Lors de son passage à Namur, capitale de la Wallonie et ville-jumelle de Québec depuis 25 ans, le maire de Québec Bruno Marchand se serait fait conseiller par le bourgmestre (équivalent du maire) de piétonniser de force Québec, même s’il faut pour cela « contrarier » ses citoyens. Mes cousins belges m’excuseront pour cette petite pointe dans le fait de caractériser leur ville comme une petite municipalité, mais c’est tout de même le cas et cela s’avère plutôt important lorsqu’on parle d’urbanisme.
En effet, le bourgmestre Maxime Prévot ne tari pas d’éloge sur cette décision, il y a vingt ans, de réserver tout le quartier historique de Namur aux piétons : «À l’époque, 90 % des commerçants étaient contre. Aujourd’hui, il n’y a pas 1 % des commerçants qui voudraient faire marche arrière». C’est dans cet esprit, et en soulignant le courage de penser aux générations futures, que le bourgmestre argumente qu’il faut parfois « contrarier » les citoyens.
Il n’en fallait pas plus pour ravir Bruno Marchand, qui cherche lui aussi à mettre en place ce genre de politiques vertes « de transition », que ses opposants appellent tout simplement « la guerre à la voiture ». Se sentant consolidé par les exemple de Bordeaux et de Namur, Marchand explique qu’il faut développer des « lieux apaisés » dans certains quartiers de Québec pour sauver les commerces locaux de la concurrence des grandes surfaces ou du web.
Il y a cependant quelque chose de trompeur dans cette confirmation européenne des projets de Marchand. D’abord, les populations sont loin de s’équivaloir : la population de Namur s’élève à 110 000 personnes, ce qui est moins que la population de Terrebonne, qui siège au 10ième rang des villes d’importance au Québec. La ville de Québec, pour sa part, a une population de 542 000 personnes – ce qui est plus que l’ensemble de la province de Namur – et de 821 000 si on parle de la communauté métropolitaine de Québec, qui rassemble Lévis, la Côte-de-Beaupré et l’Île-d’Orléans.
Si, au Québec, on dit de notre Capitale-Nationale qu’elle « n’est qu’un village », comment devrait on appeler Namur, qui est au moins 6 fois plus petite? Et en quoi la réalité des habitants de cette petite capitale régionale peut-elle être mise en parallèle avec notre un peu moins petite Capitale-Nationale?
Le côté boiteux de la comparaison ne s’arrête pas là ; les villes européennes ont suivi un tout autre modèle de développement et ce, des siècles avant même la fondation de Québec en 1608. Il ne devrait pas être surprenant que des villes européennes s’adaptent bien aux piétons : elles ont, pour la plupart, littéralement été construites dans ce modèle avant la généralisation des transports et leur mécanisation à partir du XIXe siècle. Les villes européennes étaient déjà « faites » pour les piétons… ce qui est loin d’être le cas de Québec.
Le centre de Namur ne fait même pas 2 km de diamètre. Directement au nord de ce petit secteur, c’est à dire à moins de 10 minutes de marche, une importante gare relie la ville aux autres villes d’Europe. Il y a évidemment des banlieues qui se sont développées plus tard autour de la ville, mais elles ne s’en éloignent pas plus que de 5 ou 6 kilomètres.
L’idée n’est pas ici de refuser en bloc tout projet de piétonnisation à Québec ; certaines parties du centre historique s’y adaptent bien, notamment le petit Champlain et d’autres secteurs du Vieux-Québec. On peut imaginer, aussi, que certains coeurs du quartier historique pourraient y être convertis… On comprend bien que Marchand pense ici aux « villes de 15 minutes » (où il est possible de tout faire dans un rayon de transport de 15 minutes). Cependant, l’intérêt qu’il porte à ce genre de politiques s’avère grossièrement disproportionné au regard des besoin de la Capitale-Nationale, dont l’agglomération, fortement autoroutière, est d’une longueur de 25 km de Saint-Augustin à Boischâtel, et de 13 km du Lac-Saint-Charles au Saint-Laurent.
D’autant plus qu’à part le signalement de vertu, il faudrait d’abord nous expliquer quel est le problème exactement à Québec au regard de la circulation des piétons. Tout le Petit-Champlain est déjà piéton la majorité du temps. Une bonne partie de la Rue Saint-Jean aussi, ainsi que le Carré D’Youville et d’autres secteurs lors des évènements. Pour le reste, au centre, pouvons-nous vraiment dire qu’on fait du « tout à l’automobile »? Vous-êtes vous déjà promenés dans les tranquilles rues de Saint-Jean-Baptiste, Saint-Roch, Montcalme ou Saint-Sauveur en ayant l’impression que vous étiez restreints dans vos déplacements? Entre les passerelles et les escaliers ombragés, les petites rues pittoresques de ces anciens quartier ouvriers, pratiquement toujours très peu achalandées, qui peut vraiment dire que le centre-ville de Québec n’est pas adaptée aux piétons? Il faut être complètement fou pour croire ça, et particulièrement malhonnête pour en faire un enjeu politique.
C’est simple : c’est d’un faux problème que nous parle Marchand. Piétonniser une rue de plus dans le Vieux-Québec plaira peut-être à quelques touristes ou plaisanciers pendant la haute saison, mais ne changera pas grand chose au mode de vie des habitants de la Capitale-Nationale, qui ont aussi des choses à faire ailleurs, dans l’agglomération, que ce soit dans le quartier commercial de Lebourgneuf, dans les quartiers industriels près de Versant-Nord, ou carrément dans les Laurentienne, à l’Île-D’Orléans ou sur la Rive- Sud.
En aucun cas l’urbanisme actuel de la Ville de Québec ne peut être comparé au profil apparemment idyllique de Namur ; mise à part quelques bobos ou étudiants des quartiers centraux, tenter de « contrarier » sa population dans l’application aveugle de ce genre de politique ferait beaucoup plus de laissés pour compte dans les quartiers périphériques qui ont grandement besoin qu’on s’occupe d’eux et des infrastructures qui font vivre la ville de Québec.
En passant, Marchand aurait pu demander au bourgmestre ce qui justifiait qu’une ville de 110 000 habitants possède 14 ponts et si ça l’inquiétait en terme d’étalement urbain. Mais bon, on ne peut pas tout avoir!
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