Fuite des cerveaux : Richard Florida tire la sonnette d’alarme sur l’exode des talents canadiens

Dans un billet d’opinion publié par The Globe and Mail, l’urbaniste et professeur d’économie à l’Université de Toronto Richard Florida sonne l’alarme sur un paradoxe inquiétant : malgré une montée du sentiment anti-Trump au Canada et un discours politique axé sur l’indépendance face aux États-Unis, le pays continue de perdre ses meilleurs talents au profit de son voisin du Sud. Dans cet article intitulé Canada still faces a massive brain-drain problem, Florida met en lumière l’ampleur persistante – et même croissante – de cette « fuite des cerveaux » qui, selon lui, mine le potentiel économique du pays.

Un exode qui déjoue la rhétorique politique

Richard Florida explique que l’arrivée au pouvoir de Mark Carney s’est faite sur une vague d’exaspération envers le trumpisme, avec des promesses de rupture vis-à-vis de la dépendance commerciale et sécuritaire envers les États-Unis. Les Canadiens, lassés par les menaces tarifaires et les discours clivants de Donald Trump, manifestent un désir clair de distanciation : six sur dix affirment être moins enclins à se rendre aux États-Unis, et les données sur les passages frontaliers confirment une baisse importante.

Cependant, ce repli politique et culturel n’a pas eu pour effet de retenir les cerveaux canadiens. Florida souligne que l’exode des talents, notamment des entrepreneurs prospères, des cadres financiers et des professionnels de la haute technologie, continue à s’accélérer. Ce phénomène ne touche plus seulement les jeunes diplômés en quête de perspectives, mais désormais aussi les quadragénaires et quinquagénaires à l’apogée de leur carrière, ayant déjà construit leur réussite au Canada.

Miami, nouvel Eldorado pour les élites torontoises

Le professeur affirme en avoir été témoin direct : plusieurs entrepreneurs torontois à succès ont récemment quitté le pays pour s’installer à Miami, séduits par un climat plus favorable – fiscalement, économiquement et symboliquement. Richard Florida note que, contrairement aux générations précédentes qui migraient pour saisir des opportunités indisponibles au Canada, ces nouveaux expatriés partent par désillusion, convaincus que la trajectoire actuelle du pays ne leur permet plus d’épanouir leur vision.

Il relate également un changement d’attitude frappant chez ses étudiants : alors que plus de 95 % des diplômés en MBA de l’Université de Toronto envisageaient autrefois de rester dans la métropole ontarienne, ils sont désormais moins de la moitié à exprimer cette intention. Des villes comme Londres, Singapour, Hong Kong et Dubaï figurent désormais en tête de leurs préférences post-diplôme.

Un phénomène massif et documenté

L’analyse de Florida est étayée par des données révélatrices. Il cite un sondage réalisé pendant la dernière campagne électorale fédérale, selon lequel près de 30 % des millionnaires canadiens seraient plus enclins à quitter le pays qu’il y a quatre ans. Leurs principales motivations : un pessimisme croissant quant à la qualité de vie et aux perspectives économiques nationales. En 2022, plus de 50 000 Canadiens de naissance ont déménagé aux États-Unis, ce qui représente une hausse de 50 % par rapport à la période pré-pandémique. En tout, ce sont plus de 820 000 Canadiens d’origine qui résident actuellement aux États-Unis – l’équivalent de la population d’une ville comme Winnipeg.

Les universités ne suffisent pas à freiner l’hémorragie

Richard Florida reconnaît que Mark Carney a posé certains jalons positifs, notamment en promettant des investissements significatifs dans la recherche universitaire, dans des domaines-clés comme l’intelligence artificielle, les biotechnologies, les énergies propres et la fabrication de pointe. Il voit également dans le désengagement américain du financement universitaire, accentué par Trump, une occasion pour le Canada d’attirer des chercheurs désillusionnés.

Mais, avertit-il, « de grandes universités ne bâtissent pas à elles seules de grandes économies de l’innovation ». Le véritable moteur de l’économie numérique et technologique reste l’écosystème entrepreneurial – c’est-à-dire l’accès au capital de risque, le dynamisme des startups et la densité des réseaux d’affaires. Or, selon Florida, les trois grandes villes canadiennes – Toronto, Vancouver et Montréal – n’attirent qu’une fraction infime des investissements de capital-risque par rapport aux géants américains que sont San Francisco, New York et Boston.

Repatrier les cerveaux pour bâtir l’avenir

Florida conclut que le Canada doit impérativement inverser cette tendance s’il veut espérer tirer pleinement profit de son potentiel intellectuel et économique. Il souligne que le parcours international de Mark Carney – ancien gouverneur de la Banque du Canada, mais aussi de la Banque d’Angleterre – pourrait lui conférer une légitimité unique pour comprendre les motivations de ceux qui partent et, peut-être, pour les convaincre de rester ou de revenir.

À condition toutefois, précise-t-il, de mettre en œuvre des politiques ambitieuses pour stimuler l’écosystème entrepreneurial et rétablir la confiance envers le futur du pays. « Ce n’est qu’en stoppant cette hémorragie incessante de talents que le nouveau gouvernement pourra libérer l’économie de l’innovation canadienne et ancrer durablement la prospérité du pays », conclut Richard Florida dans son analyse pour The Globe and Mail.


Texte basé sur la tribune de Richard Florida, professeur à l’Université de Toronto, publiée le 19 mai 2025 dans The Globe and Mail sous le titre « Canada still faces a massive brain-drain problem ».

La Rédaction

Recent Posts

Léon XIV comme médiateur dans les pourparlers entre la Russie et l’Ukraine ?

Le 19 mai 2025, l'ancien président américain Donald Trump a annoncé sur Truth Social avoir…

2 heures ago

Un lien entre le Victoria Day et la Fête des Patriotes ? Le gouvernement responsable

Le troisième lundi de mai, le Canada célèbre le Victoria Day, une fête en l'honneur…

8 heures ago

Palm Springs : un terroriste anti-nataliste s’attaque à une clinique de fertilité

Sarah Raza et Eric Tucker expliquent, pour l’Associated Press et relayé par le Toronto Star,…

8 heures ago

Le Canada dépend des États-Unis pour lutter contre la contrebande d’armes à feu

Par la rédaction, d’après un reportage original de Greg Mercer pour le Globe and Mail,…

10 heures ago

Henri Julien et Le Vieux de ’37

Chaque troisième lundi de mai, le Québec célèbre la Journée nationale des Patriotes, en mémoire…

11 heures ago

Baisse de l’inflation à 1,6 % : la fin de la taxe carbone freine la hausse des prix

Craig Lord, journaliste pour La Presse Canadienne, rapporte dans un article publié par CTV News…

12 heures ago