Le Canada traverse une crise silencieuse mais profonde : celle de la faim. En mars 2025, les banques alimentaires du pays ont accueilli 2,2 millions de visites, du jamais vu depuis leur création. En six ans, leur fréquentation a doublé, une progression fulgurante qui témoigne d’un glissement structurel de la pauvreté. Il ne s’agit plus d’une urgence ponctuelle, mais d’une tendance durable, installée au cœur même de la société canadienne.
Le phénomène n’épargne plus personne. Les banques alimentaires voient défiler des retraités, des familles avec enfants, mais aussi de plus en plus de travailleurs. Près d’un cinquième des usagers, soit 19,4 %, occupent désormais un emploi. En 2019, ils n’étaient qu’un peu plus de 12 %. On croise ainsi des ouvriers, des réceptionnistes, des employés de bureau, qui s’arrêtent à la banque alimentaire sur le chemin du retour plutôt qu’à l’épicerie.
« C’est le reflet direct de la hausse du coût de la vie et de la perte du pouvoir d’achat », a expliqué Richard Matern, directeur de la recherche chez Food Banks Canada, lors d’un entretien cité par Global News. L’inflation alimentaire, encore de 4 % en septembre, continue de fragiliser les ménages, tandis que les loyers atteignent des sommets.
Les nouveaux arrivants représentent un tiers de la clientèle des banques alimentaires. Ceux installés depuis moins de dix ans comptent désormais pour 34 % des usagers, contre 13 % en 2019. Les causes sont multiples : emplois précaires, salaires trop bas, absence d’accès à l’assurance-emploi ou à l’aide sociale pour les travailleurs temporaires et étudiants étrangers. Certaines banques alimentaires de Waterloo et Brampton ont même dû refuser des demandes tant la demande dépasse leurs capacités.
Les aînés, eux aussi, sont plus nombreux à demander de l’aide : 8,3 % en 2025, contre 6,8 % avant la pandémie. Même les foyers biparentaux avec enfants voient leur situation se dégrader. Beaucoup racontent devoir choisir entre payer le loyer ou nourrir leurs enfants.
Dans son article publié par le National Post, la journaliste Laura Brehaut rappelle que Food Banks Canada tire la sonnette d’alarme : « Ce qui devient la nouvelle normalité au Canada, c’est la faim, et cela ne peut pas durer », a averti la directrice générale de l’organisme, Kirstin Beardsley, lors d’un entretien à CTV News.
Les chiffres sont particulièrement inquiétants pour les enfants : ils représentent 33 % des utilisateurs, soit plus de 700 000 visites par mois, une hausse de 91 % depuis la période prépandémique. Pour Beardsley, la solution passe par une mesure concrète et urgente : rendre permanents les programmes d’alimentation dans les écoles.
Le rapport HungerCount recommande aussi de moderniser l’assurance-emploi pour inclure les travailleurs précaires, d’investir dans le logement abordable et d’introduire une prestation pour couvrir les produits essentiels. L’objectif, selon Food Banks Canada, est clair : rompre le cycle de dépendance et redonner de la dignité à ceux qui, malgré leurs efforts, n’arrivent plus à joindre les deux bouts.



