qui donne autant dans le hip-hop que le country pur], ainsi qu’Adam Calhoun, collaborateur du rappeur canadien anti-woke Tom McDonald [pour ne nommer que ceux là]. Force est de constater que la machine de Nashville ne sort pas de son chemin pour promouvoir les voix qui émergent de la contre-culture. Ça sent l’obédience aux critères ESG.

Ophélien Champlain

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