La question peut sembler de prime abord farfelue : comment des citoyens pourraient être désintéressés par leur propre pays? Par définition, ce sont précisément les intérêts des citoyens qui sont concernés par la politique du pays dans lequel ils vivent. Néanmoins, nous savons bien que la situation politique du Québec au sein du Canada entraîne inévitablement ce phénomène où une grosse proportion de la population ne veut rien savoir de tout ce qui touche au Canada. Le Québec étant une société distincte, ils ne considèrent pas le Canada comme leur pays et se détournent de lui. Tout en continuant de lui payer des impôts…

C’est bien le problème : on peut aspirer pour le Québec de devenir un pays, mais d’ici à ce que ce rêve se réalise, nous faisons toujours partie du Canada et sommes tout autant concernés par ce qui s’y passe. En cette fête du Canada où Trudeau vit probablement son dernier été en tant que premier ministre, il serait bon de se le rappeler.

Étant moi-même très nationaliste, j’ai néanmoins toujours eu un problème avec ce boudage obstiné qui essaie de se faire passer pour de la résistance. Les exemples pleuvent : on fête le déménagement plutôt que la Fête du Canada pour faire un pied de nez au fédéral, on méprise l’armée canadienne – et même ses sacrifices pendant la deuxième guerre – parce qu’elle relève du fédéral, on discrédite systématiquement les vrais partis fédéraux sous prétexte que ce n’est pas notre vrai pays…

C’est bien beau vouloir respecter ses propres principes, mais d’un point de vue pragmatique, ça ne fait pas vraiment de sens. On réduit considérablement notre éventail de choix et on confine notre pouvoir collectif à un rôle passif et, bien franchement, stagnant.

D’un point de vue individuel, la question se pose inévitablement aux souverainistes quand vient le temps de se rechercher un emploi et de réaliser les postes alléchants offerts par le fédéral – si vous respectez leurs critères de diversité à l’embauche, évidemment… D’un point de vue collectif, le dilemme se présente quand vient le temps de voter. Bien des Québécois se sentent obligés de voter pour un parti qui n’offre aucune représentation ailleurs au Canada, et donc, aucune chance de prendre le pouvoir.

On peut certainement arguer que le Bloc Québécois, dans une perspective de préférence nationale, agit comme notre « chien de garde » à Ottawa, et on peut aussi ajouter la possibilité de faire pencher la balance lors des votes en chambre, mais ultimement, ces remparts sont bien ténus. D’autant plus que le Bloc a prouvé à maintes reprises qu’il ne dédaignait pas voter du côté de Justin Trudeau et ce malgré tous les scandales qui continuent de le décrédibiliser.

À bien des égards, le Bloc s’est révélé un allié objectif des libéraux de Trudeau dans les dernières années. Et dans un réflexe gauchiste pavlovien, les Québécois semblent paradoxalement détester plus les Conservateurs, malgré le fait qu’ils soient plus décentralisateurs et que ce ne soit nulle autre que Stephen Harper qui ait reconnu officiellement la nation Québécoise.

Bref, je ne m’attends pas nécessairement à convaincre mes compatriotes de fêter le Canada dans la joie le 1er juillet prochain, mais je voulais à tout le moins présenter ma perspective à ce sujet. Pour moi, il n’y a pas d’incohérence dans le fait de célébrer et/ou être préoccupé par des enjeux canadiens alors que je suis un nationaliste québécois. Il n’y a pas d’incohérence à voter pour un parti de pouvoir fédéral ou de travailler pour le fédéral tout en militant pour un Québec souverain.

C’est tout simple : le système fédéral réparti des compétences entre les paliers de gouvernements, ainsi, pour tous les champs de compétences administrés par le fédéral, je les juge comme nôtres tout autant que ceux qui sont administrés par le provincial. Autrement dit, tant et aussi longtemps que je paierai de ma poche pour ces services fédéraux, je me sentirai concerné comme un Canadian des prairies ou des rocheuses.

De manière plus concrète, ça veut dire que je n’ai pas honte d’être fier de notre armée et de ses accomplissements dans l’histoire. L’armée québécoise, en ce moment, ce sont tous ces régiments francophones légendaires tels que le Royal 22ième régiment, le régiment de la Chaudière, les voltigeurs de Québec, etc. Je n’ai pas honte non plus de ressentir une certaine solidarité avec mes concitoyens anglophones dans leurs appels à vaincre Trudeau. Je n’ai pas honte de me préoccuper de l’image que projette le gouvernement fédéral à l’étranger autant que celle du gouvernement québécois ; c’est elle que la communauté internationale voit.

Et si tout ça semble trop « extrême » pour beaucoup de souverainistes, j’aimerais leur rappeller que je n’ai jamais vu un seul Québécois refuser le passeport canadien pour voyager ; qu’importe qu’il soit affublé d’armoiries royales britanniques, si c’est ce que ça prend pour sortir du pays, ils l’utilisent fièrement partout sur terre.

Bref, ma manière de voir les choses, c’est que si le Québec veut rapatrier des champs de compétences, voir carrément proclamer son indépendance, grand bien lui fasse. Mais à l’heure actuelle, c’est complètement ridicule de ne pas se sentir concernés par le Canada dans son sens large. Nous payons pour, travaillons pour et devrions légitimement pouvoir profiter de cela en fierté tout comme en utilisation des services.

D’autant plus que le vrai combat aujourd’hui oppose les nationalistes aux mondialistes. Ainsi, je ne vois pas de bon œil que le Canada se suicide dans le « post-nationalisme », car la chose est malheureusement contagieuse. Si le Canada lui-même perd le droit d’exprimer sa culture nationale, il en ira de même du Québec avant-même qu’il ne parvienne à se séparer.

C’est pour la même raison que je juge la politique américaine très pertinente et importante dans nos vies, même si on n’est pas citoyens. Les États-Unis influencent radicalement le monde dans lequel on vit. Et c’est aussi pour ça que je suis de près la politique européenne ; elle nous en apprend beaucoup sur la nôtre, par effet miroir. De la sorte, si je suis aussi intéressé par la politique ailleurs, il ne ferait aucun sens de refuser de participer à la politique fédérale ici.

Et lorsqu’on regarde ce portrait général de la politique en 2024, on remarque un ressac conservateur contre la montée de partis de gauche libérale à la sauce postmoderne ou woke : Trudeau, Macron, Biden… tous sont en voie d’être éjectés du pouvoir au profit de partis conservateurs ou plus franchement nationalistes. C’est une excellente nouvelle et au lieu de faire bande à part comme à son habitude, le Québec devrait rejoindre la vague conservatrice avec le reste du Canada.

Car cette idée que Trudeau est un moindre mal ne peut venir que d’une population devenue ignorante à force de se désintéresser de la politique du pays dans lequel elle vit. Les Québécois ne sont pas obligé d’aimer le Canada ; mais ils ont à tout le moins le devoir de veiller à leurs intérêts en tant que citoyens canadiens.

Philippe Sauro-Cinq-Mars

Diplômé de science politique à l'Université Laval en 2017, Philippe Sauro Cinq-Mars a concentré ses recherches sur le post-modernisme, le populisme contemporain, la culture web et la géopolitique de l'énergie. Il est l'auteur du livre "Les imposteurs de la gauche québécoise", publié aux éditions Les Intouchables en 2018.

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