Depuis des années, les conservateurs ont martelé à la Chambre des communes que la taxe carbone nuisait à l’économie canadienne. Pendant toutes ces années, le gouvernement libéral, alors conseillé par Mark Carney, s’est obstiné à presser le portefeuille des contribuables dans ce secteur déterminant de l’économie. Taxer l’énergie, c’est essentiellement taxer toute activité de production humaine, à toutes les étapes de vie d’un produit, de l’extraction de ses matières premières à sa mise en marché, jusqu’à son enfouissement en fin de vie.

Malgré tout, Mark Carney se présente aujourd’hui comme un sauveur en suspendant cette tarification qu’il a soutenue toutes ces années. On nous prend vraiment pour des valises.

Une taxe particulièrement délétère

D’abord, il n’y a probablement pas de taxe plus nocive que celles sur les sources d’énergie. Même si, officiellement, le Québec ne paie pas cette taxe carbone fédérale, il en ressent néanmoins les effets économiques de façon indirecte. En taxant lourdement les hydrocarbures, le gouvernement libéral a non seulement renchéri les coûts de production industrielle, mais a aussi freiné les investissements dans le secteur manufacturier, qui reste vital pour plusieurs régions québécoises.

Le Canada stagne complètement d’un point de vue économique. Le PIB par habitant n’a connu qu’une croissance anémique au cours des dernières années, et le pays accuse un retard par rapport aux États-Unis et à d’autres pays du G7. Selon une analyse de la Banque Nationale publiée en 2023, la productivité canadienne a déclinché depuis l’implantation de la taxe carbone, affectant directement le pouvoir d’achat des ménages et la compétitivité des entreprises.

Une crise tarifaire révélatrice

Ce n’est pas un hasard si la crise actuelle avec les États-Unis nous force à réaliser que nous nous taxons nous-mêmes beaucoup trop. Le bras de fer commercial autour de l’énergie met en lumière à quel point nous avons accumulé des barrières économiques artificielles ces dernières années, et à quel point cela a affaibli notre compétitivité.

Dans ce contexte, il était évident que n’importe quel premier ministre, libéral ou conservateur, élu ou non-élu, finirait par conclure qu’il fallait suspendre cette taxe. Mais ce qui est frappant, c’est que ces mêmes libéraux, dont Mark Carney est aujourd’hui le porte-étendard, ont refusé de l’admettre pendant des années.

Ils ont allumé un feu et se présentent maintenant en pompier!

Mark Carney et la tarification verte

Mark Carney est reconnu comme le grand banquier environnementaliste ; s’il suspend la taxe carbone, il ne fait aucun doute qu’il réintroduira rapidement une nouvelle forme de tarification ou de dissuasif sur le secteur canadien de l’énergie. Il a fait carrière en promouvant des « politiques cadres » qui visent à imposer « des réglementations, des règles, des mandats, des interdictions, des taxes et des subventions qui orientent vers une économie à faible émission de carbone » (« Value(s): Building a Better World for All », chapitre 16).

Ce revirement soudain n’est donc pas une conversion à la réalité économique, mais une simple pause stratégique pour mieux imposer un autre système de régulation écologique.

Une réaction conservatrice renforcée

Du côté des conservateurs, cette appropriation par les libéraux d’une de leurs promesses clés a forcé Pierre Poilievre à renouveler avec encore plus de vigueur son engagement à éliminer absolument toutes les tarifications carbones. Il déclarait déjà, en janvier 2025 : « Nous ne nous contenterons pas de suspendre la taxe carbone, nous l’éliminerons définitivement afin que les Canadiens puissent enfin respirer ». Désormais, il rappelle que les Libéraux de Carney entendent maintenir la taxe dans certains secteurs industriels : « Les libéraux Carney-Trudeau ont déjà une taxe industrielle qui frappe l’industrie de l’acier. Ça coûte cher déjà et ça nous rend moins compétitifs face aux Américains, qui n’ont pas de taxe carbone. »

Pierre Poilievre est aussi venu rappeler que son opposition à Carney sur cette question est plus qu’esthétique ; elle témoigne d’un fossé énorme entre sa vision économique et environnementale pragmatique, nationaliste et populiste et celle « mondialiste » et technocrate de Carney : « Si on ferme une usine d’acier ici au Canada et qu’elle est remplacée par une autre en Chine, où il n’y a pas de normes environnementales, cela rend la situation encore pire. En ramenant la production ici au Canada, nous réduisons les émissions à travers le monde. »

Quid du Québec et de la bourse carbone?

Malgré la suspension de la taxe carbone au fédéral, le Québec continue de participer à la Bourse du carbone en partenariat avec la Californie. Cette participation maintient une pression financière sur les entreprises québécoises, qui doivent se conformer à des quotas et acheter des crédits d’émission.

La question de la compétitivité québécoise dans le domaine de l’énergie devra donc être abordée de manière indépendante. Le gouvernement Legault, qui a longtemps vanté le modèle québécois de transition énergétique, pourrait se retrouver coincé entre une politique fédérale plus souple et la pression des entreprises locales qui peinent à suivre les coûts découlant de la bourse du carbone.

En somme, cette volte-face libérale expose non seulement les incohérences d’Ottawa, mais pose également des questions essentielles sur l’avenir énergétique et économique du Québec et du Canada.

Philippe Sauro-Cinq-Mars

Diplômé de science politique à l'Université Laval en 2017, Philippe Sauro Cinq-Mars a concentré ses recherches sur le post-modernisme, le populisme contemporain, la culture web et la géopolitique de l'énergie. Il est l'auteur du livre "Les imposteurs de la gauche québécoise", publié aux éditions Les Intouchables en 2018.

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