Une fois de plus, un allié européen venu visiter le Canada a évoqué le grand intérêt qu’il portait envers un possible approvisionnement en gaz naturel canadien. Une fois de plus, Justin Trudeau a fait la sourde oreille et s’est contenté de parler de lutte aux changements climatiques et de collaboration dans d’autres secteurs de moindre importance. La déclaration de cet intérêt par le premier ministre grec Kyriakos Mitsotakis lors de l’émission « Question Period » a aussi poussé le chef du Parti conservateur du Québec Éric Duhaime à relancer le débat sur l’exploitation de la ressource au Québec, qui a été bannie par le gouvernement de François Legault malgré des promesses répétées d’aller dans ce sens dans le passé.

Lutte aux changements climatiques?

Selon les communiqués officiels du bureau du premier ministre Justin Trudeau, la visite de son homologue grec fut « fructueuse » et aura été « l’occasion pour faire progresser la collaboration entre leurs pays dans des domaines d’intérêt commun, y compris le commerce et l’investissement, la lutte contre les changements climatiques, le tourisme et la création de bons emplois pour la classe moyenne. »

Par « lutte contre les changements climatique », le gouvernement Trudeau voulait plutôt dire « lutte contre les feux de forêt », auquel la Grèce est confrontée depuis des siècles en raison de son climat qui a toujours été extrêmement sec – et ce depuis au moins l’Antiquité… Mais évidemment, en 2024, le gouvernement libéral attribue à peu près toute catastrophe naturelle aux changements climatiques, ce qui lui permet de poser comme un gouvernement proactif à chaque fois qu’il en a l’occasion.

La grande annonce de cette rencontre fut donc la vente de sept avions citernes DHC-515 à la Grèce pour un total de 392 millions de dollars. C’est effectivement le Canada qui a inventé ces avions de lutte contre les incendies ; c’est donc un fleuron qui vaut la peine d’être célébré, et il est tout à fait logique qu’on soit en étroite collaboration avec l’un des pays les plus affectés par le problème des feux de forêt.

Justin Trudeau a aussi annoncé un investissement de 10 millions de dollars pour la création d’un centre communautaire destiné à la communauté hellénique de Montréal, et les deux premiers ministres ont discuté, entre autres choses, de tourisme et de commerce entre les deux pays.

La question énergétique évitée

Les communiqués du gouvernement font aussi une mention très générale sur l’alignement des deux pays en matière de diplomatie et de géopolitique : « Le Canada et la Grèce ont des vues similaires quant aux grands enjeux mondiaux et régionaux. Ils collaborent étroitement au sein de diverses institutions multilatérales, notamment les Nations Unies, l’OTAN, l’Organisation de coopération et de développement économiques, l’Organisation mondiale du commerce et la Francophonie. »

C’est peut-être vrai d’une manière très générale, mais il y a tout de même un point d’achoppement incontournable autour de la question énergétique : alors que le premier ministre grec affirmait qu’il serait « évidemment » très intéressé par un approvisionnement en gaz naturel canadien lors de l’émission « Question Period », à laquelle il a participé suite à sa rencontre avec Justin Trudeau, le gouvernement libéral en place à Ottawa, s’y refuse catégoriquement.

Ce n’est pas anodin considérant le portrait énergétique et la position géopolitique de la Grèce dans le monde. Ses capacités hydriques sont proches de zéro, ce qui l’empêche de développer réellement le secteur hydroélectrique – et explique aussi son problème de sècheresse et de feux de forêt. En matière d’énergies renouvelables, elle est donc limitée au solaire et à l’éolien, qui demeurent des technologies dont l’approvisionnement peut s’avérer intermittent. En conséquence, environ 56% de sa production électrique dépend d’hydrocarbures tels que le gaz naturel.

Or le pays est voisin avec la Turquie, qui est l’un des principaux pays de transit pour le gaz russe. En effet, avec les projets TurkStream et Blue Stream, qui ont remplacé le projet South Stream, d’immenses pipelines ont été construits sous la mer Noire jusqu’en Turquie et en Bulgarie, avec des débouchés potentiels partout dans les Balkans et dans le sud de l’Europe. En conséquence, la pression pour s’approvisionner auprès de la Russie est extrêmement forte dans la région, ce qui pose un sérieux enjeu géopolitique.

Car l’énergie est le nerf de la guerre dans la confrontation de l’Europe contre la Russie. Plus l’Europe est dépendante du gaz russe, moins elle a les moyens de s’opposer à Vladimir Poutine. Ainsi, offrir une alternative au gaz russe en Europe serait beaucoup plus significatif en termes de soutien. Sans même envoyer de matériel militaire à l’Ukraine, le Canada pourrait assurer une plus grande stabilité en Europe sur le long terme.

Si le Canada avait réellement à cœur la stabilité régionale autour de la Grèce, il s’assurerait que le pays ne soit pas forcé, à court ou moyen terme, de s’approvisionner sur les pipelines russes. C’est déjà un problème géopolitique que la Turquie, qui est l’un des plus grands pays contributeurs à l’OTAN, en dépende autant ; il serait donc tout à fait logique d’offrir une alternative dans la région.

Mais comme toujours, Justin Trudeau fait la sourde oreille et s’obstine dans son sabotage du secteur énergétique canadien, tout comme il l’avait fait lors de la visite du chancelier allemand Olaf Scholz à l’été 2022.

Relancer le débat du gaz naturel québécois?

Sur la scène provinciale, cette sortie du Premier ministre grec a fait réagir Éric Duhaime, du Parti conservateur du Québec, qui a publié un communiqué pour relancer le débat sur l’exploitation du gaz naturel au Québec. Selon lui, il serait irresponsable de notre part de ne pas offrir de soutien à nos alliés et de s’enfoncer dans les déficits alors que nous disposons de la plus grande réserve non exploitée de gaz naturel au monde :

« Il est grandement temps pour le Québec d’exploiter notre gaz naturel afin de devenir autonome en matière énergétique et aider nos partenaires commerciaux et politiques comme la Grèce ou l’Allemagne. Il y a une crise énergétique présentement. La guerre en Ukraine nous oblige à agir rapidement […]

Il est irresponsable sur le plan économique, politique et environnemental de ne pas exploiter notre gaz. Sur le plan économique, le gouvernement Legault vient de présenter un budget déficitaire de 11 milliards $. On a un urgent besoin d’un gros projet rentable, sans subvention. Sur le plan environnemental, il faut aider nos alliés européens à s’approvisionner en GNL, plutôt que de les voir retourner au charbon, en vue de diminuer leurs GES. Sur le plan politique, rien n’aidera davantage les Européens, même les Ukrainiens, que de les rendre indépendants du gaz de la Russie ou du Moyen-Orient ».

Ce positionnement du chef conservateur s’oppose ainsi à la décision du gouvernement de François Legault de bannir toute nouvelle exploration ou exploitation d’hydrocarbure en sol québécois en 2022. Effectivement, au même moment, les ruptures d’approvisionnement en Europe forçaient l’Allemagne à relancer ses mines de charbon aux dépens de certains parcs éoliens, ce qui, au total, s’avère encore plus dommageable pour l’environnement.

Assurer un approvisionnement stable et éthique au reste du monde serait une manière beaucoup plus efficace pour baisser drastiquement les émanations de GES globales. Outre l’Europe, le marché asiatique serait aussi un débouché où les bénéfices environnementaux seraient les plus significatifs, la région dépendant encore fortement du charbon. Mais cette obstination québécoise et canadienne ralentit l’abandon du charbon à l’échelle mondiale, tout en nous faisant perdre des milliards en profits potentiels.

Philippe Sauro-Cinq-Mars

Diplômé de science politique à l'Université Laval en 2017, Philippe Sauro Cinq-Mars a concentré ses recherches sur le post-modernisme, le populisme contemporain, la culture web et la géopolitique de l'énergie. Il est l'auteur du livre "Les imposteurs de la gauche québécoise", publié aux éditions Les Intouchables en 2018.

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