Categories: Opinions

Deep Sky mise sur la capture directe du carbone pour faire du Canada un leader climatique mondial

Paula Duhatschek, journaliste pour CBC News, rapporte que l’entreprise montréalaise Deep Sky s’est lancée dans un pari ambitieux : capter le dioxyde de carbone directement dans l’air, le liquéfier et l’enfouir sous terre, tout en bâtissant un modèle d’affaires capable de rentabiliser cette opération. Ce projet de géo-ingénierie, actuellement en phase expérimentale à Innisfail, en Alberta, pourrait bien positionner le Canada à l’avant-garde mondiale de la lutte contre les changements climatiques — pour peu que les obstacles économiques soient surmontés.

Une «Olympiade du carbone» en pleine prairie albertaine

Au bord de la route près d’Innisfail, à environ 120 km au nord de Calgary, une grande tente arbore le nom Deep Sky dans une typographie rétro évoquant les jeux d’arcade. Derrière cette façade colorée se déploie un site pilote d’environ deux hectares qui héberge huit technologies de capture directe de l’air (DAC). Chacune tente de démontrer son efficacité à aspirer le CO₂ de l’atmosphère pour ensuite l’acheminer vers un centre de compression et de stockage souterrain.

Paula Duhatschek précise que Deep Sky prévoit sélectionner les technologies les plus performantes dans le climat canadien pour les déployer à l’échelle industrielle partout au pays. Alex Petre, nouvelle PDG de l’entreprise, admet que tout reste encore à prouver : « A-t-on déjà fait fonctionner ce système à -30 °C? Non, pas encore », lance-t-elle.

Malgré l’incertitude, Deep Sky a déjà entamé des démarches pour deux projets commerciaux — un au Québec, l’autre au Manitoba —, même sans avoir encore arrêté le choix technologique ni bouclé le financement.

Un contexte politique nord-américain en mutation

Damien Steel, PDG sortant de Deep Sky et aujourd’hui conseiller stratégique, affirme à la CBC que le moment est propice pour le Canada. Il croit que les reculs politiques des États-Unis sous l’administration Trump en matière de climat pourraient transformer le Canada en leader mondial du captage carbone : « Il y a un an, le Canada était loin derrière les États-Unis. Aujourd’hui, je crois que nous avons l’opportunité de passer devant. »

Deep Sky n’est pas seule dans cette course. Paula Duhatschek rappelle que Carbon Engineering, basée à Squamish en Colombie-Britannique, a été rachetée en 2023 par Occidental Petroleum et développe actuellement ce qui pourrait devenir la plus grande usine de capture d’air directe au monde, au Texas.

Des crédits carbone au cœur du modèle d’affaires

Plutôt que de vendre ses machines, Deep Sky mise sur la vente de crédits carbone générés par l’extraction de CO₂. L’entreprise a déjà signé un accord avec RBC et Microsoft pour retirer 10 000 tonnes de CO₂ sur une décennie.

Cependant, Duhatschek note que les analystes de la banque d’investissement Jefferies considèrent ces crédits comme étant « exorbitamment chers ». De plus, la demande reste limitée : selon Tim Bushman, de l’organisme Carbon Removal Canada, seules une douzaine d’entreprises canadiennes ont acheté de tels crédits à ce jour.

Le marché dépend fortement d’acteurs comme Microsoft. Or, Warren Mabee, directeur de l’Institut pour la politique énergétique et environnementale de l’Université Queen’s, souligne qu’en période économique difficile, les entreprises sont moins enclines à investir dans des gestes volontaires coûteux.

Un appui public et une stratégie de long terme

Malgré les défis, Deep Sky reçoit un soutien fiscal fédéral, ce qui, selon Damien Steel, aidera à réaliser ses premiers projets commerciaux. Il confie à CBC que le site d’Innisfail devrait commencer à capter et à stocker du carbone dès l’été 2025, et continuera à opérer en tant que centre de test pendant 20 ans.

L’ancien chef du Pembina Institute, Ed Whittingham, travaille quant à lui sur une initiative de « marché avancé » où des entreprises s’engagent à acheter des crédits carbone à l’avance, ce qui permettrait aux développeurs de franchir le seuil de rentabilité nécessaire à l’investissement initial.

Au niveau fédéral, la plateforme électorale de Mark Carney — aujourd’hui premier ministre — mentionne explicitement l’ambition de faire du Canada un chef de file mondial du captage et du stockage du carbone.

Un pari risqué, mais porteur d’espoir

Alors que certaines entreprises reculent publiquement sur leurs engagements climatiques, Damien Steel demeure optimiste : « J’ai foi qu’au fond, les humains se soucient véritablement de notre avenir. » Selon lui, les coûts baisseront à mesure que les technologies se raffinent, et la demande devrait croître, surtout si le Canada parvient à offrir un environnement stable et incitatif pour ce secteur naissant.

Comme le conclut Paula Duhatschek dans son article, la promesse d’un Canada pionnier dans la capture directe du carbone repose encore sur une série de paris techniques, économiques et politiques. Mais Deep Sky espère qu’en visant les étoiles, elle pourra au moins nettoyer un peu le ciel.

La Rédaction

Recent Posts

Toronto : un futur refuge pour sans-abri réservé aux noirs suscite des débats

Justin Holmes rapporte pour le Toronto Sun qu’un projet controversé de la Ville de Toronto…

4 heures ago

Retailleau à la tête d’un parti en ruine ; Ghislain Benhessa doute d’un renouveau

Depuis 2012, la droite classique française est en chute libre. Les Républicains ont perdu le…

8 heures ago

« Ne touchez pas à nos enfants » : événement chrétien perturbé par les activistes LGBTQ+

Le samedi 24 mai 2025, un rassemblement organisé par le groupe chrétien conservateur MayDay USA…

10 heures ago

Asmongold et Elon Musk : un partenariat stratégique pour enterrer Twitch?

Dans un article publié le 28 mai 2025 par Sports Illustrated, Trent Murray rapporte que…

12 heures ago

Entre service discutable et nostalgie : Postes Canada à la croisée des chemins

La menace de grève chez Postes Canada fait ressurgir une question inconfortable : devons-nous permettre…

23 heures ago