D’accord, jouons. Déconstruisons le « pétromasculinisme ».

La journaliste et avocate Stéphanie Marin se penchait hier sur le concept de « pétromasculinité » sur les pages du journal Le Devoir, entraînant quelques railleries sur les réseaux sociaux. Les gens sont rendus assez habitués à la passion des chercheurs activistes pour les néologismes revanchards. On voit instantanément le portrait ; on tente d’associer les discours conservateurs pro-énergie à une forme de machisme dont devraient s’inquiéter les féministes… C’est brillant d’intersectionnalité! Quoi qu’il en soit, la journaliste présentait ce nouveau concept qu’étudie le professeur Frédérick Guillaume Dufour à l’occasion d’une conférence à ce sujet lors du congrès de l’Acfas. Qu’en est-il vraiment? Les discours pro-énergie seraient-ils machistes? Jouons un peu.

L’énergie, un sport masculin?

Au fond, peut-être a-t-il raison ; les enjeux énergétiques sont essentiellement des enjeux de sécurité, un secteur traditionnellement masculin.

La politique de l’énergie, c’est essentiellement des débats de logistique qui font la différence entre la soumission économique d’un peuple et son indépendance. Sans énergie, les pays ne survivent pas ; c’est pourquoi il s’agit de dynamiques quasi-guerrières ; c’est 100% un enjeu de sécurité. Et traditionnellement, ces responsabilités attirent les hommes.

C’est parce que des hommes se soumettent au sale boulot de défendre des sources d’énergies fiables alors que tout le monde associe la chose au diable que la société peut prospérer et se protéger des intempéries. Ce n’est peut-être pas un sacrifice aussi risqué ou dommageable que d’être dans l’armée, mais la réflexion demeure la même : protéger nos familles, même si ce n’est pas politiquement correct et pourrait mener à l’ostracisme de la société bien-pensante. Donc quoi dire? Peut-être y a-t-il un lien entre l’énergie et la masculinité, qui sait?

D’autant plus que le champ lexical environnementaliste est particulièrement féminin, avec de constante référence à la « terre-mère » comme entité féminine attaquée par « l’Homme ». Dans cet imaginaire, on incarne toujours le patron d’entreprise comme un gros homme bedonnant avec un haut de forme et un cigare ; on semble être coincé dans le XIXe siècle et ses représentations patriarcales.

On pourrait même aller jusqu’à dire que c’est une tendance à la féminisation de la société depuis quelques décennies qui met désormais en relief ces penchants masculins autrefois banals. Elle mène à des discours se voulant plus compassionnels, plus empathiques, plus « sensibles », contre les froideurs analytiques du pragmatisme masculin. Le triomphe rationnel et technique de la modernité, incarné dans l’indomptable liberté de la voiture à essence et de son individualisme, peut passer pour une forme d’hubris propre à une humanité patriarcale ; une attitude de fendant qui se rie des sensibilités écoanxieuses à fleur de peau des individus « sensibilisés » par la doxa ambiante.

J’avais d’ailleurs écrit un texte au sujet de l’évolution des représentations sociales de l’automobile l’an dernier qui allait un peu dans ce sens, et ironiquement, je souhaitais à la base y inclure une analyse autour des aspects masculins et féminins du sujet, mais j’avais mis ça de côté. Quoi qu’il en soit, un esprit woke mal intentionné pourrait aisément tenter d’y dépeindre les germes d’une attitude décomplexée et ultimement masculiniste face à la voiture :

« L’impact sociologique et le grand optimisme qu’a occasionné la généralisation de l’usage de l’automobile est visible partout dans la culture des Trentes Glorieuses. C’est l’époque où Jack Kerouac écrit On the Road, où toute une génération devient fascinée par les manœuvres audacieuses de Dean Moriarty au volant de sa voiture sur les autoroutes américaines. C’est l’ère des « road trips », de la route 66, où on rêve de partir, comme dans la chanson « California Dreaming », pour expérimenter la liberté totale. C’est la « fureur de vivre » de James Dean, qui meurt « forever young »‘ au volant de sa Porsche 550 Spyder dans une courbe dangereuse. C’est l’ère des « Easy Riders », qui choisissent plutôt la moto, mais expérimentent la même liberté aventureuse. Ici, au Québec, ce sont les cheveux dans le vent de Plamondon au volant de sa Camaro « sur tous les chemins d’été ». »

Dans l’article du Devoir, Frédérick Guillaume Dufour déclare que « l’un des objectifs du marketing pétromasculiniste est aussi de lier une représentation de la masculinité au mode de vie qui vient avec le pétrole. » Aie-je donc commis le péché de pétromasculinisme en faisant une analyse quelque peu nostalgique des représentations symboliques de la liberté par la voiture dans les années 60 et en exprimant des inquiétudes quant à notre sécurité énergétique? Je présume que c’est encore un de ces « biais inconscients », comme ils disent.

Non. Je réalise très bien qu’il s’agit là de représentations qu’on pourrait associer à la masculinité, à la différence que je n’y vois pas de problème. Je ne suis pas, comme certains, en chasse de la « masculinité toxique », cette chimère qui n’existe que dans la tête de ceux qui, à force de slogans qui se font passer pour de la science, deviennent incapables de distinguer l’assurance de l’agression.

Mais encore, ce serait alors jouer le jeu de ces militants déconstructivistes et passer complètement à côté du fait que les femmes, qui sont très nettement représentées dans le secteur de l’énergie et de l’automobile, souffrent tout autant, voire plus, de cette guerre à la voiture.

La place des femmes dans les enjeux énergétiques

Frédérick Guillaume Dufour ambitionne ensuite un peu en affirmant que les représentations symboliques de la voiture renforcent la division des sexes : « Le pétromasculinisme s’inscrit dans une prolongation possible du discours conservateur, qui amène une division des tâches homme-femme très prononcée dans toutes les sphères de la vie, explique [le chercheur]. « L’homme doit incarner la force », comme le font les populaires modèles de camionnettes de travail F-150 et Dodge Ram, donne-t-il en exemple. »

C’est là une interprétation extrêmement douteuse au regard des dynamiques sociales actuelles et de la clientèle de l’industrie automobile. Autant de femmes que d’hommes conduisent en 2024. Les femmes de régions – au royaume du pickup – ont plus de chance d’avoir leur permis de conduire que les hommes des villes. Autant de femmes que d’hommes ont besoin de se déplacer pour le travail ou pour la famille. En fait, au regard des modèles familiaux actuels, les femmes ont probablement plus besoin de leurs voitures que les hommes.

Car s’il y a bien une chose qui rend une voiture pratiquement essentielle, c’est le fait d’avoir des enfants, et considérant le nombre de mères monoparentales qui essaient de joindre les deux bouts entre le boulot, la garderie, les courses et la maison, on peut en conclure raisonnablement que les voitures leur sont particulièrement importantes. Ainsi, dans cette guerre à la voiture, on s’attaque bien souvent aux familles et aux mères qui en arrachent déjà en pensant faire simplement un pied de nez au douchebags avec leurs pickups montés.

On nage complètement dans la caricature d’un conservatisme figé dans la vision de la femme au foyer de banlieue des années 50… Si ce « pétromasculinisme » s’inscrit bel et bien dans une « prolongation possible du discours conservateur », c’est dans la priorité qu’il donne aux familles dans ce pays, contrairement à d’autre qui prônent l’écocentrisme et la décroissance. Et non, ce n’est pas du populisme ; c’est simplement la conséquence d’une idéologie cohérente et conséquente avec ses valeurs – ce que la gauche semble de toute évidence ne pas connaître.

De plus, n’oublions pas que les femmes sont particulièrement actives dans le domaine des hydrocarbures au Canada, et occupent de nombreux postes importants. Prenons simplement l’exemple de Shell Canada, dont la CEO est Susannah Pierce… On est loin de l’homme bedonnant au cigare! Cette tentative de « genrer » l’enjeu énergétique est donc plutôt malicieuse et paresseuse… On tente de faire du clientélisme idéologique en donnant aux femmes une sorte d’alignement automatique avec les enjeux environnementaux. On tente de les draper de vertu et condamner les hommes par la bande.

Bref, la prochaine fois que vous penserez à la culture de l’automobile et qu’une image de flasheux avec son pick up ou sa voiture sport vous viendra en tête, tâchez d’avoir aussi une petite pensée pour la mère en train d’entasser ses trois ou quatre enfants dans sa voiture après une dure journée de travail. Ayez… un peu d’empathie. Féminine ou masculine, à vous de voir…

Philippe Sauro-Cinq-Mars

Diplômé de science politique à l'Université Laval en 2017, Philippe Sauro Cinq-Mars a concentré ses recherches sur le post-modernisme, le populisme contemporain, la culture web et la géopolitique de l'énergie. Il est l'auteur du livre "Les imposteurs de la gauche québécoise", publié aux éditions Les Intouchables en 2018.

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