Legault serait trop inflexible envers ses députés… mais il les paie bien!

Beaucoup de réflexions émergent sur le style de gouvernance de M. Legault au lendemain de son score soviétique de 98,6% dans un vote de confiance du congrès de la CAQ. D’abord, une culture d’unanimisme à l’Assemblée nationale inquiète et laisse entrevoir une possible culture de copinage, incarnée dans les récentes controverses autour de nominations aux apparences de conflit d’intérêt. Ensuite, une augmentation de 30% du salaire des députés (équivalent à 30 000$) pousse Éric Duhaime à suggérer que François Legault a « acheté » son vote de confiance. Et ensuite, une ex-députée de la CAQ affirme que les députés d’arrière-banc voient leurs opinions muselés par les lignes de communication du gouvernement. Il serait tentant de penser qu’en quelque sorte, on a acheté le silence de l’Assemblée nationale pour en arriver à un tel unanimisme au Québec.

Les députés d’arrière-banc muselés

Selon la politologue et ex-députée de la CAQ Émilie Foster, le pouvoir et la liberté de parole du simple député sous le gouvernement caquiste se seraient considérablement érodés. Soumis au diktat des lignes officielles de communication du gouvernement, les simples députés devraient de plus en plus taire leurs propres opinions et deviendraient, en quelque sorte, seulement des « porte-paroles » du parti.

« Les partis politiques sont devenus des machines à centraliser le pouvoir et à contrôler le message. […] Le simple député, écrasé par le contrôle des communications et la ligne de parti, perd de plus en plus de pouvoirs dans notre démocratie. », explique-t-elle dans un article de La Presse.

Elle donne d’ailleurs comme exemple le fait que les députés de la région de Québec aient appris en même temps que tout le monde que le gouvernement faisait marche arrière dans le dossier du troisième lien. Cette révélation surprise de Geneviève Guilbeault a frôlé le manque de respect envers les élus et a dû, dans certains cas, être vécue comme une trahison.

Il faut aussi souligner l’influence grandissante des firmes d’expertise-conseil tel que Mckinsey qui façonnent une bonne partie de ce message ; ce qui revient à dire que les députés se font imposer des lignes conçues dans des boîtes de communication par ces « experts » grassement payés. Les partis seraient désormais « imprégnés par une logique de marketing » et se vendraient à l’année longue « comme un produit ».

Le principe de la ligne de parti est évidemment essentiel au bon fonctionnement de notre système parlementaire : on s’attend normalement à ce qu’un député d’un parti vote dans le sens du parti. C’est une manière d’assurer aux électeurs que le député respecte la plateforme du parti pour lequel ils ont votés. Mais on parle ici des votes en chambre. Entre ces votes, il est sain et démocratique que les députés puissent s’exprimer avec le plus de liberté possible.

Une augmentation de 30 000$

Quoiqu’il en soit, ces mécontentement des députés d’arrière-banc ont de quoi être étouffés par les avantages de ce poste lucratif qui vient d’être majoré d’une augmentation très appréciable. En effet, le gouvernement a fait adopter l’augmentation du salaire des députés de 30% par année, ce qui équivaut à environ 30 000$, sans compter l’allocation de dépense de 38 000$…

Des chiffres ahurissants pour le Québécois moyen et les employés du secteur public en négociation salariale avec le gouvernement, qui doivent se contenter de bien moins. Le ministre Drainville s’est d’ailleurs attiré les foudres des enseignants en supposant qu’il n’y avait pas de comparaison possible entre le travail de député et celui d’enseignant, ce qui semblait déprécier leur travail.

Et encore une fois, les députés de l’Assemblée nationale, les caquistes en premier chef, sont demeurés très silencieux sur le sujet. « Ce n’est pas un sujet qui est très populaire, le salaire des élus », affirmait Simon Jolin-Barrette, qui pilotait le dossier et qui se justifie de suivre les recommandations d’un rapport. Populaire ou pas, c’est une évidence que ce n’est pas dans leur intérêt d’en parler, et de belles lignes de communications bien montées comme celle-là, pour une fois, doivent secrètement les réjouir.

C’est dans cette optique qu’Éric Duhaime entrevoit la situation d’ailleurs. Comment expliquer un tel score de Legault dans un vote de confiance? « Je pense qu’il y a beaucoup de gens qui auraient voté pour leur patron si on leur avait donné 30 000 $ d’augmentation de salaire. », expliquait-il simplement dans une conférence de presse.

Et notez que cette augmentation profite aux députés de tous les partis ; gageons que les grands idéaux prennent rapidement le bord dans de telles circonstances, et qu’aux débats acharnés entre adversaires se substitue une opposition docile et domestiquée qui préfère l’unanimité aux « chicanes ». Mais ce ne sont que des spéculations, évidemment.

Risques de l’unanimisme

L’unanimisme à l’Assemblée nationale peut prendre les traits d’un peuple simplement raisonnable, tempéré et bienfaisant, qui évite les « chicanes » et la négativité, or ça présente de graves risques pour la démocratie.

D’abord, les institutions politiques sont en place pour canaliser les tensions politiques, pas les supprimer. Comparez la chose à la soupape d’une « cocotte-minute » : tenter de bloquer complètement la vapeur ferait sauter la cocotte ; la soupape sert à relâcher la pression correctement, pas l’empêcher de sortir.

Une société fonctionne de la même manière : lorsque les débats sociaux font rage, la fonction du parlement est d’en débattre pour trouver une solution et faire diminuer la pression. Mais lorsque le parlement reste muet ou se retrouve muselé devant certains enjeux pour maintenir une unanimité de façade et qu’on laisse les débats sociaux s’envenimer dans la population, on risque de plus en plus de dérapage et « d’explosions » sociales.

C’est un peu ce qui se passe depuis quelques années, avec ces partis obsédés par leur image marketing, qui s’en réfèrent plus aux firmes d’expertise-conseil qu’à leurs électeurs et qui n’offrent qu’un message poli et propret sans jamais oser risquer de vrais débats. Et on se retrouve avec une CAQ « anti-woke » qui vote à l’unanimité, avec les autres partis, pour les motions larmoyantes en faveur de la littérature woke et des drag queens de Manon Massé! Le débat devient peu à peu absent, considéré radical jusqu’au tabou, et notre démocratie laisse de plus en plus place à une politique technocratique d’imposition autoritaire de lignes de partis parasités par les expertises privées.

Mais au moins, les députés seront bien payés.

Philippe Sauro-Cinq-Mars

Diplômé de science politique à l'Université Laval en 2017, Philippe Sauro Cinq-Mars a concentré ses recherches sur le post-modernisme, le populisme contemporain, la culture web et la géopolitique de l'énergie. Il est l'auteur du livre "Les imposteurs de la gauche québécoise", publié aux éditions Les Intouchables en 2018.

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