Mise en contexte

À une époque où la polarisation politique est à son plus fort, faire un film sur Ronald Reagan n’allait clairement pas plaire à tout le monde. Pour les plus vieux de la droite américaine, Reagan représente “la belle époque” qu’étaient les années 80, où Reagan, président avec une aura de “grand père rassurant”, a glorieusement vaincu les communistes. Pour la gauche américaine, Reagan représente le tournant définitif où le néolibéralisme s’est ancré à Washington avant de détruire à lui seul la classe moyenne.

Cette division est bien représentée sur le site Rotten Tomatoes, où la critique « mainstream », penchant majoritairement à gauche, a donné un très mauvais score, tandis que le popcornmeter, système de côte pour usagers, donnent un score très impressionnant.

Je ne suis pas du genre à faire mon centriste et dire que la vérité se situe entre les deux, mais dans ce cas-ci, c’est assez vrai.

Les gauchistes donnent le dos large à Reagan, donnant souvent l’impression qu’il a détourné à lui-seul les États-Unis du keynésianisme pour une philosophie néolibérale. S’il y a du vrai, ça passe sous silence le fait que la planète entière vivait les mêmes évolutions, et que ce sont ces politiques de libre marché qui ont sorti les États-Unis de la stagnation des années 70.

Outre l’amélioration par rapport à l’état absolument pitoyable de l’Occident lors des années 70, je trouve aussi absurde de blâmer un homme ayant été président dans les années 80 pour des problèmes qui se sont plutôt produit dans les années 2000.

Par exemple, son financement des moudjahidines afghans est pointée du doigt pour avoir causé la montée d’Al Qaïda et d’Oussama Ben Laden, mais encore, une mise en contexte s’impose : l’Islam radical n’était vraiment pas sur le radar occidental à l’époque ; ces gens combattaient les soviétiques, ils étaient donc des alliés naturels. Reagan ne pouvait pas prévoir que certains de ces soldats se retourneraient contre l’occident 20 ans plus tard.

Il y a aussi de théories du complot infondées autour du personnage. Elles sont tellement répandues dans l’imaginaire collectif qu’on oublie souvent qu’elles sont tout à fait infondées. L’idée que Reagan a donné l’ordre à la CIA de trafiquer du crack dans des communautés afro-américaines, par exemple : il n’y a aucune source fiable prouvant cette affirmation. Et pourtant, elle est si souvent répétée que c’en est devenu un fait accepté chez les gauchistes, et même au centre, voire chez une certaine droite. Dans les faits, cette théorie a autant de mérite que Pizzagate et pourtant elle est répétée ad nauseam.

De l’autre côté, la vénération de Reagan par la droite américaine, particulièrement les plus vieilles générations, me laisse encore plus perplexe. Si on regarde sa politique domestique, on réalise qu’il est responsable de décisions qui ferait fumer la droite moderne.

En tant que gouverneur de la Californie, il a, en 1967, signé le Mulford Act, une loi interdisant le port d’armes à feu sans permis. Il a dit, et je cite : “Il n’y a aucune raison pour qu’un citoyen se promène dans la rue avec une arme chargée ».

Pire encore, en tant que président, il signe l’Immigration Reform and Control Act of 1986. Ce projet de loi, présenté comme un renforcement des frontières, offrait l’amnistie aux illégaux présents en territoire américain avant 1982 (sous certaines conditions). Biden ne peut que rêver de faire quelque chose semblable. Cette provision est mise en cause pour avoir changé de façon permanente la démographie Californienne, d’où son statut d’état bleu aujourd’hui.

On a ici des définitions très différentes de ce que représente la droite d’aujourd’hui.

Le film

En considération de tout cela, je trouve l’idée de faire un film sur Reagan en pleine saison électorale un peu étrange. Considérant que les acteurs principaux du film, Dennis Quaid et Jon Voight, sont tous deux pro-Trump, clairement, sortir ce film maintenant est fait dans le but d’aider sa campagne.

Alors que dire du film lui-même? Non seulement le film est ennuyant ; c’est un tour d’honneur masturbatoire. D’un point de vue purement cinématographique, les biographies sont un exercice difficile, car comment condenser la vie de quelqu’un en deux heures? Mais il est certainement possible de le faire mieux que ce film là. Le réalisateur Sean McNamara n’est simplement pas à la hauteur de la tâche, ce qui n’est pas surprenant quand on réalise que le film le plus populaire qu’il a fait avant ça est Bratz (2007).

Le contenu du film est simplement une sanctification de Reagan qui aurait à lui seul vaincu l’Union Soviétique. On peut résumer le tout à “Oh comme il était bon”.

La scène la plus débile est lorsqu’il fait son fameux “Mister Gorbachev, tear down this wall”. Le film commence à jouer une musique digne d’un film de Marvel, la caméra coupe à Margaret Thatcher qui écoute la télé en félicitant le “cowboy man”. J’étais tellement abasourdi par cette scène que j’ai eu de la difficulté à me concentrer sur le reste du film.

Dans un sens, ce film représente tous les problèmes qu’il y a au sein de la droite. Une espèce de dévotion à quelqu’un qui au final n’a pas tant en commun avec notre droite d’aujourd’hui.

Reagan a eu, je l’admets, une bonne politique étrangère qui a mis pression aux Soviétiques. Mais sa politique domestique n’a pas vraiment conservé quoi que ce soit, et même s’il était probablement le meilleur choix qu’il y avait à l’époque, il ne mérite aucunement l’espèce de vénération qu’on lui offre aujourd’hui. Même en dehors des États-Unis, il n’est pas rare d’entendre des personnes plus âgées faire son éloge.

Je défendrai toujours l’idée que la droite doit regarder vers le futur et non pas vers le passé. Ce film est totalement l’inverse avec sa nostalgie romancée, et de toute façon, ce n’est pas un bon film. Il y a meilleur usage de votre temps.

Vincent Benatar

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