La violence militante ; modus operandi de la gauche

Depuis quelques mois, le conflit Israélo-palestinien a stimulé des débats passionnés et semble avoir emporté le champ gauche sur le terrain glissant du cautionnement de la violence politique. Dans de multiples manifestations et occupations, des discours faisant l’apologie – voire même la célébration – des attentats du 7 octobre se sont multipliés. D’une manière générale, la vision intersectionnelle et décoloniale de nombreux militants les fait supporter jusqu’aux groupes terroristes et États voyous sous prétexte qu’ils s’opposent à l’impérialisme américain et au sionisme. Et dans de nombreux de ces campements sur les campus américains et canadiens, les tentatives de démantèlement ont donné lieu à des débordements de violence.

Plus récemment, ce sont des objets incendiaires qui ont été trouvés sous la machinerie du chantier de Northvolt, en plus de quelques autres cas de vandalisme. C’est alors une situation tout à fait étrange : des écologistes tombent carrément dans l’écoterrorisme contre une usine de batterie qui sert à stimuler la transition verte sous prétexte que ce n’est que de l’écoblanchiment et que l’usine détruira la nature.

On peut passer la nuit à tenter d’expliquer le raisonnement derrière chacun de ces coups d’éclats militants, mais une chose nous apparaît toujours instantanément claire : la gauche est irrésistiblement attirée par la violence politique et en a un long historique.

Simulacre de révoltes et désirs secrets

C’est plutôt simple ; on peut résumer grossièrement le spectre politique en distinguant un camp qui souhaite renverser l’ordre ancien (la gauche, les progressistes), et un autre qui veut le protéger (la droite, les conservateurs). De la sorte, il est évident que le camp dont l’objectif est de renverser le système sera plus intéressé par les révoltes, les révolutions, les guérillas, tandis que l’autre ne fera que se mettre derrière les autorités officielles sans s’impliquer dans le conflit.

C’est dans l’ADN de la gauche de se rebeller ; la seule différence en notre époque, c’est que le pacifisme et la non-violence ont largement réussi à rendre ces révoltes inoffensives en confinant leurs expressions à des actions symboliques. C’est-à-dire que désormais, par respectabilité du mouvement politique, au lieu de réelles révoltes ou d’émeutes, on fait des « manifestations ». On manifeste physiquement l’idée de la révolte, sans plus.

Mais ça ne veut pas dire que les actions militantes de la gauche sont exemptes du risque de tomber dans la violence ; en fait, elles augmentent considérablement les chances d’en déclencher. Même si le mot d’ordre est officiellement à la non-violence, il n’en est rien, et on remarque que les manifestations et occupations flirtent toujours avec les limites, et qu’il se trouve toujours un militant pour dépasser les bornes, avec le soutien hypocrite de ceux qui n’osent pas, mais acquiescent en silence.

Secrètement, le gauchiste rêve encore au Grand Soir, à la révolution glorieuse, ou à la limite, de recréer une sorte d’ambiance digne de la fin des années 60. Les représentations du combat militant à gauche sont immanquablement imprégnées de romantisme politique et de violence militante ; on fantasme les « soulèvement populaires », les bannières au vent, les barricades parisiennes… Les manifestations sont des mises en scène, des sortes de pièces de théâtre militant qui imitent l’espace d’un instant ces tableaux romantiques de l’épopée révolutionnaire, les révoltes ouvrières, les guérillas communistes, etc.

Mais la réflexion s’arrête là, dans une sorte d’hypocrisie qui fait complètement occulter l’extrême violence que représentent réellement ces évènements. On fait mine d’oublier que les révolutionnaires français célébraient avec des têtes décapitées au bout de leurs lances…

Les barricades dans les rues, qui servent alors un véritable objectif stratégique dans un état de guerre civile, ont mené au concept « d’occupation » et de blocage de rues en notre époque, qui n’a aucun réel objectif stratégique ; qui signifie vaguement qu’il s’agit d’être « disruptif » ou de « se faire entendre ». Mais on ne va jamais au bout de la logique de cette « rébellion ».

En d’autres mots : les manifestations en notre époque sont des simulacres de violence politique… et malgré le fait que ce soit largement du théâtre, ça a quand même l’effet de rendre la violence politique désirable.

Les luddites de Northvolt

Pour ce qui est des sabotages écoterroristes de Northvolt, encore une fois, rien de nouveau. La gauche a toujours eu recours au sabotage et au vandalisme. On peut bien remonter jusqu’aux luddites qui, au début du XIXe siècle, détruisaient les machineries d’usines comme moyen de pression. De nombreux gens de gauche s’en revendiquent encore ouvertement, et ce type de « résistance » par le vandalisme est encore cautionné dans de nombreuses mouvances – même mainstream – du moment où la victime du vandalisme est considéré comme un représentant d’une forme de domination.

Qu’on pense seulement aux Blacks Bloc et au fameux argument que « les banques peuvent très bien se payer une nouvelle vitrine ; la fracasser est juste un symbole »… L’esprit vandale est bel et bien présent dans les manifestations de gauche, en latence quelque part et prêt à se révéler à tout moment.

Et je vous le dis par expérience : nombreux sont ceux dans ces manifestations qui sont « seulement pacifiques », mais qui aiment secrètement le « thrill » que leur procure le fait de voir les Black blocs faire ce qu’eux n’osent pas. Les manifestations de gauche ne peuvent réellement se dissocier de leurs éléments plus radicaux ; la vaste majorité apprécie la « diversité des tactiques » et cautionnent secrètement ces groupes.

Ironie et apologie de la violence

N’oublions pas non plus que le deux poids deux mesures est flagrant quand vient le temps de dénoncer les régimes les plus sanglants de l’histoire. La dénonciation claire du fascisme à droite est sans équivoque, et jamais il ne viendrait dans l’idée de quiconque d’arborer l’une de ses imageries. Il en va tout à fait autrement chez les communistes et une bonne part des socialistes, qui n’hésitent pas à arborer la faucille et le marteau, des portraits de Staline, Lénine, Che, etc.

Soit ils les portent « ironiquement », ce qui démontre leur immaturité de se moquer de telles tragédies, ou soit ils le portent « parce que le vrai communisme n’a pas été essayé ».

Et on ne se gêne pas de faire toutes sortes de contorsions pour excuser les régimes cubain, iranien, nord-coréens, etc. « Combien de bases américaines au Moyen-Orient? », « ‘Oui, mais l’embargo américain? », « Oui, mais l’Iran ne fait que protéger la Palestine des Sionistes »… C’est toujours la faute d’un autre, et les pires régimes et mouvances politiques sont toujours légitimés dans leur usage de la terreur.

On fait de tout terroriste un « résistant », et de tout régime voyou un vénérable « non-aligné »…

Il est grand temps que la gauche fasse un exercice de conscience et réalise l’étendue de sa contribution à la radicalisation des générations montantes. Elle doit faire un mea culpa et revoir intégralement sa relation malsaine avec la violence politique. La pièce de théâtre a assez duré.

Philippe Sauro-Cinq-Mars

Diplômé de science politique à l'Université Laval en 2017, Philippe Sauro Cinq-Mars a concentré ses recherches sur le post-modernisme, le populisme contemporain, la culture web et la géopolitique de l'énergie. Il est l'auteur du livre "Les imposteurs de la gauche québécoise", publié aux éditions Les Intouchables en 2018.

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