La victoire écrasante du candidat du PQ Pascal Paradis dans Jean-Talon fait couler beaucoup d’encre depuis hier, et à raison. Avec 44,10% des voix contre 22% pour la candidate caquiste, difficile de ne pas y voir un point de rupture où la « lune de miel de la CAQ » tire à sa fin et où le PQ, qui avait été décimé aux dernières élections, semble renaître de ses cendres. C’est d’autant plus surprenant lorsqu’on prend en compte le fait que Jean-Talon a été un château fort libéral pendant des décennies avant de tomber aux mains de la CAQ.

En effet, la circonscription a voté libéral de 1966 à 2018 avant de finalement tomber aux mains de la CAQ lors d’une partielle en 2019. C’est donc dire qu’avec la partielle d’hier soir, non seulement la circonscription rejette le parti au pouvoir et sa prédominance des dernières années, mais elle rejette aussi le parti libéral auquel elle a été fidèle pendant 50 ans! Tout un revirement quand même!

Il faut comprendre que Jean-Talon est l’une des circonscriptions les plus diversifiées de la province. Son territoire est composé tant par les quartiers cossus de Sillery (l’équivalent pour Québec de Westmount à Montréal) que par les quartiers plus populaires de Sainte-Foy. C’est donc dire qu’on y retrouve autant une population « de souche », composée de Canadiens français et même d’une certaine persistance de l’ancienne élite anglaise, qu’une population immigrante qui s’y installe en raison de l’accessibilité aux écoles, collèges et universités qui caractérisent le secteur.

Cette forte concentration d’écoles qui rassemble une forte population œuvrant dans les professions libérales côtoie aussi un secteur commercial prolifique autour des axes du boulevard Laurier et de Route de l’Église, en faisant autant un hub entreprenarial qu’un quartier de fonctionnaires.

Bref, la composition de Jean-Talon, c’est tout et son contraire, ce qui, logiquement, devrait rendre les résultats plus imprévisibles.

Mais dans ce cas, pourquoi la circonscription était-elle un château-fort libéral pour autant de temps? Et qu’est-ce qui a changé?

Une piste d’explication serait la densification accélérée autour de Route de l’Église et l’augmentation rapide de la population de la circonscription dans les dernières années. En effet, pendant des décennies, les zones plus libérales comme Sillery et les petites banlieues tranquilles de Sainte-Foy détenaient la balance du pouvoir, consolidant la main mise du parti libéral dans la région. Mais depuis quelques années, Sainte-Foy s’est beaucoup développé, avec de nombreuses tours à condos raffermissant un caractère plus urbain au quartier et brassant les cartes du jeu électoral.

Entre 2016 et 2021, la population est passée de 62 000 à 70 000 personnes. Un changement drastique pouvant expliquer ce revirement d’allégeance tout aussi drastique.

On peut donc spéculer sur les raisons circonstancielles autour de l’abandon massif de la CAQ par les électeurs lors de la partielle d’hier, mais le changement démographique n’est pas à négliger.

On mentionne en premier lieu l’abandon du troisième lien et on voit cette partielle comme un vote de protestation des citoyens de Québec, or, il faudrait relativiser un peu : ce n’est pas la haute-ville qui soutient majoritairement ce projet, mais la couronne nord. La répudiation de la CAQ par la population de Sainte-Foy/Sillery tient probablement plus du fait que l’abandon du projet par la CAQ dévoilait son côté malhonnête.

En outre, il a été relevé que Marie-Anik Shoiry, candidate pour la CAQ, se faisait régulièrement demander ce que changerait une députée de plus dans la députation monstre de 90 député de la CAQ. 90 sur 125 vs 91 sur 125 ; c’est du pareil au même. Les électeurs ont probablement compris qu’un seul député de plus sur les 3 députés péquistes serait plus significatif que de gaspiller un vote pour la CAQ.

Une chose est sûr, le résultat écrasant porte à croire que le PQ de Paul Saint-Pierre Plamondon a des chances de renaître de ses cendres et que la CAQ pourrait se retrouver dans des courses plus serrées dans les prochaines élections. Et si le PQ gruge des votes à la CAQ, qui sait, Duhaime aura peut-être finalement une chance dans Chauveau et la couronne nord – là où le troisième lien est véritablement un enjeu porté la population.

Philippe Sauro-Cinq-Mars

Diplômé de science politique à l'Université Laval en 2017, Philippe Sauro Cinq-Mars a concentré ses recherches sur le post-modernisme, le populisme contemporain, la culture web et la géopolitique de l'énergie. Il est l'auteur du livre "Les imposteurs de la gauche québécoise", publié aux éditions Les Intouchables en 2018.

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