Dans un texte paru récemment dans la revue Scientific, le biologiste Augustin Fuentes nous « explique » pourquoi le sexe chez l’être humain n’est pas binaire. C’est du moins ce qu’indique le titre du texte, qui se traduit par « Voici pourquoi le sexe chez l’humain n’est pas binaire ».

Le sous-titre spécifie que « le sperme ne fait pas l’homme, les ovocytes ne font pas la femme. » Merci bien mais on le savait déjà : on sait que chez les autres espèces aussi, les mâles produisent du sperme et les femelles, des ovocytes ! On voit mal comment cette affirmation – qui incidemment semble réitérer qu’il y a deux types de gamètes (c’est-à-dire deux sexes) – est utile pour montrer que le sexe chez l’être humain n’est pas binaire.

Par la suite, le premier paragraphe dit que certains politiciens, commentateurs et même quelques scientifiques maintiennent que la seule chose que nous avons à savoir à propos de notre sexe, c’est si notre corps produit du sperme ou des ovocytes, ce qui est déjà douteux : qui prétend que c’est la seule information à avoir à propos du sexe? Mais Fuentes va encore plus loin en affirmant que selon ces politiciens, commentateurs et scientifiques, le type de gamètes définit nos possibilités sociales et nos droits.

Il existe certes des gens qui insistent sur les différences entre les sexes et considèrent qu’elles expliquent des différences générales de comportements entre les garçons et les filles, puis entre les hommes et les femmes. Certains considèrent qu’elles ne font pas qu’expliquer des choses, qu’elles justifient aussi certaines différences dans les rôles sociaux. D’autres encore disent qu’elles justifient certaines politiques sociales ou lois (par exemple, un droit à des congés liés à la grossesse et à l’accouchement pour les femmes). Mais personne ne dit que le type de gamètes produit par quelqu’un est le critère qui doit déterminer ses possibilités sociales et ses droits.

Pour illustrer, les conservateurs qui considèrent que les différences entre les sexes justifient des rôles parentaux différents s’appuient souvent sur le fait que c’est la mère qui accouche et allaite, de sorte qu’il peut être plus difficile pour elle d’occuper un emploi à l’extérieur de la maison tout de suite après l’accouchement et que sa présence auprès de l’enfant durant ses premières années de vie est plus nécessaire que celle du père. Aucun conservateur ne dit que le père doit être le pourvoyeur parce qu’il produit du sperme, ni que la mère doit être la nourrice parce qu’elle produit des ovules : c’est une autre différence entre les sexes qui est prise en compte ici. Or cela implique que cette différence soit connue : les conservateurs qui raisonnent de cette façon-là ont donc parfaitement conscience que le type de gamètes produit n’est pas la seule information pertinente sur le sexe chez l’humain.

Par ailleurs, même chez ceux qui considèrent que certaines différences descriptives entre les sexes justifient certaines différences dans les rôles sociaux, personne ne prétend que l’entièreté des possibilités sociales et des droits d’une personne doit être en fonction de son sexe… encore moins de ses gamètes!

Fuentes répond pour ainsi dire à une position qui n’existe pas, ce qui ressemble à un sophisme de l’homme de paille.

Finalement, Fuentes reconnaît qu’il n’y a que deux sexes, qu’il y a deux types de gamètes et que le corps d’un humain se développe en fonction du type de gamètes produit. Son texte ne démontre pas qu’il n’y a pas seulement deux sexes dans l’espèce humaine, il fait plutôt valoir qu’il n’y a pas seulement deux sortes d’êtres humains. En plus d’avoir un sexe, les humains ont plusieurs autres caractéristiques. À l’intérieur d’un sexe, les humains ne sont pas tous pareils. Chaque homme est différent des autres hommes, chaque femme est différente des autres femmes. Un homme et une femme peuvent avoir des points communs même s’ils ne sont pas du même sexe. L’espèce humaine ne se divise donc pas en deux catégories à l’intérieur desquelles il y a uniformité, et on peut faire des catégories d’êtres humains basées sur autre chose que le sexe. C’est certainement juste, mais Fuentes prétend le dire en réponse à des gens qui diraient le contraire, or personne n’a jamais dit le contraire.

La diversité des caractères et des comportements chez les humains des deux sexes ne changent rien au fait que Colin Wright (auteur auquel nous renvoie le texte ici commenté) a raison d’écrire que le sexe de quelqu’un est déterminé par les gamètes qu’il produit. De plus, quand Wright affirme que les politiques sociales doivent être ancrées dans les propriétés des corps, on n’a aucune raison de l’interpréter comme quoi Wright prétend que les droits et les possibilités sociales des individus doivent être basées sur leurs gamètes ; il est beaucoup plus vraisemblable que Wright ait voulu dire que les différences réelles entre les sexes doivent être prises en compte par les politiques sociales. Il est d’ailleurs à noter que Fuentes semble viser particulièrement les conservateurs avec sa « critique » de « certains politiciens, commentateurs et scientifiques », or Wright n’est pas conservateur.

Tenir compte des différences entre les sexes dans les politiques sociales ne veut pas dire refuser des droits aux femmes, ni justifier l’esclavage ou le racisme, ni attaquer les droits des personnes trans-identifiées, contrairement à ce que prétend Fuentes. Ça veut dire tenir compte des différences entre les sexes pour établir des politiques sociales équitables, notamment en tenant compte des besoins sexo-spécifiques. Donner le droit aux femmes à des congés de maternité est une façon d’ancrer les politiques sociales dans les propriétés des corps ; prévoir des compétitions sportives féminines aussi : dans ces cas-ci, bien loin de refuser des droits aux femmes, il s’agit de leur en donner. Ce n’est pas parce que, par le passé, on a prétendu se baser sur la biologie pour justifier la misogynie et le racisme que ceux qui accordent de l’importance à la réalité biologique ont tort.

Annie-Ève Collin

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