Lorsque l’archiduc François-Ferdinand d’Autriche a été assassiné par un nationaliste bosniaque dans les rues de Sarajevo, en juin 1914, les médias de par le monde ont pratiquement traité la nouvelle comme un fait divers. On était loin de se douter que cet attentat allait entraîner la Première Guerre Mondiale et une dizaine de millions de morts.

On vivait encore dans « La Belle Époque », il n’y avait pas eu de guerre majeure depuis quarante ans et le passage au XXe siècle s’était fait sous le signe du progrès et de la prospérité.

Une situation qui présente beaucoup de parallèles avec la nôtre. En effet, la majorité des occidentaux sont tout à fait étrangers à la réalité de la guerre ; la chose paraît lointaine, dans le temps comme dans l’espace. On pourrait même dire qu’ils se sentent immunisés à la guerre et refusent de l’envisager comme une possibilité.

Or il faut être réaliste ; il n’y a pratiquement jamais eu d’aussi longue période de paix dans toute l’histoire de l’humanité que celle qui a prévalu dans le monde libre entre les années 50 et aujourd’hui, et à un certain moment, ça va craquer.

D’ailleurs, si la bipolarité nucléaire et l’unipolarité avaient les avantages d’une bonne stabilité et d’une bonne prédictibilité du système mondial – malgré les conflits civils et les guerres par proxy qu’elles occasionnaient un peu partout – le nouveau système multipolaire en recomposition réuni beaucoup des caractéristiques parfaites pour une explosion guerrière dévastatrice.

D’abord, un regain nationaliste était nettement perceptible depuis une décennie, l’unipolarité otano-américaine et la mondialisation ayant provoqué des déceptions. Des pays écroulés depuis les années 90 ont recommencé à gagner en prospérité.

La Russie et la Chine, notamment, au point de commencer à concurrencer le monde occidental.

Face à ce nouvel équilibre, les nations occidentales ont elles aussi renoué avec le nationalisme. La nécessité de porter assistance aux pays « en développement » apparaissant de plus en plus superflue face à cette ascension de nouvelles grandes puissances. Dans des figures comme Trump, Orban, Bolsonaro, Johnson, etc. la mondialisation et été remise en question.

Vint ensuite une pandémie mondiale qui a physiquement fermé les frontières et confiné les populations, les rendant complètement dépendantes des décisions de l’État. Cette situation de « guerre » a donc eu l’effet de subtilement renforcer cet élan nationaliste en consolidant la toute-puissance de l’État-National sur les communautés humaines.

Les institutions internationales, pour leur part, ont perdu en influence et ne sont plus vraiment sollicitées.

Et c’est dans ce contexte que la Guerre en Ukraine a fait s’accélérer la confrontation entre l’Ouest et les puissances montantes. Du jour au lendemain, nous avons rompu les liens avec la Russie dans une logique de cancel culture, reniant tout du pays en bloc.

Du jour au lendemain, on nous a réimposé une Guerre Froide de force.

Fini les Macdonalds en Russie ; les dernières décennies n’étaient qu’un mirage! Et certains en ont même ri, ne réalisant pas quel sombre avenir représente ce retrait complet de notre influence là-bas.

Pendant ce temps, la Chine s’ingère de plus en plus dans notre politique, nos politiciens s’agenouillent devant elle qui s’apprête à conquérir Taïwan. Et si elle attaque Taïwan, la logique officielle des alliances nous demanderait de lui porter assistance.

Questionné à l’occasion du Jour du Souvenir vendredi dernier, l’ancien officier de renseignement militaire Simon Leduc affirmait qu’une guerre n’était qu’une « question de temps » pour le Canada : « Les Chinois se préparent à une guerre, les Russes ont mobilisés beaucoup de monde et se préparent aussi à une guerre. C’est une question de temps avant que quelque chose arrive. »

Renchérissant sur ces prédictions, il a ensuite affirmé : « Je ne suis pas sûr que la nouvelle génération qui a 20 et 30 ans le réalise. Un jour, ça va être la vraie guerre et ce n’est pas des jeux vidéos. Le Jour du Souvenir, pour cette même génération, dans 5 à 10 ans, va avoir une signification très forte. »

En expliquant la logistique d’une mobilisation éventuelle, on peut comprendre comment la chose paraîtrait irréelle pour une majorité de Canadiens : « Présentement nous sommes capables de soutenir environ un bataillon qui est environ 1000 à 1500 personnes. Si on tombe en guerre, il faut être capable de fournir une armée qui représente environ 30 à 40 bataillons. »

Le vétéran ne s’explique pas que le gouvernement canadien ne semble pas prendre la menace au sérieux, mais spécule que notre soutien à l’Ukraine ne serait qu’une manière « d’acheter du temps » face à nos adversaires.

Cette formulation a quelque chose de particulier ; son fatalisme, son ultimatum inéluctable où on vit en quelque sorte un peu sur du temps emprunté. Il implique que la dynamique est déjà commencée ; que ce n’est qu’une question de temps pour que la machine de la mort nous emporte.

Un peu comme ce pauvre François-Ferdinand assassiné à Sarajevo, point de départ des hostilités entre l’Autriche-Hongrie et la Serbie… Nous observons l’emportement des évènements sans savoir encore ce qui nous attend.

On a vécu les dernières années sous des régimes d’urgence à cause de la pandémie ; mobilisés dans une lutte contre un ennemi invisible. On s’est ensuite mobilisé financièrement et diplomatiquement pour soutenir l’Ukraine, sacrifiant notre économie et nos relations internationales. C’est donc dire qu’on vit depuis plusieurs années dans des économies de guerre et des régimes d’urgence, et qu’il ne reste pas beaucoup d’étape jusqu’à la mobilisation.

Parfois, on en vient à se demander si elle n’est pas déjà commencée, cette troisième guerre mondiale.

Philippe Sauro-Cinq-Mars

Diplômé de science politique à l'Université Laval en 2017, Philippe Sauro Cinq-Mars a concentré ses recherches sur le post-modernisme, le populisme contemporain, la culture web et la géopolitique de l'énergie. Il est l'auteur du livre "Les imposteurs de la gauche québécoise", publié aux éditions Les Intouchables en 2018.

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