Voilà, c’est fait : l’élection canadienne a eu lieu, et les libéraux de Mark Carney ont remporté leur pari. Après dix ans de règne libéral sous Justin Trudeau, Mark Carney obtient son premier mandat. Or, du côté des conservateurs, il ne s’agit pas nécessairement d’une défaite. Ils ont réalisé les meilleurs scores au vote populaire depuis 1988 et ont fait des gains importants dans des régions difficiles, notamment dans la grande région de Toronto. La poussée libérale est donc essentiellement le fruit de l’écroulement du NPD et du Bloc québécois : deux partis qui furent d’importants soutiens du dernier gouvernement Trudeau, et probablement perçus comme relativement inutiles par les électeurs dans cette élection extrêmement polarisée. Dans tous les cas, c’est largement grâce au Québec que les libéraux sont aujourd’hui au pouvoir, ce qui force une réflexion chez les nationalistes québécois.
Rappelons que, suite à l’élection de Carney à la tête du Parti libéral, les sondages lui prédisaient une victoire écrasante. Pourtant, cela faisait deux ans que les conservateurs de Poilievre dominaient les intentions de vote, étant extrêmement efficaces pour adresser les enjeux les plus brûlants du pays : économie, logement, insécurité, immigration, etc.
Évidemment, la guerre des tarifs et les insultes trumpiennes du type « 51ᵉ État » ont complètement renversé la vapeur, Carney apparaissant — avec son CV étoffé dans de grandes institutions — comme le meilleur candidat pour confronter le président américain.
Un fort biais pro-libéral dans les médias traditionnels — probablement influencé par les promesses de subventions — a mené à une couverture presque exclusive de cette crise tarifaire, reléguant au second plan les préoccupations qui dominaient pourtant le débat public depuis deux ans. Et dans la foulée de cette couverture complaisante, visant de toute évidence à créer une Carney-mania, les journalistes ont brandi des sondages en rafale pour éloigner autant que possible l’idée d’une victoire conservatrice.
Les sondages annonçaient tous une victoire écrasante des libéraux, au point où même les conservateurs semblaient s’y résigner, dans un défaitisme franchement pitoyable. Or, on savait aussi que le vote des jeunes — peu documenté dans les sondages — serait déterminant. On pouvait donc s’attendre à des surprises.
Et surprises il y eut, dès le dépouillement des votes. D’abord, les conservateurs sont entrés en force, notamment dans les Maritimes, où ils ont fait plusieurs gains inattendus. On sentait alors les journalistes embarquer dans une forme de damage control, tentant de justifier leurs erreurs de projection. Mais lorsque le reste du pays a commencé à être dépouillé, on est revenu à un scénario plus conforme aux sondages.
C’est d’abord le Québec qui a massivement tourné le dos au Bloc et aux conservateurs pour se réfugier chez les libéraux de Carney. Instantanément, le dépouillement des votes québécois a annulé l’avance conservatrice accumulée dans l’Est. En Ontario, les conservateurs ont fait des gains impressionnants, mais ceux des libéraux au Québec ont suffi à maintenir leur avance. En Colombie-Britannique également, de bons résultats conservateurs ont été contrebalancés par une érosion massive du NPD au profit des libéraux.
Au moment d’écrire ces lignes, on dépouille encore les dernières boîtes après des heures interminables de luttes serrées. Résultat final :
Libéraux : 169 | Conservateurs : 144 | Bloc : 22 | NPD : 7 | Verts : 1
Ainsi donc, les sondages n’étaient pas si loin de la vérité en termes de projection de sièges, mais la course s’est révélée bien plus serrée qu’annoncé sur le plan du vote populaire (43,7 % contre 41,3 %), avec des luttes extrêmement âpres dans les circonscriptions clés.
Avec cette répartition des sièges, on ne peut que spéculer sur les scénarios à venir.
Alors qu’on croyait initialement que le Bloc aurait la balance du pouvoir, c’est finalement le NPD qui la détient. Or, sans chef, les perspectives d’alliance sont momentanément suspendues. Les libéraux pourraient néanmoins séduire certains députés néo-démocrates afin d’atteindre la majorité.
Cela dit, les députés du NPD pourraient aussi interpréter leur score historiquement bas — après des années de soutien aux libéraux — comme un appel au changement. S’ils souhaitent redonner de la pertinence à leur formation, ils pourraient être tentés de provoquer une chute rapide du gouvernement, dans l’espoir de regagner des sièges lors d’un nouveau scrutin.
On ignore donc si le gouvernement Carney formera une coalition, obtiendra une majorité par transfuges… ou si nous fonçons vers une élection anticipée.
Quant au Bloc, Blanchet avait tendu la main à Carney en pleine campagne. Lors de son discours nocturne, il semblait encore croire qu’il détiendrait la balance du pouvoir, malgré la perte de dix sièges — un scénario qui lui aurait conféré un réel levier. Or, au terme du dépouillement, non seulement le Bloc a perdu davantage de députés, mais il ne détient plus aucun poids décisionnel. Il se retrouve donc dans une situation similaire à celle des deux dernières années, et l’on peut s’attendre à un collaborationnisme mou de Blanchet avec les libéraux.
Autre fait marquant de la soirée : Pierre Poilievre n’a pas réussi à se faire réélire dans sa propre circonscription, qu’il détenait pourtant depuis 2004… C’est un coup dur pour le chef conservateur qui, malgré la défaite, a réalisé des gains importants et se positionne favorablement pour la prochaine élection. Pour siéger, il devra donc être élu ailleurs, via une partielle. Cette situation affaiblit néanmoins son leadership, qu’il tente de préserver.
C’est d’autant plus significatif que des luttes internes éclatent déjà au sein du parti. Certains estiment que la défaite est imputable à Poilievre, à sa campagne jugée ratée, et réclament son départ.
Il faut dire que le style de Poilievre n’a jamais fait consensus, et s’est avéré extrêmement impopulaire auprès des médias, qui l’ont constamment comparé à Trump ou qualifié de populiste. On a aussi critiqué l’opacité de l’organisation de campagne, plusieurs militants et candidats conservateurs ayant apparemment été écartés ou snobés.
Mais il serait sans doute imprudent de tout mettre sur le dos de Poilievre… Notamment au Québec, où plusieurs rumeurs évoquaient un noyautage du parti par certains députés et agents politiques proches de milieux caquistes, cherchant à préserver leur monopole sur les éventuels postes ministériels.
La campagne conservatrice a certainement été imparfaite, et le chef porte une part de responsabilité. Mais on sent aussi que nombre de problèmes sont nés de décisions en coulisse dans certaines régions.
Car en fin de compte, malgré les prédictions d’une défaite écrasante, les conservateurs de Poilievre ont réalisé des gains impressionnants. Et compte tenu des ingérences de Trump, du climat de panique tarifaire et de la Carney-mania médiatique, ils ont très bien performé.
Ainsi, appeler à un changement de chef maintenant serait probablement imprudent, et risquerait de replonger le parti dans un épisode de mollesse et d’indécision à la Andrew Scheer. De toute évidence, le style de Poilievre, et sa volonté de rester concentré sur les enjeux canadiens, ont sauvé les meubles pour un parti qu’on disait condamné.
D’ailleurs, le déplacement des votes du Bloc vers les libéraux semble bien plus circonstanciel et réversible que celui des libéraux vers les conservateurs en Ontario — un mouvement plus structurel qui offre aux conservateurs une base solide pour le prochain cycle électoral.
Comme toujours, le statut particulier du Québec et la présence du Bloc québécois ont complexifié les stratégies électorales. De toute évidence, les conservateurs espéraient faire des gains au Québec, mais comptaient aussi sur le Bloc et le NPD pour conserver leurs circonscriptions et ainsi limiter les avancées libérales. Par conséquent, les conservateurs ont largement épargné le Bloc québécois et le NPD pendant la campagne. En guise de remerciement, Yves-François Blanchet a tendu la main à Carney… en pleine campagne !
Ce n’est pas nouveau : la pertinence du Bloc est régulièrement remise en question, notamment en ce qui concerne son positionnement flou sur l’axe gauche-droite. L’hostilité instinctive d’Yves-François Blanchet envers les conservateurs semble l’amener à systématiquement préférer les libéraux — pourtant adversaires naturels de l’indépendance québécoise.
Blanchet avait été excellent en débat, lançant de solides critiques à Carney et se positionnant comme une alternative québécoise à un vote libéral. Tout semblait aligné : une forte députation bloquiste pour faire contrepoids à un gouvernement conservateur. Or, dans la dernière semaine de campagne, il a essentiellement concédé la victoire à Carney en se disant prêt à travailler avec lui. Cela a fait dérailler sa campagne, notamment auprès d’électeurs conservateurs qui comptaient voter pour lui afin de bloquer les libéraux.
Ces positions tranchent avec celles de Paul St-Pierre Plamondon, chef du Parti québécois, qui écrivait en majuscules que Carney représentait un « DANGER EXISTENTIEL » pour le Québec. Ce dernier a d’ailleurs critiqué directement le Bloc aujourd’hui.
Reste à voir combien de temps ce gouvernement minoritaire tiendra. Il pourrait durer quatre ans ou tomber dès l’année prochaine. Le temps seul nous le dira.
Mais en attendant, notons ceci : ce sont peut-être les libéraux qui ont été élus… mais sur une plateforme conservatrice. Il est désormais notoire que Mark Carney a largement repris les grandes lignes du programme conservateur des deux dernières années.
Sa plateforme marque une rupture complète avec celle de Trudeau : abolition de la taxe carbone, réouverture à l’exploitation et à l’exportation d’hydrocarbures, baisse d’impôts, allègements réglementaires, réduction des barrières interprovinciales, stimulation de la construction de logements, etc. Il s’affiche comme un premier ministre « économique » souhaitant se détourner du wokisme pour reconstruire l’économie canadienne.
Il faudra donc le prendre au mot et le surveiller de près. Il a fait campagne en conservateur ? Il sera jugé selon ce critère. Aucun passe-droit. C’est essentiellement la mission des vrais conservateurs pour les mois à venir. Et en cas de trahison, ou de retour au trudeauisme débridé, ils seront là pour s’imposer à nouveau comme la seule alternative économique sérieuse.
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