Depuis l’annonce, en 2022, que le Québec allait manquer d’électricité, et dans la foulée des contre-coups économiques et tarifaires des politiques libérales à Ottawa, nos gouvernements multiplient les promesses de pragmatisme en matière d’énergie, invoquant surtout une nouvelle « diversification » énergétique. Or, si le concept de diversification va de soi dans une logique économique classique — on diversifie pour limiter les risques —, son emploi dans le discours énergétique actuel relève parfois du contresens.
Le problème fondamental du Québec est pourtant limpide : une dépendance quasi totale à l’électricité, une ressource qu’il maîtrise historiquement bien, mais dont il dispose de moins en moins en surplus, et qui transite par un réseau de transport et de distribution de plus en plus fragile.
Malgré cela, on nous présente comme de la « diversification » des projets visant à augmenter la production d’électricité solaire ou éolienne. Or, il ne s’agit là que d’un changement dans le mode de production, pas dans la nature de l’énergie consommée. L’électricité reste l’électricité : qu’elle soit générée par l’eau, le vent ou le soleil, elle emprunte les mêmes fils, dépend du même réseau, et s’éteint de la même manière au moindre bris.
Toutes les mesures « fortes » annoncées par Québec depuis cette prise de conscience énergétique s’inscrivent en réalité dans la continuité d’une logique d’électrification intégrale. Le ton a peut-être changé — plus posé, plus industriel —, mais le fond demeure inchangé. Legault parle toujours de la même chose : électrifier tout ce qui ne l’est pas déjà.
Prenons l’exemple du solaire. En mars 2024, le gouvernement a annoncé un vaste projet de développement de parcs solaires dans les régions plus isolées, dans le but de réduire l’utilisation du diesel pour les communautés hors réseau. Bien que louable, ce type d’initiative est présenté comme une grande avancée en matière de diversification, alors qu’il ne fait que remplacer une source autonome et locale par une autre forme d’électricité dépendante du climat et, souvent, adossée à des batteries encore coûteuses.
L’électrification mur à mur se poursuit sans nuance : l’interdiction de vendre des voitures à essence après 2035 est toujours prévue, tout comme l’interdiction du chauffage au gaz naturel dès 2040. Les industries devront s’adapter à ce virage, sous peine de pénalités et de hausses tarifaires. Le mot d’ordre demeure : tout doit passer par l’électricité.
Pendant ce temps, les vulnérabilités du réseau ne sont pas un secret. Selon un rapport publié par la North American Electric Reliability Corporation (NERC), les lignes de transport d’Hydro-Québec figureraient parmi les plus exposées aux pannes climatiques en Amérique du Nord. L’hiver dernier, la tempête de verglas qui a frappé la Côte-Nord a endommagé une ligne et l’a rendu hors fonction pendant des mois.
Ce n’est pas tout : une part importante du réseau de distribution arrive en fin de vie utile. On parle de dizaines de milliers de poteaux électriques et de transformateurs à remplacer chaque année jusqu’en 2035, alors même que la demande continue d’augmenter. Tant que ces investissements ne seront pas réalisés de manière accélérée, la fréquence des pannes majeures continuera de croître, surtout en période hivernale.
Bref, même si augmenter la production d’électricité est essentiel et que le solaire ou l’éolien peuvent y contribuer, il est inexact de parler de véritable diversification. Une fois injectée dans le réseau, peu importe sa source, l’électricité est soumise aux mêmes contraintes. Si les lignes tombent à -40°C, qu’elle soit solaire ou hydroélectrique, tout le monde gèlera dans le noir.
La diversification énergétique, la vraie, implique une pluralité de formes d’énergie disponibles pour répondre à divers contextes et besoins : gaz naturel, essence, propane, biogaz, hydrogène, bois de chauffage, etc. Limiter la diversification à la production électrique revient à placer tous nos œufs dans le panier électrique.
Avec l’arrivée de Mark Carney à la tête du Parti libéral, la dynamique semble similaire à Ottawa. Pour gagner des points politiques, Carney a repris une proposition phare des conservateurs en promettant l’abolition de la taxe carbone… mais uniquement pour les particuliers. L’industrie, elle, demeure pénalisée par un régime de tarification du carbone qui la rend moins compétitive face aux États-Unis et à d’autres marchés.
Les répercussions économiques de la guerre commerciale larvée entre le Canada et les États-Unis, combinées aux effets inflationnistes internes, ont forcé Carney à adopter un ton plus pragmatique sur la question énergétique. Il a ainsi déclaré son intention de ne pas exclure les projets liés aux hydrocarbures — notamment le gaz naturel liquéfié (GNL) — s’ils sont jugés stratégiques pour la sécurité énergétique du pays. (Exemple : lors d’un discours à Calgary en avril 2025, il a évoqué l’importance de ne pas « s’automutiler » sur le plan énergétique en bloquant les projets de GNL exportables.)
Mais là encore, les intentions restent floues. Carney est un financier de la transition verte. Dans son livre Values: Building a Better World for All, il appelle ouvertement à l’adoption de politiques contraignantes pour forcer une transition rapide vers une économie sobre en carbone, en utilisant des outils financiers, réglementaires et internationaux pour contraindre les entreprises et les citoyens.
Comme Legault, Carney semble déjà vouloir reconvertir ses promesses de pragmatisme en nouvelles annonces vertes. Depuis sa candidature officielle, il a multiplié les appels à « investir dans les énergies de demain », ce qui, dans son vocabulaire, signifie souvent électricité, batteries, réseaux intelligents — bref, une nouvelle couche sur le même modèle.
Le mot « diversification » est ainsi utilisé à toutes les sauces, mais toujours à l’intérieur d’une logique technocratique d’électrification. Le problème fondamental demeure donc entier : la société canadienne s’oriente vers un avenir entièrement dépendant de l’électricité, sans véritable filet de sécurité énergétique alternatif.
Cette situation est d’autant plus préoccupante dans un pays comme le nôtre, où les hivers sont rigoureux et les intempéries fréquentes. Un système énergétique trop centralisé, entièrement électrique, expose directement la population à des enjeux de survie de base : se chauffer, s’éclairer, manger.
Diversifier, c’est accepter que l’on ait besoin de plusieurs sources, adaptées à différents usages, climats et contextes. La souveraineté énergétique commence par cette lucidité-là — et non par le recyclage de slogans.
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