Ça y est, la fumée blanche est enfin sortie de la cheminée de la Chapelle Sixtine aujourd’hui, confirmant l’élection d’un nouveau Pape. Quelques minutes plus tard, son identité était révélée : l’Américain Robert Francis Prevost, qui prend désormais le nom de Léon XIV. Quoique l’Église fasse souvent mauvaise presse au Québec, ce sont 1,4 milliard de catholiques qui ont un nouveau chef spirituel. Nous le savons : bien que ne s’occupant officiellement que de pouvoir spirituel, les papes ont une énorme influence politique et sociale. À quoi devons-nous nous attendre avec ce nouvel occupant du Saint-Siège?
La question d’ajuster l’Église à son époque ou de la maintenir dans sa pureté originelle est vieille comme l’Église elle-même. De tout temps, on s’est demandé s’il fallait abandonner certaines traditions et certains dogmes pour la rendre plus accessible aux fidèles de chaque génération. Or, pour d’autres, l’Église ayant été fondée par saint Pierre, un apôtre ayant suivi le Christ en personne, changer ses positions ou son fonctionnement reviendrait à contredire les saintes paroles du fondateur lui-même.
Quoi qu’il en soit, nous avons vu de nombreux changements au cours des siècles ; c’est pour cela que les messes ne sont plus en latin, notamment. On se rappelle Vatican II, dans les années 60, qui marque un changement majeur dans la relation entre Rome et les fidèles : dialogue œcuménique, aggiornamento liturgique, ouverture vers le monde moderne… C’est alors que l’Église, pour beaucoup, a cessé de parler au monde depuis sa tour d’ivoire.
À partir des années 2000, nous avons eu un pape très conservateur en Benoît XVI, théologien rigoureux, germanique dans son attachement à la doctrine, qui a ensuite laissé sa place à un pape très progressiste en François Iᵉʳ, jésuite argentin dont les gestes médiatiques éclipsèrent souvent les fondements doctrinaux.
Ce dernier a causé beaucoup de controverses dans les rangs catholiques, mais aussi chrétiens dans son sens large. Une vision très socialiste proche de la théologie de la libération latino-américaine, des positions pro-migrants dans une crise d’envergure qui voyait l’Europe engloutie, des prises de bec avec Donald Trump dans son premier mandat, etc. De manière générale, alors que les décennies antérieures avaient vu plus de gens exprimer l’envie de voir des progressistes à la tête de l’Église, dans les dernières années, la tendance semblait s’être inversée, et la remontée du conservatisme partout en Occident a vu de nombreuses personnes prier pour le retour d’un pape traditionaliste.
L’un des favoris de la droite occidentale était le cardinal Robert Sarah, originaire de Guinée, qui aurait été le premier pape noir de l’histoire. Figure majeure du conservatisme catholique, Sarah s’est souvent exprimé sur les dangers du relativisme moral, sur la perte du sens du sacré, et sur les méfaits de l’Occident moderne, qu’il considère comme décadent. Partisan d’une liturgie traditionnelle et critique des évolutions post-Vatican II, il est l’auteur de plusieurs livres à succès dans les milieux catholiques, notamment Dieu ou rien et Le soir approche et déjà le jour baisse. Sa candidature symbolisait un retour aux fondamentaux.
Mais il n’était pas seul. Parmi les papabili, Pietro Parolin, numéro deux du Vatican, était favori. Le nom de l’archevêque de Budapest, Péter Erdő, circulait également. Conservateur, mais diplomate, Erdő représentait un compromis entre fermeté doctrinale et capacité de dialogue avec les institutions européennes. On mentionnait aussi Matteo Zuppi, archevêque de Bologne, considéré comme un modéré de gauche, proche de la Communauté de Sant’Egidio, très actif dans le dialogue interreligieux et la lutte contre la pauvreté.
Un autre nom, plus discret, mais influent, était celui du cardinal Luis Antonio Tagle, Philippin, ancien archevêque de Manille, réputé pour sa douceur, son humanisme et sa capacité à toucher les jeunes. Sa proximité avec François en avait fait un dauphin possible, mais sa nationalité asiatique pouvait être un obstacle à l’heure où les tensions géopolitiques avec la Chine se font plus vives.
Ce panorama montrait une Église profondément divisée, entre deux âmes irréconciliables : celle du renouveau pastoral face au monde, et celle de la fidélité stricte à la tradition.
En raison de ces grandes tensions entre conservatisme et progressisme en 2025, on annonçait un long et laborieux conclave. Or, contre toute attente, le résultat est sorti dès le deuxième jour, et après seulement deux fumées noires. Les cardinaux ont finalement opté pour l’Américain Robert Francis Prevost, qui a décidé, selon la tradition, de prendre le nom de pape Léon XIV.
Né à Chicago en 1955 dans une famille catholique d’origine française, italienne et espagnole, Prevost est membre de l’ordre des Augustins. Docteur en théologie de l’Université pontificale Saint-Thomas-d’Aquin, il a passé près de deux décennies comme missionnaire au Pérou, où il a dirigé une région ecclésiastique dans la ville de Chulucanas. Il y a gagné la réputation d’un pasteur proche des pauvres et des réalités sociales du terrain.
En 2014, il devient évêque au Pérou, puis est nommé en 2023 préfet du Dicastère pour les évêques par François Ier, un poste crucial, chargé de superviser les nominations épiscopales à travers le monde. Cette nomination en dit long sur la confiance que François lui accordait. En choisissant Prevost, les cardinaux ont confirmé cette direction, tout en cherchant un ton peut-être plus modéré.
Déjà, sur les réseaux sociaux, on voit passer des publications annonçant un nouveau « pape woke » comme l’était François avant lui. De nombreux conservateurs sont déçus de ce choix renouvelé par l’Église de continuer sur la voie d’un progressisme qui apparaît comme opposé à la vague conservatrice et populiste actuelle. Pour preuve, on repartage ses critiques des politiques d’immigration de Trump, qu’il publiait sur son compte X jusqu’à tout récemment.
Et ils n’ont pas tout à fait tort : Robert Francis Prevost a défendu la vision sociale de l’Église telle que développée par François. Il a pris position en faveur de l’accueil des migrants, y voyant un devoir chrétien d’hospitalité. Il a aussi plaidé pour la protection de la planète, saluant l’encyclique Laudato si’ comme un texte prophétique. Sur ces sujets, il est clairement dans la lignée du pape argentin.
Mais il est aussi plus réservé sur d’autres fronts. Il n’a jamais pris de position claire sur les questions LGBTQ, et dans ses quelques interventions sur le sujet, on perçoit une fidélité plus grande à la doctrine traditionnelle. Il insiste davantage sur l’unité de l’Église que sur l’adaptation de celle-ci aux pressions culturelles contemporaines. Là où François voulait ouvrir des portes, Prevost semble vouloir les entrouvrir… sans nécessairement les franchir.
On a beaucoup souligné qu’il s’agissait du premier pape originaire des États-Unis. Donald Trump, notamment, s’en est réjoui sur Truth Social, déclarant que c’était « un grand honneur pour [son] pays ».
Historiquement, le pape s’est toujours voulu un contrepoids aux puissances temporelles. À l’époque médiévale, il servait de garde-fou face à l’empereur romain germanique. Aujourd’hui, ce rôle peut être réactualisé dans un monde dominé par les superpuissances politiques et militaires.
Dans cette optique, le choix d’un pape américain, mais d’orientation sociale et ayant vécu en Amérique latine, peut s’interpréter comme une manœuvre de l’Église pour offrir un contrepoids crédible à l’idéologie nationaliste et populiste de Trump. Un pape américain, mais pas trumpiste. Un homme du Nord, mais qui a vécu au Sud. Un pont, littéralement, entre les deux Amériques.
Par ailleurs, l’Église ne peut ignorer le fait que les États-Unis comptent environ 70 millions de catholiques, dont plusieurs sont des Latinos de première ou deuxième génération. À l’approche des élections de mi-mandat, alors que les débats sur l’immigration, la morale et la religion s’enflamment, la voix du pape Léon XIV pourrait peser dans la balance. Pas directement politique, certes, mais moralement influente.
Enfin, quelles que soient nos positions sur la direction que doit prendre l’Église, il faut à tout le moins reconnaître que son rôle n’est pas, en soi, politique, et qu’il fait tout de même du sens pour un pape de prioriser l’empathie et la charité sur les identités nationales.
La séparation du religieux et du politique, énoncée dès l’Évangile, exige que l’Église parle aux âmes, non aux partis. Léon XIV devra naviguer avec prudence entre les attentes idéologiques de ses fidèles et l’appel universel à la sainteté. Il devra, pour demeurer fidèle à sa mission, éviter de devenir un acteur politique comme l’a parfois été François Ier, et garder le cap sur l’Évangile plus que sur les gros titres.
Le défi est immense : incarner une foi intemporelle dans un monde changeant, sans se faire happer par les sirènes de l’actualité. Mais c’est précisément là que réside, peut-être, la grandeur de cette fonction unique au monde.
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