« Le Québec est à l’avant-garde de la décadence de l’Occident » | Jérôme Blanchet-Gravel

L’essayiste et journaliste Jérôme Blanchet-Gravel publie Un Québécois à Mexico aux éditions de l’Harmattan. Pour l’occasion, notre chroniqueur Simon Leduc s’est entretenu avec l’auteur de ce livre étonnant.

Québec nouvelles: Qu’est-ce qui vous a poussé à écrire un livre sur votre expérience au Mexique, et plus particulièrement dans la gigantesque ville de Mexico?

Jérôme Blanchet-Gravel: Comme je l’écris dans le prologue, ma rencontre avec le Mexique est née de ma simple curiosité. Je suis attiré depuis plusieurs années par le monde hispanophone en général, et en juillet 2018, je décidai de me rendre une première fois à Mexico pour découvrir la ville. On peut alors parler d’un coup de foudre. C’est d’abord la sensation, voire la certitude de me trouver dans un monde beaucoup plus vivant que le nôtre qui m’a motivé à entreprendre la rédaction de ce récit.

C’est un livre sur le Mexique, mais c’est aussi un livre sur le malaise occidental et québécois en particulier. C’est un livre sur une culture extraordinairement vivante et en parallèle, sur une société québécoise qui ne sait plus vraiment vivre. Depuis la pandémie, le Québec passe son temps à fuir la vie par peur de la mort, une tendance que sa vision étatique et maternelle de la société avait bien préparée.

Pourquoi appelez-vous le Mexique «le pays des morts»?

Jérôme Blanchet-Gravel: Je ne vous apprendrai rien en disant que le Mexique est un pays où la pauvreté et la violence font des ravages. L’ancien empire aztèque est devenu un quasi narco-État où la corruption atteint des sommets. Au moins 35 000 homicides y sont enregistrés chaque année, sans compter les centaines de disparitions annuelles de personnes qui ne verront la plupart du temps jamais leurs familles. Ce pays est extrêmement violent et je ne cherche pas à cacher le côté obscur du pays de Frida Kahlo dans mon ouvrage. Je ne pense pas offrir une vision fleur bleue du Mexique, même s’il s’agit somme toute d’un hommage à ce pays si puissant et riche sur le plan culturel.

Mais c’est aussi «le pays des morts», car on retrouve au Mexique une mythologie héritée de son passé précolombien qui célèbre la mort au lieu de la repousser et de la nier en vain, comme on le voit aujourd’hui au Québec et dans d’autres pays occidentaux. Au Québec, durant la pandémie, l’impossibilité de dire un dernier adieu à nos défunts et même d’aller rendre visite à nos proches mourants à l’hôpital témoigne d’un peuple qui ne sait plus composer avec une fin inéluctable et qui, en plus, sombre dans une inhumanité indigne.

Au Mexique, le célèbre Jour des morts (Día de muertos) est le meilleur exemple de cet imaginaire vouant un culte à la mort, vu comme l’alter ego de la vie. Il est fascinant de voir s’entremêler au quotidien les histoires de meurtre qui font quotidiennement les manchettes avec la fascination pour l’autre monde qu’entretiennent les Mexicains.

En revanche, l’un des constats de mon livre est que le Mexique n’est certainement pas moins mortifère que le Québec actuel marqué par le rejet de la vie sociale et collective, ce qui est un grand paradoxe. Le Québec n’a jamais été aussi mort que depuis qu’il prétend tout faire en son pouvoir pour sauver des vies.

Comment décririez-vous la culture mexicaine?

Jérôme Blanchet-Gravel: La culture mexicaine est flamboyante et chevaleresque, ce qui lui vient de son héritage espagnol. C’est une culture entière et souvent explosive (parfois trop…) qui n’a aucune difficulté à assimiler les nouveaux arrivants, pour des raisons démographiques également (la population mexicaine est de 129 millions de personnes). C’est une culture à des années-lumière de notre malheureux penchant pour la médiocrité et la tiédeur.

Les Québécois n’ont jamais aimé les forts tempéraments brillants, lesquels sont vus comme une menace à l’intégrité de la masse faible et fragile. Il faut venir en Amérique latine pour constater que les Québécois n’ont plus grand-chose de ce vif et piquant esprit latin censé les différencier des protestants d’Amérique du Nord.Le Québec est devenu un enfer réglementaire où le cocooning est devenu le mode de vie par excellence de ses habitants mentalement lessivés et bureaucratisés.

Les Québécois ont d’ailleurs sombré dans un tel puritanisme social depuis la pandémie qu’ils sont peut-être même en train de devenir plus protestants que leurs voisins gringos, canadiens et américains. Leur abandon du sens de la famille va aussi dans ce sens.

Vous affirmez que la civilisation occidentale est en crise. Pourquoi?

Jérôme Blanchet-Gravel: C’est une vaste question, mais il est certain que l’Occident a entamé son déclin, sur le plan culturel comme sur le plan géopolitique. Nous allons passer d’un monde unipolaire dominé par les États-Unis à un monde multipolaire. La pandémie de Covid-19 sera sans doute à l’échelle de l’histoire le coup fatal qui aura été porté à cette civilisation anxieuse et gavée de confort.

La Chine s’en trouve renforcée économiquement et idéologiquement. Non seulement le centre de gravité de l’économie mondiale est en train de se déplacer vers le Pacifique, mais Pékin aura réussi à faire adapter une partie de son modèle de société à des pays occidentaux incapables de sortir de la peur et du risque zéro, leur nouvelle religion d’État. C’est un triste spectacle.

C’est connu depuis les Grecs: il existe un point où une société atteint une telle qualité de vie qu’elle bascule dans la décadence. Avec son récent projet de dinde réservée aux vaccinés à Noël, le Québec est clairement là. Voici une société qui avait pourtant toutes les ressources pour s’épanouir pleinement et qui s’autodétruit sous le poids de l’hypocondrie et de l’insignifiance. Vu de Mexico, il me semble évident que le Québec et le Canada dans son ensemble sont hélas à l’avant-garde de la décadence de l’Occident. Comme l’écrivait l’essayiste et poète mexicain Octavio Paz, une civilisation qui nie la mort en vient à nier la vie. L’Occident ne rêve plus d’abondance, de mouvement et de conquête du monde, mais de décroissance, de stabilité et de repli sur soi.

Simon Leduc

Ancien éditeur en chef du Prince Arthur Herald et ex-blogueur au Huffington Post Québec. Chroniqueur pour le journal Contrepoids et blogueur.

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