Jérôme Blanchet-Gravel | Le passeport vaccinal, un « safe space » sanitaire qui marque la dérive québécoise

Entretien avec Jérôme Blanchet-Gravel sur le passeport vaccinal au Québec.

Québec Nouvelles: Pensez-vous que le passeport vaccinal que le gouvernement Legault veut mettre en place sera utile contre la COVID-19?

JBG: Non. Ou très peu sur le plan épidémiologique. Il s’agit d’abord et avant tout d’une mesure visant à rassurer la frange la plus apeurée de la population. Des gens veulent avoir l’impression de pouvoir aller magasiner et manger au restaurant en toute sécurité. Nous sommes surtout dans l’ordre de la perception, la sécurité absolue étant la nouvelle utopie. Les safe spaces, ça n’existe pas dans la réalité. En gros, la mesure offre un faux sentiment de sécurité. C’est une mesure électoraliste visant à flatter l’électorat qui a encore peur, mais qui voudrait quand même reprendre certaines de ses activités.

Québec Nouvelles: Est-ce une mesure discriminatoire?

JBG: La discrimination est le fait de traiter différemment des groupes de personnes en fonction de critères comme le sexe, l’orientation sexuelle, les croyances religieuses, les idées politiques, etc. Ici, il est clair que le passeport vaccinal opère une discrimination sur la base de deux choses: le statut médical et les convictions politiques, car l’opposition au vaccin relève souvent d’un choix politique. Si certaines personnes sont persuadées que le vaccin a été conçu pour les tuer ou les empoisonner, d’autres s’opposent davantage à l’exercice de soumission qu’il semble représenter. Autrement dit, ces derniers s’opposent moins au vaccin en tant que tel qu’à « l’idéologie du vaccin ». La nuance est importante.

Nier que la mesure créera une nouvelle forme de discrimination serait malhonnête. Cette réalité ne discrédite pas à elle seule la mesure (il y aura toujours des formes de discrimination dans la société), mais ses défenseurs devraient au moins reconnaître cet impact. Son application créera de facto deux classes de citoyens, à moins que les sceptiques et les «anti-vaccin» ne décident tous de se faire inoculer, portant alors à 100% le taux de vaccination. C’est assez improbable, à moins que Québec ne décide d’aller de l’avant avec la vaccination obligatoire pour tous.

D’ailleurs, ce scénario n’est plus si improbable en regard de l’évolution des mentalités, et de l’idéologie sécuritaire du gouvernement, avec laquelle il entend entre autres se faire réélire. En attendant, si Québec décide de commencer par la vaccination obligatoire du personnel de la santé, cette manœuvre sera une arme à double tranchant. Si elle entraînait une vague de désertion dans un système où des centaines de travailleurs ont déjà déserté, cela inciterait probablement François Legault à resserrer encore une fois le contrôle sanitaire autour de la population. Ce serait tout un paradoxe…

Québec Nouvelles: Selon vous, pour quelles raisons le PLQ appuie une telle mesure?

JBG: Depuis le tout début de la pandémie, il n’y a tout simplement pas d’opposition en ce qui a trait aux mesures sanitaires. Les partis d’opposition se sont toujours rangés mollement derrière François Legault, avec quelques nuances ici et là. Le PLQ n’échappe pas à la règle, et sa chef, Dominique Anglade, ne semble vouloir s’écarter ni du politiquement correct ni du sanitairement correct. On peut penser qu’au début de la crise, cette recherche d’unité était légitime, mais les premières vagues passées, le débat aurait dû reprendre comme ailleurs dans le monde.

L’Assemblée nationale reflète encore tristement l’absence de débat qui caractérise le Québec, une société qui s’enfonce toujours plus dans un conformisme pathologique. De l’autre côté, dans une perspective purement stratégique, les partis doivent composer avec une majorité de Québécois en faveur de mesures comme le passeport vaccinal. Une majorité craintive qui, encore une fois, cherche à être réconfortée. Par définition, les partis ont besoin de récolter des votes.

Québec Nouvelles: Est-ce que le Québec est encore une démocratie aujourd’hui?

JBG: Le Québec est encore une démocratie dotée d’institutions fortes. Je n’en doute pas une seconde. En revanche, pour utiliser un mot très à la mode, on ne pourrait pas dire que la démocratie y soit très en santé. L’absence de débat, l’hyper consensus et l’utilisation de la peur minent définitivement l’esprit démocratique au Québec.

Simon Leduc

Ancien éditeur en chef du Prince Arthur Herald et ex-blogueur au Huffington Post Québec. Chroniqueur pour le journal Contrepoids et blogueur.

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