C’est peut-être une impression personnelle ou un simple hasard en raison du beau temps, mais il me semble n’avoir jamais vu la fête des Patriotes autant célébrée que cette année. À Québec, en tout cas, il y a ambiance de fête ; ça se sent dans l’air. À mes souvenirs, au début des années 2000, c’est à peine si la fête était soulignée, et encore, c’était plutôt limité aux caribous indépendantistes. Et quand on pense au déclin de la Saint-Jean-Baptiste, disons que ça redonne un peu espoir que la fierté nationale réémerge là où on ne l’attend pas. Serait-ce en raison de la controverse autour de l’affiche de Desjardins, qui affichait un drapeau canadien pour souligner le congé férié et qui a fait qu’on a parlé beaucoup des Patriotes cette semaine? Ce serait un avantage inespéré de ce cafouillage…
Quoi qu’il en soit, cette affiche de Desjardins pour la journée des Patriotes est quand même un sacré bon argument pour que le Musée national de l’Histoire du Québec traite exclusivement de l’histoire des Canadiens-Français et ce, sans bouillie diversitaire militante.
La pression révisionniste
L’histoire est une discipline qui, au gré des découvertes, évolue constamment. Il y a d’abord le fait que nous devons souvent spéculer en se basant sur des sources fragmentaires, comme c’est le cas en histoire ancienne, ce qui fait en sorte que rien n’est jamais coulé dans le béton. Néanmoins, le fonctionnement strict de la discipline assure habituellement un haut niveau de fiabilité. Lorsque les historiens ne savent pas quelque chose, ils l’admettent ouvertement, et tout doit être méticuleusement sourcé.
Mais ça, c’est pour les historiens ou chercheurs en sciences sociales ; pour le commun des mortels, l’histoire, c’est surtout de « l’historiographie », c’est-à-dire, comment l’Histoire est communément racontée, quelles sont les « grandes lignes » qu’on lui prête au sein d’une société.
Par exemple, on peut en convenir que l’historiographie officielle au Québec est celle d’un peuple français d’Amérique conquis par les Anglais et qui est sorti de sa « grande noirceur » dans les années 60. C’est habituellement autour de ce récit que se construit notre réflexion historique.
Et à ce sujet, des débats animés peuvent surgir, avec certains pensant par exemple que l’historiographie officielle met trop l’accent sur tel ou tel aspect de notre histoire, ou qu’il a tendance à « invisibiliser » d’autres éléments importants. Et ces débats sont très importants, car si l’histoire aspire à être précise et factuelle, l’historiographie, elle, sombre facilement dans un romantisme que la politique est prompte à récupérer.
Maintenant, en notre époque, on remarque une sensibilité à fleur de peau sur le sujet, avec de nombreux activistes faisant tout en leur pouvoir pour remettre en question l’historiographie des nations occidentales. S’il est vrai que toute historiographie est critiquable, ces mouvances politiques vont néanmoins un peu plus loin en outrepassant le débat et en tentant de modifier les cursus scolaires et les lieux de culture pour les adapter à leur interprétation de l’histoire.
On parle donc de plus en plus d’une pression « révisionniste » dans l’apprentissage de l’histoire, et le Québec n’est pas épargné. Le révisionnisme n’est pas simplement une critique ou un débat sur l’historiographie officielle, mais une tentative de littéralement la réécrire pour l’aligner avec un agenda politique. C’est un peu ce qu’on observe dans cette pression croissante pour faire place à « plus de diversité » dans notre récit historique : ce n’est pas le souci d’une histoire plus précise qui l’anime, mais une volonté d’être en adéquation avec l’idéologie multiculturaliste canadienne. Autrement dit, de l’ingéniérie sociale.
Chaque chose en son temps
Saviez-vous qu’avant de peindre dans son style cubiste célèbre, Picasso peignait des paysages et des portraits au réalisme ahurissant? On dit aussi souvent en musique qu’avant d’expérimenter des sons inusités avec son instrument, il faut savoir faire ses gammes. Un saxophoniste jazz ne peut faire de « l’overblow » satisfaisant qu’après des années de pratique. Bref, mon point étant que comme beaucoup de choses dans la vie, il faut d’abord connaître les bases d’une discipline avant de tenter de la surpasser.
C’est un peu le problème avec la vision actuelle que les gens ont de l’apprentissage de l’histoire : beaucoup de militants tentent de sauter des étapes en enseignant les sujets historiques qu’ils trouvent importants avant même que les jeunes n’aient de réelles bases en histoire. Et semblent mettre un accent particulier, notamment, sur l’histoire sociale et l’histoire des minorités.
Le problème, c’est qu’aussi passionnant et important que ça puisse paraître, ce sont là des sous-thèmes de l’histoire en général qu’on tente de faire passer comme un thème principal à un public qui n’est pas formé pour faire ces nuances. D’autant plus qu’il s’agit souvent de critiques de l’historiographie traditionnelle qui, encore une fois, nécessiterait des bases plus solides pour savoir ce qu’on critique exactement.
On ne peut simplement enseigner la critique de l’histoire aux jeunes sans leur avoir préalablement enseigné l’histoire ; on crée ainsi des générations qui se retrouvent dans la critique aveugle et systématique. L’historiographie officielle devient un vulgaire « des blancs colonialistes ont génocidé les Premières Nations et continuent d’être racistes même aujourd’hui ». Vous direz que j’exagère, mais à peine…
Dans le meilleur des mondes, oui, certainement, tout le monde serait cultivé et soucieux des enjeux de l’histoire sociale et des minorités, mais en réalité, dans la majorité des cas, il s’agit de sujets qui ne sont réellement passionnants ou importants que pour des gens préalablement passionnés par l’histoire, la sociologie ou la politique.
Je vous donne un exemple : je suis personnellement fasciné par les écrits d’Alain Corbin, qui écrit des briques sur des sujets tels que « L’histoire du silence », « l’avènement des loisirs », « l’histoire des sensibilités » etc. On y apprend tellement sur des choses qu’on prend pour acquises, comme par exemple le fait que le premier tourisme balnéaire a démarré au XIXe siècle sous la forme de cures de santé prescrites par des docteurs, le fait que le « nightlife » dans les villes n’a réellement commencé qu’avec l’arrivée de l’éclairage électrique des rues, le fait que les « loisirs » dans leur sens moderne ne sont apparus qu’avec la révolution industrielle et le travail salarié, qui séparait le temps de travail du « temps libre » plus distinctement, etc.
Tout ça est passionnant, mais mon point, c’est que ça ne l’est probablement que pour les initiés… Et encore faut-il initier les jeunes pour qu’ils en viennent à fouiller plus profondément dans les archives de l’histoire plus tard.
Il est absolument essentiel qu’on enseigne une historiographie nationale simple et efficace. C’est une base à partir de laquelle la réflexion historique peut ensuite fleurir. Les jeunes des écoles primaires et secondaires ne sont pas encore assez formés pour qu’on leur offre une histoire sociale critique du Québec. Point à la ligne. C’est carrément mettre la charrue devant les bœufs. Ils doivent d’abord savoir quelle est l’histoire du Québec pour ensuite remettre en question le récit, s’ils le souhaitent. Ils auront amplement le temps d’en débattre au Cégep, à l’Université et dans leur vie adulte… Chaque chose en son temps.
Traiter les enfants comme des adultes
Mais tous ces débats au sujet de l’histoire semblent symptomatiques d’une tendance générale dans notre société à traiter de plus en plus les jeunes comme des adultes, et particulièrement dans des sujets extrêmement polarisants. Une sorte de tendance pédagogique étrange cherche constamment à s’adapter à eux au lieu de leur imposer une discipline et un ordre du jour précis. Leurs caprices sont élevés au statut de considérations d’importance.
Mais plus que tout, on tente de sauter des étapes dans leur apprentissage et de leur enseigner des sujets trop avancés pour leur âge. Nous avons ici l’exemple de l’histoire, qui est devenue plus de l’ordre de l’histoire sociale ou de l’histoire critique, mais on en a un autre exemple avec l’éducation sexuelle, notamment. Beaucoup de professeurs sautent ainsi des étapes par réel souci de faire de leurs élèves des êtres « conscientisés », mais ne réalisent pas qu’à un si jeune âge, leur intellect n’est pas assez formé pour réellement avoir une perspective critique sur ces sujets. Ils devront tout réapprendre, rendus à l’université…
Bref, tout ça pour dire qu’en cette Fête de Patriotes 2024, nous avons grandement besoin de renouer avec notre histoire nationale, épurée des débats wokes qui l’entourent et l’enveniment. Ça ne veut pas dire d’être d’accord avec tout ce qu’elle contient ou de cesser de débattre de sujets historiques, mais simplement de le faire au bon endroit au bon moment. Tout jeune a droit de connaître les grandes lignes de son histoire avant de plonger plus en profondeur dans sa critique : encore faut-il que nos écoles et nos musées fournissent un tel apprentissage.
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Traduit de l’anglais. Article de Adrian Ghobrial publié le 14 novembre 2024 sur le site…