Si les Québécois sont plus souvent qu’autrement désintéressés par la politique provinciale des autres provinces canadiennes, ils auraient tout intérêt à regarder ce qui se passe en ce moment dans la course à la chefferie du United Conservative Party de l’Alberta.
En effet, l’une des candidates favorites de la course a fait des propositions qui ont eu l’effet d’une bombe sur le mouvement conservateur albertain, qui était réuni à Red Deer pour les conférences du Manning Center et de Canada Strong and Proud cette fin de semaine.
Danielle Smith, députée et ancienne cheffe du parti conservateur Wildrose (qui avait formé l’opposition officielle entre 2012 et 2017, pour ensuite se fusionner avec l’Alliance progressiste-conservatrice de l’Alberta pour former le United Conservative Party (UCP)) a en effet émis l’idée de mettre en place un « Alberta Sovereignty Act » qui rendrait possible pour la province de récupérer un maximum de champs de compétences, jusqu’à potentiellement ignorer les jugements qui l’accuseraient d’être anticonstitutionnel…
En bref ; Danielle Smith propose à l’Alberta de devenir davantage souveraine vis-à-vis d’Ottawa, prenant carrément le Québec comme exemple et rappelant que la confédération canadienne permet ce genre d’affirmation autonomiste des provinces.
La candidate semble en rallier beaucoup grâce à un évident charisme et une attitude prédisposée à la chefferie, mais ses propos ont activé des débats passionnés où se mêlent l’audace et le scepticisme.
Pour beaucoup, cette idée d’ignorer les jugements éventuels des tribunaux est non seulement improbable, mais pourrait enfoncer la province et le pays dans le désordre et les querelles constitutionnelles.
Le chef sortant du parti et premier ministre de l’Alberta Jason Kenney, par exemple, a affirmé que ce genre de politiques ferait de l’Alberta une « république de banane » qui ferait fuir les investisseurs : « Ils sont intéressés par la stabilité politique, pas le chaos politique. Ils sont intéressés par une administration qui respecte la suprématie de la loi et l’autorité des cours de justice… Pas une qui fait un pied de nez à celle-ci comme une république de banane. »[1]
Or la proposition demeure tout de même très populaire pour un large spectre d’autonomistes albertains qui en ont assez des blocages continuels des projets de développements de la province par le fédéral ou d’autres provinces. Dans un mélange d’amour-haine, ils sont nombreux à affirmer que si la province de Québec, grassement soutenue par la péréquation, peut faire ses propres lois en ignorant le fédéral, l’Alberta devrait elle-aussi le faire.
Vu du Québec, l’émergence de ces débats peut surprendre. C’est qu’on sent que les Albertains sont moins habitués à l’audace de ce genre de propositions, et on ne parle pratiquement pas des dispositions légales déjà en place permettant aux provinces de s’affranchir des décisions du fédéral, comme par exemple la clause dérogatoire.
Danielle Smith, pour sa part, confirme avoir discuté avec de nombreux constitutionnalistes sur la question qui l’ont assuré de la légalité de la chose, et rappelle le long historique de Québec sur la question.
En outre, elle affirme que ses propositions se rapprocheraient plus de l’idéal confédératif initialement pensé par les pères fondateurs du Canada, qui concevaient le Canada comme un pays davantage décentralisé qu’il ne l’est aujourd’hui.
Dans un même ordre d’idée, le candidat Brian Jean, qui a été avocat constitutionnaliste pendant 10 ans, propose pour sa part de littéralement rouvrir la constitution canadienne pour faire valoir les droits de l’Alberta, notamment sur la question de l’acheminement de ses hydrocarbures sur les côtes.
Le vote ayant déjà commencé auprès des membres du parti, les résultats devraient être dévoilés le 3 octobre prochain.
[1] Bellefontaine, Michelle. « Alberta could ignore court rulings under Smith’s sovereignty act » Radio Canada. https://www.cbc.ca/news/canada/edmonton/alberta-could-ignore-court-rulings-under-smith-s-sovereignty-act-1.6574132
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