Gaz naturel canadien : Mario Dumont a raison — mais Québec aussi doit arrêter de s’auto-saboter

Le 30 août 2025, Mario Dumont publiait un billet percutant dans le Journal de Montréal intitulé « Quand le Canada fait rire de lui et perd de l’argent ». Il y dénonçait la volte-face du Canada en 2022, où le gouvernement Trudeau a préféré proposer de l’« hydrogène vert » à l’Allemagne plutôt que du gaz naturel liquéfié (GNL), alors même que l’Europe était en crise énergétique. Une décision morale, mais coûteuse — le gaz canadien s’est tout de même vendu à prix réduit aux États-Unis qui ont réalisé un profit à notre place. Lors de la visite du chancelier allemand Olaf Scholz, Trudeau avait même évoqué l’absence d’« analyse de rentabilité » pour les terminaux GNL de la côte Est — une phrase rapportée à juste titre comme le symbole d’une occasion manquée.

Mais cette faute n’est pas uniquement fédérale : dans cette histoire, le Québec a joué un rôle tout aussi paradoxal. Derrière la façade d’une province verte, il se cache une décision aussi radicale que contre-productive sur le plan géopolitique et économique.

Une législation « zéro hydrocarbures » qui ferme toutes les portes

La décision de l’Assemblée nationale en 2022 n’était pas qu’un simple virage politique : c’était un arrêt brutal d’une filière entière. Après avoir déjà rejeté officiellement le projet Énergie Saguenay en 2021 — un terminal qui devait permettre d’exporter le gaz albertain à partir du Saguenay en utilisant l’hydroélectricité pour réduire les émissions — le gouvernement Legault a choisi d’aller plus loin encore. En avril 2022, il a adopté une loi bannissant à perpétuité toute recherche, exploration et production d’hydrocarbures sur le territoire québécois. Cette mesure a annulé d’un coup 182 permis encore valides, couvrant plus de 32 000 km² selon les données compilées par Le Devoir (Alexandre Shields et François Carabin, 20 octobre 2021).

Le programme d’indemnisation prévu par Québec n’a rien eu de généreux : 100 millions de dollars à partager entre toutes les entreprises, avec un plafond par projet équivalent à 75 % des coûts de démantèlement. Pour plusieurs acteurs privés, qui avaient investi des centaines de millions depuis quinze ans, l’opération s’apparente à une expropriation déguisée. Comme l’a souligné le Financial Post (24 juin 2022), les développeurs avaient investi près de 500 millions dans des forages et études géologiques, notamment dans le schiste d’Utica. Résultat : Utica Resources, qui évaluait ses actifs récupérables à environ 67 milliards de dollars, a intenté une poursuite de 18 milliards contre le gouvernement du Québec.

Cette séquence n’a rien d’une politique énergétique planifiée : c’est un verrouillage idéologique total. Comme le soulignait David Yager dans EnergyNow.ca (16 octobre 2022), Québec est devenu la première juridiction au monde à inscrire explicitement dans la loi un tel bannissement, et ce, quelques semaines à peine après l’invasion de l’Ukraine et les appels pressants des alliés occidentaux pour sécuriser des approvisionnements non russes. Pendant que l’Agence internationale de l’énergie exhortait le Canada à accroître ses livraisons, le Québec s’offrait en vitrine comme modèle de vertu climatique… au prix d’une fracture avec la réalité géopolitique.

Quand le Québec pourrait devenir un maillon clé — et pas juste desservir l’Alberta

Il est vrai que l’Alberta, avec son réseau de pipelines intégré aux États-Unis, constitue le cœur productif de la filière canadienne. Mais réduire le rôle du Québec à celui de simple « corridor » est une vision étriquée. La province possède des atouts uniques pour devenir une plateforme industrielle d’exportation : ports en eau profonde sur le Saint-Laurent, proximité directe avec l’Atlantique, expertise maritime, et surtout, une électricité abondante et décarbonée.

C’est d’ailleurs ce qui faisait la force du projet Énergie Saguenay : utiliser l’hydroélectricité pour alimenter une usine de liquéfaction de GNL, réduisant de 84 % les émissions par rapport à un projet comparable aux États-Unis (évaluation environnementale du promoteur, citée par Yager). En d’autres termes, le Québec aurait pu fournir à l’Europe un gaz à intensité carbone minimale — une alternative crédible au charbon et au gaz russe, tout en respectant les standards climatiques les plus stricts.

Le potentiel n’est pas théorique : le schiste d’Utica, dans les basses terres du Saint-Laurent, contient entre 135 et 235 trillions de pieds cubes de gaz en place selon l’Institut canadien de recherche énergétique (2015). Même en retenant une estimation prudente de 18 tcf récupérables, cela représente des décennies d’autonomie énergétique pour le Québec lui-même, ou des exportations massives vers l’Europe et l’Asie. Michael Binnion, PDG de Questerre, a longuement plaidé — y compris dans nos colonnes (Québec Nouvelles, 31 août 2022) — pour un développement « zéro émission nette » intégrant captage du CO₂ et électrification des opérations.

À l’heure où la Pologne, la Grèce ou l’Allemagne multiplient les signaux d’intérêt pour le GNL canadien (voir nos articles du 27 mars et du 29 avril 2024), le Québec pourrait devenir plus qu’un territoire de transit : un maillon stratégique de la sécurité énergétique atlantique. En choisissant l’interdiction pure et simple, il renonce à ce rôle et laisse d’autres capter la valeur. Pendant ce temps, les États-Unis intègrent déjà nos volumes canadiens dans leur propre chaîne d’exportation : le gaz sort du sol canadien, traverse la frontière par pipeline, puis repart vers l’Europe sous forme de GNL américain, avec une marge commerciale à la clé (données CER et EIA).

Le Québec doit cesser de se saborder

Le billet de Mario Dumont a eu le mérite de rappeler, preuves à l’appui, l’aveuglement fédéral. Mais le Québec ne peut pas se contenter de rejeter la faute sur Ottawa : en bannissant l’exploitation des hydrocarbures, la CAQ a sabordé elle-même la possibilité de devenir un acteur stratégique. L’erreur n’est donc pas seulement nationale, elle est aussi provinciale.

La question est désormais simple : le Québec veut-il être un partenaire énergétique de poids, ou rester spectateur d’un marché qui se fera sans lui? En se bornant à l’interdiction, la province se condamne à voir ses ressources valorisées ailleurs — par l’Alberta, par les États-Unis, ou par des concurrents plus pragmatiques comme le Qatar. Pendant ce temps, les alliés européens cherchent encore des alternatives fiables au gaz russe et se tournent vers d’autres fournisseurs.

S’affirmer comme plateforme énergétique ne signifie pas renoncer à l’environnement : au contraire, l’hydroélectricité québécoise permettrait de produire un GNL à très faible intensité carbone, bien plus vertueux que le charbon ou le gaz russe. Mais pour cela, il faut du courage politique, non de l’idéologie. Si Québec continue d’ignorer cette évidence, il ne s’agira plus seulement d’occasions manquées : ce sera un choix délibéré de renoncer à la prospérité, aux emplois et à l’influence internationale.

Facebook
Twitter
LinkedIn
Reddit
Email

Les nouvelles à ne pas manquer cette semaine