Québec est une ville fascinante par sa dualité. Depuis sa fondation, elle s’est développée en deux entités distinctes : la Haute-Ville et la Basse-Ville. Séparées à l’origine par la topographie, puis par des infrastructures modernes comme les autoroutes et les quartiers industriels, ces deux réalités urbaines ont évolué en parallèle, chacune avec sa propre dynamique sociologique et économique. Cette division, bien que brouillée par les récentes transformations urbaines, continue d’influencer non seulement la manière dont les citoyens interagissent avec leur ville, mais aussi les grands débats sur l’aménagement du territoire et la politique locale.
Une division historique : Haute-Ville et Basse-Ville, des trajectoires contrastées
Depuis sa fondation, Québec s’est structurée autour d’une dualité marquée par la géographie. La Haute-Ville, perchée sur le cap Diamant, a été le bastion du pouvoir colonial français et britannique, un lieu stratégique et prestigieux abritant l’administration, le clergé et la noblesse.
Avec l’arrivée des Britanniques, les élites anglaises se sont approprié la Haute-Ville et ont établi des cottages dans les quartiers Montcalm, Saint-Sacrement et Sillery, tandis que les industries polluantes se sont concentrées en Basse-Ville, notamment aux abords de la rivière Saint-Charles. Après le départ de la garnison britannique, les francophones sont redevenus majoritaires en Haute-Ville, mais la sociologie du secteur est restée marquée par une prédominance de fonctionnaires, de membres du clergé et de professions libérales.
Des études ont d’ailleurs montré que, jusqu’à assez récemment, les gens nés en Haute-Ville ont tendance à déménager en Haute-Ville, tandis que ceux de la Basse-Ville ont tendance à rester en Basse-Ville. Cette dynamique a créé deux blocs sociologiques distincts, vivant dans une relative isolation l’un de l’autre, accentuée par la construction de nombreux quartiers industriels entre les deux.
Ainsi, la population de la Haute-Ville s’est développée vers l’ouest avec Montcalm, Saint-Sacrement, Sillery, Sainte-Foy, et plus loin encore jusqu’à Cap-Rouge et Saint-Augustin. Pendant ce temps, la population de la Basse-Ville s’est étendue vers Saint-Sauveur, Limoilou, Vanier, Beauport, Charlesbourg, Lebourgneuf, ainsi que toute la vallée de la Saint-Charles jusqu’à L’Ancienne-Lorette et Val-Bélair.
Composition sociologique : fonctionnaires et étudiants en Haute-Ville, entrepreneurs et ouvriers en Basse-Ville
Cette division historique s’est transposée dans la composition sociologique des populations qui y vivent. La Haute-Ville et ses quartiers adjacents (Sillery, Montcalm, Sainte-Foy) abritent une population plus éduquée et aisée, composée de fonctionnaires, de professeurs universitaires et d’étudiants.
En revanche, la Basse-Ville, notamment les quartiers comme Saint-Roch et Limoilou, a toujours été le fief d’une classe moyenne entrepreneuriale et ouvrière. Ces quartiers, longtemps perçus comme plus populaires et marginalisés, ont vu une montée en attractivité avec la gentrification et la transformation du paysage économique.
Cependant, ce dynamisme a aussi conduit à un déplacement progressif des populations ouvrières et entrepreneuriales encore plus loin dans la couronne nord.
D’ailleurs, le dynamisme économique du secteur Lebourgneuf/de la Capitale, représente aujourd’hui un pôle économique majeur. Une compétition semble émerger entre Lebourgneuf et Sainte-Foy pour le titre de centre d’affaires principal de la ville.
Un débat idéologique reflétant la division urbaine : troisième lien vs tramway
Cette fracture historique et sociologique a une répercussion directe sur les préférences en matière de transport. Pour la population de la couronne nord et de la Basse-Ville, traditionnellement plus industrielle et entrepreneuriale, l’automobile est un outil de travail et de mobilité essentiel. Le troisième lien, un projet autoroutier visant à relier la rive sud et la rive nord, est donc perçu comme une priorité économique et un symbole de développement, tandis que les habitants des quartiers centraux, desservis par un réseau de rues plus denses et un tissu urbain serré, dépendent davantage du transport en commun et militent pour des solutions comme le tramway.
Un élément clé de cette fracture urbaine est ce que l’on peut appeler un véritable « no-man’s-land » industriel, s’étendant de Saint-Malo jusqu’à la base de plein air de Sainte-Foy. Ce secteur, dominé par des entrepôts, des usines et des infrastructures routières, agit comme une barrière physique entre les quartiers centraux et la couronne nord. Son implantation, historiquement pensée pour isoler les zones résidentielles des activités industrielles, a paradoxalement renforcé l’isolement entre les deux pôles de la ville. Aujourd’hui encore, ce territoire oblige les habitants de la couronne nord à emprunter massivement les axes autoroutiers majeurs comme Duplessis, Henri-IV, Robert-Bourassa et Laurentienne pour accéder aux quartiers centraux, perpétuant ainsi une forte dépendance à l’automobile.
Ainsi, l’accès aux quartiers centraux depuis la couronne nord repose essentiellement sur les ponts et les autoroutes, tandis que les habitants des quartiers centraux, desservis par un réseau de rues plus denses et un tissu urbain serré, dépendent davantage du transport en commun.
Notons aussi que la Haute-Ville, qui a peu d’intérêts sur la rive sud et travaille dans des domaines ne nécessitant pas beaucoup de transit de marchandises, dispose de tous les accès directs vers Lévis tandis que la Basse-Ville, plus entrepreneuriale, est enclavée. Et avec elle, l’île d’Orléans et la Côte de Beaupré.
Une fracture politique : conservatisme de la couronne nord et progressisme de la Haute-Ville
Cette division urbaine se reflète aussi dans le paysage politique. La Haute-Ville, qui abrite l’Université Laval et une forte concentration de fonctionnaires, a historiquement tendance à voter pour des partis plus progressistes, prônant des politiques sociales et environnementales. À l’inverse, la couronne nord, avec sa sociologie plus entrepreneuriale et ouvrière, affiche des tendances plus conservatrices, privilégiant des approches axées sur l’économie, la réduction des impôts et la défense des infrastructures routières.
Un phénomène marquant de cette dynamique est la popularité des radios dites de droite « Metallica » comme Radio X, qui trouvent une audience particulièrement réceptive dans la vallée de la Saint-Charles et les quartiers périphériques. Ce type de médias, souvent critiques des élites urbaines et du discours progressiste dominant en Haute-Ville, amplifie le clivage idéologique entre ces deux pôles.
Ainsi, cette fracture ne se limite pas à l’organisation spatiale de la ville ; elle structure aussi ses débats politiques et alimente des tensions entre deux visions du futur de Québec. Tandis que la Haute-Ville mise sur une densification accrue et des investissements en transport collectif, la couronne nord revendique des infrastructures adaptées à une mobilité plus fluide et un développement économique décentralisé.
Une Haute-Ville triomphaliste?
Maintenant, la redynamisation des quartiers comme Saint-Roch et Saint-Sauveur ainsi que les récents changements démographiques ont brouillé quelque peu les frontières entre la Haute et la Basse-Ville. Si les interactions entre ces secteurs sont désormais plus fréquentes, cela signifie aussi que la sociologie dominante de la Haute-Ville s’est progressivement étendue vers la Basse-Ville à travers ces quartiers en mutation. Ainsi, la sociologie entrepreneuriale et ouvrière d’origine a été en partie repoussée vers la couronne nord, accentuant les tensions entre ces deux blocs, aussi bien sur le plan politique que sur les questions de transport et d’aménagement du territoire.
Bref, sur de plus en plus d’enjeux, les positions de la mairie de Québec peuvent paraître comme une forme de triomphalisme de la Haute-Ville sur la Basse-Ville. Une mise en priorité des intérêts d’une ville sur une autre.
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