Encore 73 000 clients dans le noir… Est-ce vraiment le temps pour le tout-à l’électrique?

En décembre dernier, un rapport de la vérificatrice générale du Québec concluait qu’Hydro-Québec n’était « pas outillé adéquatement pour faire face au défi grandissant du vieillissement de ses actifs ». On y apprenait que notre réseau de distribution électrique était vieillissant et mal entretenu et qu’il serait nécessaire de le rénover d’urgence. Le plan d’action d’Hydro-Québec à cet effet, convenu en 2020, n’était que partiellement mis en application et n’était pas suffisant pour stopper l’augmentation continue des pannes et de leur longueur. Les conclusions de ce rapport semblent confirmées par cette succession de pannes majeures depuis quelque temps au Québec, et devraient nous faire réfléchir à deux fois avant de tout électrifier du jour au lendemain.

Bon, j’en entends déjà me dire que la panne de la semaine passée n’était pas due à des bris dans le réseau de distribution, mais bien à cause de « mesures de contrôles » en raison d’une baisse soudaine de production à la centrale de Churchill Falls au Labrador. N’en demeure pas moins qu’à chaque panne généralisée, le Québec se retrouve paralysé et otage de sa société d’État, et ses politiques actuelles de transition auront pour résultat de nous rendre encore plus dépendant d’elle.

La tendance est claire : il y a plus de pannes de plus longue durée qu’auparavant, et le pire est à venir. Dans son rapport, Mme. Leclerc précise : « la durée moyenne des pannes par client alimenté a augmenté de 63 % et le nombre de pannes est en hausse de 16 % ». Malgré les excuses qu’on peut trouver à Hydro-Québec concernant les tempêtes et le vent, la panne majeure du dernier temps des fêtes et celle causée plus récemment par le verglas sont des conséquences directes de ce manque d’entretien du réseau de distribution.

Et ce matin, c’est encore 73 000 clients d’Hydro-Québec qui se retrouvaient dans le noir dans la région de Québec à cause de quelques bourrasques. Ça commence à être un rythme de pannes assez soutenu…

Selon Hydro-Québec, 40 à 70% des ruptures de services sont causées par des bris occasionnés par des branches d’arbres qui aurait dû être coupées. L’émondage constitue donc une grande part de ce travail d’entretien qui a été lacunaire ces dernières années. Mais il faudra aussi remplacer de 7000 à 30 000 poteaux électriques ainsi que près de 40 000 transformateurs d’ici 2030 ; une tâche colossale pour Hydro-Québec, qui ne dispose actuellement pas des effectifs nécessaires pour y faire face – toujours selon la vérificatrice générale.

À sa défense, pour expliquer les difficultés en termes d’entretien et de mesures préventives, Hydro-Québec cite deux obligations qui accaparent son personnel : « l’augmentation de la fréquence et de l’intensité des évènements météorologiques liés aux changements climatiques – pensons notamment au dérécho de mai 2022 – [et] la hausse de 36 % depuis deux ans des demandes de raccordement, auxquelles nous sommes tenus de répondre ».

Il faudra probablement prouver hors de tout doute si les tempêtes sont pires qu’auparavant en raison des changements climatiques, ce qui est loin d’être évident, mais une chose est sûre, le réseau est en ce moment plus à risque lors des tempêtes en raison de son vieillissement. De la sorte, dans une dynamique de cercle vicieux, il y a plus de pannes parce que le réseau est mal entretenu, et le réseau est mal entretenu parce que les équipes sont trop occupées à réparer des bris dans le réseau…

Comble du ridicule, dans cette situation déjà problématique, il y a déjà une hausse des demandes de branchement… Et le gouvernement veut convertir à l’électrique l’ensemble des secteurs qui ne le sont toujours pas, ce qui causera encore davantage de pression sur Hydro-Québec. Des demandes militantes s’obstinent pour bannir le chauffage et les cuisinières au gaz, au point d’inquiéter Hydro-Québec, qui assure qu’il ne pourrait répondre à une telle augmentation de la demande. On souhaite remplacer tout le parc automobile à l’électrique, alors que nous importons en ce moment la totalité du pétrole nécessaire à cette immense demande énergétique qu’Hydro-Québec devrait alors combler.

Et se rappelle-t-on qu’Hydro-Québec commencera à manquer d’énergie en 2027 et qu’on doit construire de nouveaux barrages? On est en train de me dire qu’alors qu’il est surchargé et à peine capable d’entretenir son réseau de distribution, on veut qu’Hydro-Québec branche de plus en plus de clients et, cerise sur le sundea, construise de nouveaux barrages?

La réalité, c’est qu’on magasine une insécurité énergétique chronique pour le Québec, où les pannes majeures deviendront de plus en plus courantes, et où non seulement les maisons se retrouvent dans le noir, mais les voitures aussi, sans possibilité de se protéger avec un chauffage d’appoint au gaz. Et tout ça, simplement pour laver plus blanc que blanc, faire du signalement de vertu écologiste au même moment où la Chine brûle tellement de charbon qu’elle efface nos efforts annuels en quelques jours. Cette transition accélérée est un énorme « pensez-y bien » pour les Québécois, et il est minuit moins une pour le réaliser.

Philippe Sauro-Cinq-Mars

Diplômé de science politique à l'Université Laval en 2017, Philippe Sauro Cinq-Mars a concentré ses recherches sur le post-modernisme, le populisme contemporain, la culture web et la géopolitique de l'énergie. Il est l'auteur du livre "Les imposteurs de la gauche québécoise", publié aux éditions Les Intouchables en 2018.

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