Par la rédaction, d’après un reportage original de Greg Mercer pour le Globe and Mail, publié le 16 mai 2025.
Alors que les tensions politiques s’intensifient entre Ottawa et Washington, les forces de l’ordre canadiennes continuent de compter sur une agence américaine pour traquer les armes à feu illégales franchissant la frontière.
Greg Mercer, correspondant au Globe and Mail, révèle dans un reportage approfondi que malgré la rhétorique isolationniste de Donald Trump et la volonté affichée de Mark Carney de tourner la page d’une coopération sécuritaire étroite avec les États-Unis, la lutte contre la contrebande d’armes repose, paradoxalement, sur une entente toujours aussi vitale entre policiers des deux pays.
Entre 2017 et 2023, le Bureau of Alcohol, Tobacco, Firearms and Explosives (ATF), une agence fédérale américaine, a retracé plus de 35 000 armes à la demande des services de police canadiens. Ces enquêtes ont permis de démanteler plusieurs réseaux de contrebande transfrontaliers, souvent liés à des États américains où les lois sur les armes sont très permissives, comme le Texas. Pour les autorités canadiennes, impossible de freiner le flux croissant d’armes illégales sans la collaboration étroite de leurs homologues américains.
Depuis plus de 30 ans, l’ATF maintient un agent de liaison à Ottawa. Ce dernier travaille main dans la main avec la GRC, l’Agence des services frontaliers et d’autres corps policiers pour enquêter sur les trafics d’armes. L’agence a également formé, depuis cinq ans seulement, près de 13 000 Canadiens – policiers, procureurs, soldats ou spécialistes médico-légaux – à la traque d’armes, à la restauration de numéros de série et à l’analyse balistique.
Chris Taylor, l’agent de liaison actuel de l’ATF au Canada, nommé en 2019, résume l’approche avec pragmatisme : « Si vous n’identifiez pas la personne qui achète en Floride, comment allez-vous arrêter celui qui fait passer les armes clandestinement ? » Malgré les divergences politiques entre Carney et Trump, les policiers, eux, n’ont jamais cessé de voir dans cette collaboration une évidence.
En 2023, une entente de partage de renseignements a été renouvelée dans le cadre du Canada-U.S. Cross-Border Crime Forum. L’objectif : renforcer les échanges d’informations, alors que les saisies d’armes américaines se multiplient au nord de la frontière.
L’un des cas les plus frappants de cette coopération concerne l’affaire Inti Sebastian Falero-Delgado. En novembre 2021, ce trafiquant québécois a reçu par bateau, en provenance du Texas, 53 pistolets, six mitraillettes et 80 chargeurs de haute capacité – tous interdits au Canada, mais parfaitement légaux à l’achat au Texas. Une caméra de sécurité installée dans un hangar à bateaux a capté la scène.
L’opération a déclenché une enquête transfrontalière majeure : 11 personnes ont été inculpées à Dallas. Falero-Delgado, quant à lui, a écopé de 11 ans de prison en mars 2024. Si les armes avaient été revendues au Canada, elles auraient pu générer des centaines de milliers de dollars de profit.
Le sergent Jeff Boshek, directeur régional de l’ATF à Dallas, avoue avoir été estomaqué par l’ampleur du trafic vers le nord. « Si vous m’aviez dit, il y a 24 ans, que des armes partiraient du Texas vers le Canada, j’en aurais ri », dit-il. Aujourd’hui, il ne rit plus.
Selon les données de la GRC et du Criminal Intelligence Service Ontario, 91 % des armes de poing illégales saisies en Ontario en 2024 provenaient des États-Unis – soit 1 703 armes, en hausse de 33 % depuis 2022. Les saisies à la frontière aussi explosent : 839 armes en 2024 contre 581 l’année précédente.
Les contrebandiers canadiens profitent d’un marché américain extrêmement poreux. Au Texas, aucun permis n’est requis pour acheter ou porter une arme en public depuis 2021. Les ventes privées et les salons d’armes, sans formulaire ni vérification, facilitent les achats anonymes. Le tout dans un contexte politique où toute tentative de réglementation se heurte à la pression du lobby pro-armes, comme la NRA.
Certaines figures, comme le trafiquant Demontre Antwon Hackworth, ont acheté des dizaines d’armes en quelques mois chez un seul vendeur privé (Triggernometry Arms), dont certaines se sont retrouvées utilisées dans des crimes au Canada. Hackworth a été condamné à 21 mois de prison, mais son fournisseur n’a fait l’objet d’aucune sanction.
Malgré l’appui de l’ATF, les policiers canadiens peinent à enrayer le flot d’armes. Le trafic est lucratif, les réseaux bien organisés, et les zones forestières le long des 8 000 kilomètres de frontière rendent les traversées quasi impossibles à contrôler. Chris Taylor l’admet : « Je ne fais pas ce travail pour recevoir une montre à la retraite. C’est pour empêcher ces armes de traverser. »
Les forces de l’ordre réclament davantage de traçabilité, des peines plus lourdes, et une collaboration constante. Mais tant que la demande canadienne pour les armes interdites reste forte – Glocks, fusils d’assaut et chargeurs étendus – et que le marché américain demeure aussi accessible, la contrebande prospérera.
Le reportage de Greg Mercer met en lumière une contradiction majeure : alors que le gouvernement canadien affirme rompre avec l’intégration sécuritaire des années passées, ses policiers, eux, dépendent toujours de Washington. La lutte contre les armes illégales se gagne à deux, et, pour l’instant, c’est grâce à une agence américaine que le Canada tente de rester à flot.
Le message est clair : sans traçabilité, sans coopération, et sans volonté politique des deux côtés, les criminels continueront de tirer parti d’un marché aussi lucratif que létal.
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