En créant le titre de « tsar du fentanyl », le gouvernement Libéral tente de démontrer sa volonté de s’attaquer au problème de production et de trafic de fentanyl. Le premier élément à noter, c’est qu’il aura fallu les menaces de tarifs du président Trump pour que Justin Trudeau s’intéresse à la question. Trudeau a d’ailleurs attendu plus de deux mois pour nommer Kevin Brosseau, son conseiller en sécurité nationale et en renseignement, [également un ancien sous-commissaire de la GRC], à ce nouveau poste. Reste à voir si la nomination d’une personne aussi impliquée dans l’équipe Trudeau sera en mesure de convaincre Donald Trump de la volonté d’action du Canada. Parce qu’on ne peut pas dire que l’administration Libérale se soit démarquée dans son combat contre cet opioïde synthétique.

Donald Trump n’est pas le premier à soulever la question du fentanyl. Pendant la présidence de Joe Biden, le Secrétaire d’État Antony Blinken avait exprimé des inquiétudes quant à la capacité du Canada à combattre le trafic de fentanyl à grande échelle en 2023.

Les surdoses mortelles attribuées au fentanyl ont augmenté à un rythme alarmant depuis 2016. Selon les données du Gouvernement, on compte au-delà de 42,000 décès liés à l’intoxication aux opioïdes au Canada entre janvier 2016 et septembre 2023, avec le fentanyl impliqué dans une grande majorité des cas.

Quand Donald Trump a exigé que le Canada en fasse davantage pour combattre l’immigration clandestine et le trafic de fentanyl transitant par sa frontière, on a d’abord pointé au petit nombre de traversées illégales et de saisies de drogue en provenance du Canada comparativement à ce qui s’introduit aux USA par le Mexique.

Il aura fallu l’intervention du président Trump pour que le Canadien moyen apprenne que le Canada est devenu une zone d’activité majeure pour les groupes criminels spécialisés dans le trafic de fentanyl. L’automne dernier, la police fédérale de la Colombie-Britannique a démantelé un super-laboratoire clandestin capable de fabriquer près de 100 millions de doses dans la région Kamloops. Il s’agit de la plus vaste installation de ce type jamais découverte au Canada.

L’Agence des services frontaliers a rapporté une hausse des saisies de précurseurs chimiques du fentanyl à l’importation. En parallèle avec la découverte de laboratoires clandestins au Canada, ces saisies signalent que le fentanyl est bel et bien produit sur le territoire canadien. De plus, les saisies de drogue d’origine canadienne en Australie et aux USA indiquent que le Canada est devenu un pays source et de transit vers d’autres marchés. C’est ce que corrobore une note fédérale diffusée par le sous-ministre des Affaires étrangères en automne 2024.

Selon le Service canadien de renseignements criminels (SCRC), 235 groupes du crime organisé sont activement impliqués dans le trafic de fentanyl au Canada, avec une augmentation de 42% depuis 2019. Ces groupes agissent non seulement comme producteurs mais aussi comme courtiers, et importent des précurseurs chimiques nécessaires à la production.

Les ramifications du trafic de fentanyl ont été mises en lumière dans un article du journaliste d’enquête Sam Cooper pour The Bureau, qui établit un lien avec l’ampleur du blanchiment d’argent via le marché immobilier au Canada. L’article révèle que des milliards (voire potentiellement plusieurs centaines de milliards) ont été blanchis à travers les marchés immobiliers de Vancouver et de Toronto par le biais de réseaux bancaires souterrains liés à la Chine et au trafic de narcotiques, y compris le fentanyl. Des déclarations de revenus falsifiées ou exagérées auraient été utilisées pour obtenir des prêts immobiliers, alimentant ainsi la bulle immobilière. Cet article met en lumière la nécessité d’une action gouvernementale plus décisive pour combattre le blanchiment d’argent et ses implications sur l’économie et la société canadienne. La lutte contre le fentanyl ne se limite pas au démantèlement de laboratoires clandestins. Elle passe aussi par une réglementation plus stricte des prêts hypothécaires et une vérification d’antécédents financiers plus rigoureuse.

David Asher, chercheur principal au think tank conservateur Hudson Institute, estime que ce sont les lois canadiennes qui rendent les enquêtes de la GRC inefficaces et qui empêchent une collaboration efficace avec les autorités américaines pour démanteler ces réseaux de blanchiment d’argent. Il recommande que le Canada mette à jour son cadre juridique, notamment en adoptant une loi similaire à la loi RICO (Racketeer Influenced and Corrupt Organizations Act) des États-Unis, qui permet de poursuivre les organisations criminelles de manière plus agressive. Il appelle aussi à cibler le financement des trafiquants de fentanyl en s’attaquant au problème plus large des institutions financières qui facilitent le trafic de drogue. Il cite l’exemple de la Banque TD, qui a récemment été condamnée à une amende historique de 3 milliards de dollars pour avoir blanchi d’énormes montants d’argent pour des cartels mexicains. Selon Asher, les tarifs que Trump menace d’imposer sont principalement liés au fentanyl. Il pense que si le Canada prend des mesures concrètes comme réformer ses lois et cibler les banques impliquées, l’application des tarifs pourrait être évitée.

Brad West, maire de Port Coquitlam en Colombie-Britannique depuis 2018, s’inquiète de l’accès surprenant des criminels organisés asiatiques à la classe politique canadienne, un facteur qui pourrait influencer la lutte contre le trafic de drogue. Les allégations d’ingérence de groupes criminels chinois dans la politique canadienne ont émergé au fil des années. Ces groupes seraient accusés de tenter d’influencer des élus, de financer illégalement des campagnes politiques, ou encore d’exercer des pressions sur des individus ou des entreprises pour favoriser leurs intérêts criminels.

La situation alarmante à laquelle le Canada fait face avec le trafic de fentanyl est avérée. La nomination d’un « tsar du fentanyl » peut donner l’impression de s’attaquer au problème, mais il faudra qu’elle s’accompagne d’une véritable volonté d’action politique. Il faut déployer des efforts diversifiés incluant une amélioration des capacités de détection et d’intervention sur le terrain, appuyée par un renforcement de la législation et la volonté de lutter contre la corruption. Le Parti libéral du Canada, qu’il soit dirigé par Trudeau, Freeland ou Carney reste le parti du signalement de vertu, qui se concentre sur les « droits » 2SLGBTQI+ et le combat contre le « discours haineux ». Ce parti n’a pas hésité à durcir le ton et à prendre des mesures exceptionnelles contre le convoi de camionneurs, jusqu’à geler les comptes bancaires de manifestants en 2022.

Parallèlement, le laxisme Libéral a permis à la crise des opioïdes de proliférer à un rythme alarmant. La situation reflète non seulement une menace pour la santé publique mais aussi pour l’ordre public et les relations diplomatiques. À l’approche d’un déclenchement d’élections fédérales, le PLC va tenter de se « réinventer » sous la bannière d’un nouveau chef. Espérons que les électeurs ne se laisseront pas berner. Le parti qui a permis au Canada de devenir la plaque tournante du fentanyl est le dernier qu’il faut mandater pour éradiquer le problème.

Ophélien Champlain

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