École Bedford : la laïcité peut-elle endiguer l’entrisme religieux?

Le cas de l’école primaire Bedford, située dans le quartier Côte des Neiges à Montréal, continue de susciter de vives réactions. Les principales, nous le savons, concernent les craintes d’une islamisation insidieuse de l’éducation au Québec, et ce, malgré la loi sur la laïcité. Mais aussi, certains commentateurs ont relevé avec surprise le fait que des éléments de discipline mentionnés dans le rapport, qui rappelle l’éducation traditionnelle basée sur le rapport maître-élève, les rejoignaient et leur rappelaient leurs écoles catholiques d’antan.

L’entrisme islamique

Samedi soir dernier, le Centre de services scolaire de Montréal (CSSDM), a publié un communiqué annonçant qu’il avait demandé à l’école de procéder à la suspension des 11 enseignants qui sont désignés comme constituant le noyau dur du « clan dominant » dans le rapport du Ministère de l’Éducation. Ces professeurs ne sont pas renvoyés. Ils sont suspendus avec salaire le temps d’une enquête qui décidera de leurs sorts.

Le groupe de 11 enseignants, qui seraient d’origine maghrébine, a été accusé de faire régner un « climat de terreur » envers les élèves et d’autres membres du personnel dans l’établissement scolaire, notamment par des pratiques autoritaires et des comportements intimidants.

Le chef du Parti Québécois Paul Saint-Pierre Plamondon dénonce un « entrisme religieux » en milieu scolaire; un entrisme qu’il qualifie d’islamiste. Selon le ministre de l’Éducation Bernard Drainville, il s’agit avant tout de divergence idéologique, causée par un groupe avec une « vision rétrograde » de l’école qui a décidé d’en prendre le contrôle.

L’influence religieuse n’est pas fantasmée. La proximité des enseignants visés avec le Centre communautaire Darlington, situé à un coin de rue de l’école, le démontre. Ce centre propose des horaires de prière ainsi que l’enseignement du Coran et ressemble davantage à une mosquée. Le rapport cite: « une forte influence du milieu communautaire sur plusieurs membres du personnel de l’école Bedford ».

On constate un lien de sympathie entre deux pages Facebook [dont le contenu n’est plus public depuis quelques jours]: celle du Centre communautaire Darlington et une autre appelée Parents de l’école Bedford [qu’on comprend sympathique au « clan dominant »]. Le 24 avril 2023, la page du centre publiait: « Un grand merci à l’école Bedford et surtout la directrice Mme Fatiha Djebbar pour sa collaboration pour nous permettre de fêter Aïd el-Fitr ». La fête de fin du Ramadan a effectivement eu lieu dans le gymnase de l’école. Sur l’une des pages, on annonce que la réunion des parents d’élèves aura lieu au Centre communautaire.

La directrice Fatiha Djebbar semble avoir protégé le « clan dominant ». Une fois son entrée en fonction, le plan d’action entrepris par son prédécesseur pour gérer le conflit entre les deux clans d’enseignants a vite été abandonné, et la conseillère pédagogique assignée au dossier évincée du milieu scolaire.

En mai 2023, suite au reportage radiophonique exposant la situation à l’école, la page du centre a partagé un statut incitant ses sympathisants à signer une pétition Avaaz: « Soutenons les enseignants et la directrice de l’école Bedford: Des ex employés et enseignants de l’école Bedford Montréal racontent  des mensonges au media contre les enseignants et la directrice actuel en prétendant que le climat est toxique alors que c’est faut. De plus ils n’arrêtent pas de dire qu’ils sont des musulmans et d’origine maghrébine comme si ces  derniers n’ont pas le droit d’enseigner au Québec en plein crise de manque d’enseignants. » [Copié/collé: les fautes étaient incluses dans le texte].

Bien que plusieurs passages du rapport soient caviardés, la volonté d’entrisme religieux est évidente. Des représentants du centre sont venus se présenter à la direction d’école pour solliciter une collaboration entre les deux établissements. Il est également question de pratiques religieuses comme des prières dans les salles de cours ou des ablutions dans les toilettes publiques qui n’étaient « pas majoritairement effectuées devant les élèves », ce qui implique que des enfants en ont été témoins dans une minorité des cas. Un des enseignants aurait fait ses rituels liés aux ablutions devant les élèves en classe. Malgré le caviardage, on devine que des enfants musulmans auraient été autorisés à prier en classe.

Il est également question d’un traitement différencié selon le sexe des écoliers. Un des enseignants aurait tenté de décourager une fille de jouer au soccer.

Un point sur lequel tous les commentateurs et politiques insistent, c’est que dans le groupe du personnel ayant dénoncé la situation, se trouverait aussi des membres de la communauté maghrébine. Et comme de fait, il y a dans le monde islamique un combat entre les Musulmans fondamentalistes et les Musulmans dits « modernes », c’est-à-dire ceux qui acceptent de vivre dans une société sécularisée. Comme l’a formulé Douglas Murray, la tragédie de l’islam doit-elle devenir celle de l’Occident?

Force est de constater que l’entrisme religieux à l’école peut s’effectuer malgré l’interdiction du port de symboles religieux ostentatoires. Pour répondre à ce qu’il qualifie « d’entrisme islamiste », Paul Saint-Pierre Plamondon propose un durcissement de la loi 21 afin de mieux baliser la laïcité. Une initiative louable qu’on ne peut qu’appuyer, même si un encadrement plus rigide de la laïcité ne garanti pas d’éradiquer le problème. Les capacités de la laïcité sont limitées lorsque confrontée à une immigration religieuse d’une telle ampleur. Le chef du Parti Québécois marque cependant un point dans sa volonté de nommer le réel, ce qui dans notre société « bien-pensante » nécessite un certain courage. Dans un point de presse, il a déploré que Bernard Drainville ait réduit l’affaire à une simple question idéologique.

Des vertus à l’éducation traditionnelle?

Ceci dit, le cas Bedford comporte néanmoins aussi une dimension idéologique qui fait abstraction de la question purement religieuse. Bien que les détails qui s’y rapportent soient dans l’ensemble moins choquants, ils constituent une part importante du rapport de 97 pages. Les fondamentalistes religieux en provenance du Maghreb ne viennent pas au Québec avec l’intention de s’assimiler aux mœurs et aux valeurs de la société d’accueil, ni à ses modes idéologiques. Dans l’attitude réfractaire de ces enseignants, il y a un rejet du modèle d’enseignement occidental et des façons de faire de l’école moderne. Le refus d’obtempérer avec les recommandations leur est peut-être singulier, mais leurs critiques peuvent trouver un écho chez certains Québécois de souche.

La dernière réforme majeure de l’éducation au Québec remonte aux années 1990 et au début des années 2000. La « Réforme du renouveau pédagogique », qui visait à moderniser le système éducatif, a aussi introduit des changements importants dans les méthodes d’enseignement et l’évaluation des élèves. Les concepts tels que l’adaptation aux besoins individuels des élèves et la pédagogie différenciée ont été intégrés dans les programmes scolaires pour répondre à la diversité des élèves et à leurs styles d’apprentissage. On a privilégié une approche plus permissive, favorisant la gestion positive des comportements plutôt que des sanctions disciplinaires strictes, faisant craindre que les élèves ne comprennent plus l’importance des règles, ni les attentes en matière de comportement. On a opté pour l’évaluation des compétences et des progrès individuels, plutôt que sur des normes académiques uniformes, au risque d’abaisser les attentes.

Le chroniqueur politique Nic Payne y allait d’une analyse semblable ce matin.

Le progressisme en gestion de l’éducation a eu un impact significatif sur la composition des classes en encourageant l’inclusion d’élèves ayant des besoins particuliers, y compris ceux avec des handicaps physiques et intellectuels. Il en résulte une grande diversité au sein des classes, avec des élèves ayant des profils socio-économiques, culturels et d’apprentissage.

Parmi les reproches adressés aux enseignants dans le rapport, il y a les mesures disciplinaires. Parmi ceux-ci: avoir envoyé un enfant turbulent au coin et remettre les travaux par ordre de notation. On les critique aussi parce qu’ils privilégient le cours magistral plutôt que l’apprentissage actif et la pédagogie différenciée. Reste le volet d’éducation sexuelle, qui comporte désormais le concept d’identité de genre, que ces enseignants de niveau primaire sont réticents à présenter.

Il ne faut pas nécessairement être un fondamentaliste musulman pour s’opposer à la propagande LGBTQ+ à la petite école, ni pour éprouver un malaise avec l’éducation sexuelle au primaire [surtout dès le premier cycle]. Il ne faut pas non plus être religieux [musulman ou autre] pour avoir la nostalgie d’un bon vieux temps ou un modèle d’éducation plus rigoureux [et pas encore revisité par le progressisme à la mode] semblait mieux faire ses preuves.

Avec la révolution tranquille, la société québécoise s’est empressée de répudier le clergé. Ce faisant, on a collectivement basculé dans l’autre extrême. Pour survivre, le Québec a tout intérêt à entretenir, valoriser et défendre son héritage catholique [ce qui peut se faire sans même être religieux]. Faisant partie du patrimoine historique et identitaire de la nation canadienne française, celui-ci constitue un meilleur rempart contre l’entrisme islamiste que la laïcité – à laquelle il ne faut pas pour autant renoncer. On peut parfaitement reconnaître l’influence historique du christianisme sur la culture, les traditions, les fêtes, et le patrimoine artistique sans renoncer à la neutralité de l’État en matière religieuse.

Ophélien Champlain

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