Le privilège gris : les rabais pour aînés sont-ils encore justifiés ?

D’après un article de Brandie Weikle publié sur CBC News le 28 juillet 2024.

Les rabais pour aînés, longtemps considérés comme un filet de sécurité pour une génération moins nantie, sont-ils devenus un anachronisme dans le contexte économique actuel? Alors que l’inflation gruge le pouvoir d’achat des jeunes familles et que le prix des logements atteint des sommets, de plus en plus de voix s’élèvent pour remettre en question l’équité de ces réductions réservées aux 65 ans et plus.

Laura Backstrom, violoncelliste et enseignante de 60 ans à Victoria, a commencé à douter de la logique derrière ces rabais. Elle constate que les salles de concert classiques qu’elle fréquente sont peuplées « d’une mer de cheveux blancs ». Pour elle, cela s’explique peut-être moins par l’amour de la musique que par l’accès facilité grâce à des billets à prix réduit. Pendant ce temps, les jeunes familles, accablées par les frais de garde ou le coût d’un simple stationnement, renoncent souvent à ce genre de sorties culturelles.

Des données qui contredisent les perceptions

Si la pauvreté chez les personnes âgées demeure une réalité pour certains, les statistiques racontent une autre histoire. Selon les données de Statistique Canada de 2022, seulement 6 % des Canadiens âgés de 65 ans et plus vivent sous le seuil de faible revenu, contre 11,1 % pour l’ensemble des adultes. Et chez les personnes seules, ce sont les jeunes qui écopent davantage : 31 % des célibataires de moins de 65 ans sont en situation de pauvreté, contre 14 % chez les aînés seuls.

Harry Kitchen, professeur émérite en économie à l’Université Trent, rappelle que les rabais aux aînés ont été instaurés dans les années 1960, à une époque où les retraités vivaient souvent dans une grande précarité. « Aujourd’hui, ce n’est plus le cas. La proportion de pauvres chez les 65 ans et plus est maintenant la plus faible de tous les groupes d’âge », affirme-t-il.

Des parents en difficulté

Lisa Evans, mère monoparentale de deux enfants à Dundas, en Ontario, ne souhaite pas voir les rabais pour aînés disparaître, mais aimerait que des réductions soient aussi offertes aux parents. Elle évoque le contraste frappant entre la situation financière de sa génération et celle de ses parents. Son père avait acheté leur maison de Toronto pour 60 000 $ en 1979 avec un salaire annuel de 20 000 $. Aujourd’hui, cette même propriété vaut un million. « C’est dix fois le revenu annuel d’un ménage moyen », souligne-t-elle.

Entre les versements hypothécaires exorbitants, les frais de garderie et les camps d’été, les jeunes familles sont étouffées. Evans admet même profiter à l’occasion des rabais pour aînés en demandant à sa mère d’acheter certains articles coûteux pour ses enfants.

Les « privilèges » des aînés en question

Pour Diane Bracuk, une Torontoise qui se décrit comme une « vieille fille branchée », les rabais sont l’un des rares avantages de l’âge. Son 20 % de réduction chez Shoppers Drug Mart chaque jeudi lui permet d’acheter des médicaments en vente libre pour soulager ses douleurs arthritiques, ainsi que de la teinture pour cheveux. « On ne peut plus dépenser comme avant quand on est sur un revenu fixe », dit-elle.

Mais pour l’économiste Steven Schechter, retirer les rabais poserait un risque commercial. « Si vous les supprimez alors que vos concurrents les maintiennent, vous risquez gros », dit-il, évoquant le pouvoir de lobbying des groupes de défense des aînés.

Doug Stephens, consultant en commerce de détail, est plus tranché : « On ne peut pas mettre tout le monde dans le même panier, mais les aînés d’aujourd’hui sont, en moyenne, mieux nantis que leurs parents au même âge. Pourtant, les rabais persistent. » Selon lui, il serait plus judicieux de rediriger ces avantages vers les jeunes, qui peinent à payer leurs factures.

Shayne Coutinho, 34 ans, en sait quelque chose. Il a dû retourner vivre chez ses parents à Unionville, en Ontario, pour espérer un jour acheter une propriété. Il ne blâme pas les aînés qui profitent des rabais, mais estime qu’ils devraient être accessibles à tous, d’autant plus que les grandes chaînes d’alimentation et de pharmacies affichent des profits records.

La Rédaction

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