Duhaime vs PSPP : les épiciers à blâmer pour l’inflation?

Éric Duhaime et Paul Saint-Pierre Plamondon ont eu une prise de bec sur X(Twitter) ces derniers jours qui s’est même rendue jusqu’à des accusations mutuelles d’avoir utilisé des insultes personnelles. Le chef conservateur répliquait à une critique de PSPP contre les profits records engendrés par les épiciers en ces temps d’inflation, accusant son homologue péquiste de « ne rien comprendre à l’économie », ce à quoi PSPP a répondu en traitant Duhaime « d’ignare de classe mondiale ».

À l’origine de cette prise de bec, un tweet de Paul Saint-Pierre Plamondon qui attribue les prix records des épiciers en 2023 au manque de concurrence et à des manœuvres monopolistiques : « Si les épiciers font 6 milliards de profits, non, ils ne s’efforcent pas pour donner le meilleur prix: ils profitent plutôt de l’absence de concurrence pour fixer leurs prix et ainsi dégager des marges de profits extraordinaires. »

Il n’en fallait pas plus pour pousser Duhaime à remettre les points sur les i :

Depuis toujours, les épiciers se prennent un pourcentage sur leurs ventes. Le prix des denrées augmente, donc leurs profits suivent.

De leur côté, les familles québécoises ne peuvent pratiquement pas couper leurs achats alimentaires. Elles consomment même davantage à l’épicerie en période de crise puisqu’elles fréquentent moins les restos.

Soit Paul Saint-Pierre Plamondon et Justin Trudeau ne comprennent strictement rien à l’économie de marché, soit ils sont prêts à dire n’importe quoi pour convaincre les plus ignares qu’ils peuvent faire baisser le prix de la facture à l’épicerie. Si les péquistes et les libéraux souhaitent vraiment donner un peu de répit aux familles, qu’ils se joignent aux conservateurs pour réclamer une baisse des taxes sur l’essence. Ça aura un impact positif sur le portefeuille de toutes les familles, à commencer par une réduction du prix des denrées alimentaires.

On doit ici donner le point au chef conservateur ; si les produits qui remplissent les tablettes des épiceries coûtent plus cher, logiquement, avec une même marge de profits, les profits seront plus élevés.

C’est d’ailleurs le même principe pour les pourboires : les serveurs savent bien que plus une assiette coûte cher, plus leur pourboire sera élevé. L’inflation avait donc cet avantage contre-intuitif pour eux. Va-t-on commencer à traiter les serveurs de sans coeur de continuer à s’attendre à du 15%?

La véritable question n’est pas la marge de profit des épiciers, mais pourquoi les denrées alimentaires coûtent si cher en premier lieu. Et pour ça, il faut une analyse beaucoup plus vaste des choses qui ne fonctionnent pas dans nos économies. La sur-taxation de tous les aspects de la production, de la distribution et de la vente, la sur-réglementation qui tue la compétition et le dynamisme du marché, les politiques économiques dissuasives ou carrément destructrices de nos politiciens, etc.

Faire porter la hausse du coût de la vie sur les épaules des épiciers va très loin dans la naïveté et une sorte de vision étroitement marxiste du monde… Si « ignare » était un mot un peu fort de la part de Duhaime, Paul Saint-Pierre Plamondon méritait d’être rappelé à l’ordre pour cette analyse de surface digne d’un activiste du cégep.

Pour soutenir son point, le chef conservateur a partagé un graphique représentant les marges de profits des grands épiciers canadiens, qui démontre clairement que leur marge de profit est restée stable ces dernières années :

Selon la logique de Paul Saint-Pierre Plamondon, les épiciers devraient-ils diminuer leur marge de profit par solidarité sociale? Il faut quand même se rappeler que les épiceries ne sont pas des organismes de charité, et que les prix montent pour eux aussi. Pourquoi devraient-ils s’imposer cet appauvrissement relatif en diminuant soudainement leur marge de profit? Ça ne fait aucun sens.

Sans parler du fait que le chef du PQ propose « la création d’un Bureau de la Concurrence québécois avec des pouvoirs d’enquête accrus et l’imposition des surprofits de ces entreprises », autrement dit, plus de réglementations et de taxation. Deux choses qui ralentissent l’économie, dissuadent les investissements et, en bout de ligne, contribuent à notre piètre pouvoir d’achat.

Ce n’est pas nécessairement que lutter contre les monopoles n’est pas important en soi et qu’une telle initiative est vaine, mais dans le dossier du coût des paniers d’épicerie, c’est carrément se tromper de cible.

Intervenant dans le débat avec un long texte argumenté, l’économiste Vincent Géloso a rappelé à PSPP que le manque de concurrence au Québec n’est pas que le fruit d’un complot machiavélique des entreprises, mais un résultat du climat réglementaire et tarifaire : « Le plus grand obstacle à la concurrence dans le domaine des épiceries c’est l’État québécois. Il érige beaucoup trop de barrières à l’entrée (et donc à la concurrence.) »

Les deux chefs de partis ont fini par s’excuser mutuellement de s’être emportés et se sont souhaité un bon temps des fêtes, non sans finir avec des petites pointes légitimatrices chacun de leur côté : PSPP affirmant que Duhaime avait commencé en le traitant d’ignare en économie, et Éric Duhaime en conseillant à PSPP d’écouter Géloso autant qu’il l’a fait lors de l’écriture de son budget de l’an 1.

Somme toute, un débat très intéressant et important, qui révèle que malgré une belle ascension ces derniers mois, le PQ devra tâcher de ne pas trop tomber dans ce genre de raisonnement gauchiste démagogique, et que le parti conservateur a toujours des chances d’offrir une petite dose de réalité à l’arène politique québécoise.

Philippe Sauro-Cinq-Mars

Diplômé de science politique à l'Université Laval en 2017, Philippe Sauro Cinq-Mars a concentré ses recherches sur le post-modernisme, le populisme contemporain, la culture web et la géopolitique de l'énergie. Il est l'auteur du livre "Les imposteurs de la gauche québécoise", publié aux éditions Les Intouchables en 2018.

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