Selon un article de Radio-Canada ce matin, le gouvernement s’apprêterait à accorder un bloc d’énergie de 307 mégawatts à Hy2gen pour son projet d’usine de production d’hydrogène et d’ammoniac vert. Ce serait le deuxième plus gros bloc d’énergie accordé à une industrie par le gouvernement, après son octroi de 354 mégawatts au projet d’usine de batterie Northvolt. Pour se faire une image, la consommation de Northvolt équivaudra à la totalité de la consommation de Longueuil, et celle d’Hy2Gen, à la totalité de la consommation des résidences de la Côte-Nord. On parle d’une immense part de notre énergie, attribuée de manière arbitraire par le gouvernement alors que nos surplus se tarissent.
Vous remarquerez que je parle ici au conditionnel ; c’est parce que l’entreprise a démenti avoir reçu une confirmation officielle : « Oui, on a bien reçu une lettre d’Hydro-Québec, mais qui est relative aux conditions techniques de raccordement du site. […] Elle n’engage pas le gouvernement ni même Hydro-Québec sur l’octroi d’un volume d’énergie
« . Cela dit, tout indique que cela se concrétise bientôt, selon des sources de Radio-Canada.
Limitations au développement
D’abord, on se rappelle, en janvier 2023, Pierre Fitzgibbon, le ministre de l’Énergie et du Développement de l’époque, déclarait que le Québec ne produisait pas assez d’électricité pour répondre à plus de la moitié des demandes de branchements pour des projets industriels. De la sorte, le gouvernement devait se montrer parcimonieux dans l’octroi des blocs d’énergie.
Cette limitation de notre capacité énergétique est inédite dans les dernières décennies : on se vantait encore de disposer de surplus en 2019, et on signait des ententes d’approvisionnement avec la Nouvelle-Angleterre! Le Québec a bénéficié d’une surproduction d’électricité telle, à partir des années 1970, qu’il a fini par prendre l’électricité pour acquise… Mais le portrait a bien changé, nous nous dirigeons vers des déficits, et les politiques de transitions accélèrent la disparition nos surplus.
De la sorte, cette annonce de Fitzgibbon était très grave et quantifiait le phénomène : le Québec ne pourrait que se développer à moitié dans les années à venir… la moitié de notre potentiel industriel, parti en fumée.
Un pouvoir arbitraire déraisonnable
Mais ce n’est pas seulement le fait de ne pouvoir se développer qu’à moitié qui dérange, c’est aussi le fait que cette situation permet au gouvernement de choisir quel projet ira de l’avant ou pas ; elle crée une condition politique au développement.
Déjà à l’époque, on s’inquiétait du pouvoir arbitraire que cela conférait au ministre de l’Énergie. La Fédération des chambres de commerce du Québec déclarait que cela « [amenait] une perception qu’une porte pourrait éventuellement être ouverte à des interventions politiques prises sur des bases idéologiques et contraires à la croissance économique du Québec ».
En effet, le ministre de l’Énergie disposait dès lors d’un pouvoir de vie ou de mort sur les projets industriels au Québec, et la capacité, aussi, d’attribuer des blocs d’énergie gargantuesque à certaines entreprises aux dépens des autres. Car s’il faut désormais choisir qui se développera, il faut désormais justifier un choix par des critères, ce qui ouvre définitivement la porte à la politisation de notre développement économique.
Plus récemment, le Parti libéral du Québec avait écrit à la vérificatrice générale afin qu’elle enquête sur ce caractère potentiellement arbitraire des blocs d’énergie.
Aveuglement idéologique
Ces critères, ils ont d’abord été explicités vaguement par Fitzgibbon dans des points de presse, se résumant à « Il faut décarboner, décarboner, décarboner », et ensuite consignés plus clairement dans le Plan d’action 2035 – Vers un Québec décarboné et prospère de Michael Sabia, à la tête d’Hydro-Québec, qui confirmait que 75% des blocs d’énergie attribués viseraient la décarbonation du Québec, alors que seulement 25% serait destiné au développement économique.
D’abord, notons les frictions prévisibles entre les décisions du ministère de l’Énergie et du Développement et celles d’Hydro-Québec. Micheal Sabia a déjà critiqué les choix de Fitzgibbon en commission parlementaire, reconnaissant que probablement trop d’énergie avait été attribuée à des entreprises étrangères. Hydro-Québec a peut-être son plan d’action, mais en bout de ligne, il est quand même dépendant des décisions arbitraires de la ministre.
Mais surtout, on remarque une véritable obsession autour de la décarbonation, qui ne s’avère pas un critère très objectif en termes de développement économique. Lorsque Sabia dit que 75% des blocs d’énergie seront attribués à la décarbonation, et seulement 25% au développement économique, c’est un peu trompeur, parce qu’on parle quand même, dans les deux cas, de développement industriel.
Cest bien beau vouloir 75% de développement industriel vert, mais ça demeure un secteur d’innovation assez risqué, comme Northvolt nous a démontré. Et c’est aussi dire qu’on refusera une panoplie d’industries tout à fait viables et bénéfiques pour nos communautés sous la simple base qu’elles ne participent pas à la décarbonation. 75% de notre développement est donc devenu otage des politiques de transition?
Ainsi, lorsqu’on voit des critiques comme celle de Johanne Whitmore, chercheuse principale de la Chaire de gestion du secteur de l’énergie, à HEC Montréal, qui déclare à Radio-Canada que « ce qui va être important, c’est de faire la démonstration que c’est la meilleure utilisation des blocs qu’on accorde pour avoir le plus grand impact en matière de réduction des gaz à effet de serre », on peut rester songeur… Ne serait-il pas dans l’intérêt commun de plutôt s’assurer que le critère principal d’attribution des blocs d’énergie soit la capacité de l’industrie de créer de la prospérité pour les Québécois? En est-on rendu à compromettre notre développement par signalement de vertu?
La filière… des explosifs?
Quand le gouvernement a investi dans Northvolt et lui a accordé son plus gros bloc d’énergie, la justification, c’était le développement de la filière des batteries, un projet ambitieux pour placer le Québec au centre de la révolution des voitures électriques. On en a parlé pendant des mois, et il y a eu des milliers de débats à savoir si c’était un bon investissement, si on en avait besoin, etc. Maintenant, avec un bloc d’énergie comparable, on se demande si Hy2Gen vise à placer le Québec comme un leader des explosifs miniers…
Évidemment, on ne parle pas d’investissements ici, mais il faut voir l’attribution des blocs d’énergie de la même manière en termes de développement économique. En fait, les blocs d’énergie dépassent le concept d’incitatifs et s’avèrent un déterminant encore plus direct pour la possibilité de développement.
Tout de même, à première vue, l’idée que la production d’explosifs verts soit à peu près aussi importante pour le gouvernement que celle de voitures électriques fait sourire…
Selon son PDG, Hy2Gen vise en effet à « décarboner le secteur minier via l’usage, non plus de nitrate d’ammonium qui aujourd’hui est importé au Québec, mais par une production locale et décarbonée de nitrate d’ammonium pour les explosifs miniers« .
À Baie-Comeau, où sera située l’usine, on est très content, et le maire s’est empressé de qualifier cette annonce comme une juste retour de balancier après des années de négligence par le gouvernement. C’est une bonne chose qui stimulera l’économie de la région et créera 300 emplois. On prévoit déjà la construction de 500 à 600 maisons avec une dizaine de promoteurs pour répondre à la hausse de population qu’occasionnera ce projet.
Cela dit, les craintes concernant notre sécurité énergétique et l’aspect arbitraire de nos politiques de développement persistent. Pierre-Guy Sylvestre, économiste au Syndicat de la fonction publique canadienne, exprimait de telles inquiétudes :
« On espère qu’Hydro-Québec a pu accepter de donner ce bloc d’énergie là tout en respectant sa sécurité énergétique. […] On espère que le prix de vente ne va pas générer des pertes plutôt que des profits chez Hydro-Québec, peu importe les impacts économiques [locaux] qui viennent contrebalancer. On sait aussi qu’il y a des routes, des aqueducs, des infrastructures qui vont devoir être construits par le public. Donc on espère que c’est rentable pour l’ensemble de la population du Québec.«
Et c’est là où le problème reste entier : même si c’est une bonne chose pour Baie-Comeau et la décarbonation, est-ce que la proportion de ces blocs d’énergie est justifiée ; est-ce une priorité à ce point-là? Et est-ce que le processus d’attribution de blocs d’énergie n’est pas, au bout du compte, profondément vicié par la politique et l’arbitraire?
La récente exclusion de Randy Boissonault du Conseil des ministres fédéraux a largement été relayée…
Traduit de l’anglais. Article de Adrian Ghobrial publié le 14 novembre 2024 sur le site…
Le ministre fédéral de l'Emploi, du Développement de la main-d'œuvre et des Langues officielles était…
La vingt-neuvième "Conférence des partis" pour le climat (COP29) se déroule depuis déjà une semaine…
Ce matin, le gouvernement du Québec a annoncé son intention d'interdire le gaz naturel pour…
À chaque mois environ, un dossier sort dans les médias concernant un aspect de l’énorme…