Les villes en mènent-elles trop large en matière de politiques climatiques?

Le premier Sommet Québec Capitale Climat, qui s’est tenu cette semaine au Château Laurier, a donné lieu à une pluie d’annonces et d’engagements verts de la part des institutions publiques et parapubliques de la capitale nationale. Université Laval, CHU, Port de Québec, CIUSSS, Ville de Québec : tous ont rivalisé de promesses pour verdir leurs activités, réduire leurs émissions de gaz à effet de serre (GES) ou verdir leur image.

Mais derrière l’effervescence apparente et l’unanimisme de façade, un malaise grandit : celui d’un pouvoir municipal de plus en plus activiste, qui pousse des politiques de transition climatique ambitieuses — voire radicales — sans réel mandat démocratique pour ce faire.

Une transition sans vote

Le maire de Québec, Bruno Marchand, agit comme s’il avait reçu un plébiscite populaire pour restructurer la ville autour de l’idéologie de la décarbonation et de la lutte au changement climatique. Or, son élection s’est jouée « sur la fesse » dans une course fragmentée, sans que la question du tramway — devenu son cheval de bataille — n’ait été tranchée clairement par les électeurs.

Il aime répéter que « la population a voté pour le tramway », alors que cette affirmation repose davantage sur son interprétation que sur un véritable appui populaire. Il n’y a jamais eu de référendum ni de consultation citoyenne contraignante. Pendant ce temps, l’acceptabilité sociale devient un critère sacré — mais à géométrie variable : elle est brandie pour bloquer un projet comme le troisième lien, mais balayée du revers de la main quand vient le temps d’imposer un tramway impopulaire.

Une dissonance dans le nouveau contexte politique

Ce zèle renouvelé du palier municipal survient alors même que le climat politique au Canada semble amorcer un léger virage vers le réalisme économique. L’arrivée au pouvoir de Mark Carney, ex-banquier central, s’est accompagnée d’un discours de responsabilité économique et de développement du secteur énergétique – y compris des hydrocarbures. Sans rejeter explicitement la transition, Carney suit cette vague mondiale d’abandon des objectifs climatiques irréalistes des dernières années.

Le gouvernement Legault, de son côté, a timidement rouvert la porte aux projets dans le secteur des hydrocarbures, et évaluait récemment la possibilité de faire passer de nouveaux oléoducs sur le territoire.

Dans ce contexte, l’activisme climatique des municipalités prend l’allure d’un contre-courant idéologique, poursuivant une révolution verte à marche forcée alors que les gouvernements supérieurs appellent à une modération stratégique.

Une gouvernance à sens unique

Dans son discours au sommet, le maire Marchand a affirmé que « les changements climatiques pèsent sur nous comme une épée de Damoclès au-dessus de nos têtes », et que les villes doivent agir pour assurer notre « résilience ». Cette dramatisation justifie — selon lui — des mesures d’urgence, de la subvention verte à la refonte complète de la mobilité urbaine.

Mais à qui les villes rendent-elles des comptes lorsqu’elles s’engagent ainsi sur des terrains aussi idéologiques que structurels? Qui a choisi d’allouer 700 000 $ à des immeubles pour « renforcer leur résilience », sans débat public ni ventilation précise des résultats attendus?

Les villes n’ont pas de ministère de l’Énergie, elles n’ont pas le monopole de l’aménagement du territoire, elles ne fixent pas la politique tarifaire d’Hydro-Québec… Pourtant, elles agissent comme si elles étaient les fers de lance de la transition climatique, avec des outils réglementaires, financiers et moraux qui pèsent lourd sur les citoyens.

Le militantisme par l’urbanisme

Ce glissement de fonction est connu : depuis deux décennies, l’urbanisme est devenu le cheval de Troie de la lutte climatique. D’un outil de planification pragmatique, il s’est transformé en plateforme idéologique. Le design des rues, les zones de stationnement, les règlements de zonage, les politiques de densification : tout devient prétexte à « décarboner » les comportements, même si cela implique de restreindre la liberté de choix résidentielle ou la fluidité des déplacements.

Cette logique culmine avec des projets structurants comme le tramway, que l’on oppose de manière caricaturale au troisième lien. On nie au pont interrives toute valeur sociale, économique ou logistique, pendant qu’on glorifie un système de transport collectif qui continue de traîner des dépassements de coûts, des retards et une absence de consensus. Le gouvernement Legault, lui, se retrouve dans la posture paradoxale de devoir prouver que le troisième lien ne fera pas de mal, alors que personne ne demande de telles preuves pour le tramway.

L’économie verte comme écran de fumée

Certes, toutes les initiatives annoncées au Sommet Québec Capitale Climat ne sont pas néfastes. Personne ne s’opposera à l’idée qu’un hôpital puisse réduire ses émissions ou qu’un port plante davantage d’arbres. Mais il est légitime de se demander : à quel prix? et à quelle priorité?

Prenons l’exemple du Port de Québec. Sa nouvelle PDG, Olga Farman, s’engage à faire passer la canopée de 9 % à 30 % sur son territoire non industriel d’ici 2035, pour un coût estimé à 5 millions de dollars. Soit. Mais pendant ce temps, où sont les investissements pour améliorer ses capacités opérationnelles, attirer de nouveaux partenaires commerciaux ou accroître l’autonomie logistique du Québec?

À l’heure où l’économie canadienne se heurte à des contraintes énergétiques et géopolitiques, peut-on vraiment se payer le luxe de transformer nos ports en écoquartiers?

La transition par le haut…

Ce que révèle le Sommet Québec Capitale Climat, c’est moins un consensus qu’un déséquilibre : celui d’un palier de gouvernement qui agit avec zèle et ferveur, mais sans véritable débat démocratique. Les villes deviennent les laboratoires de politiques climatiques décidées par des élites convaincues d’avoir raison, et persuadées que la fin justifie les moyens.

Or, la transition énergétique — si elle doit avoir lieu — ne peut être imposée d’en haut, ni incarnée par des élus ou des fonctionnaires qui n’ont jamais reçu le mandat explicite de bouleverser le mode de vie de leurs concitoyens. Elle devra être graduelle, responsable, et surtout, volontariste.

Philippe Sauro-Cinq-Mars

Diplômé de science politique à l'Université Laval en 2017, Philippe Sauro Cinq-Mars a concentré ses recherches sur le post-modernisme, le populisme contemporain, la culture web et la géopolitique de l'énergie. Il est l'auteur du livre "Les imposteurs de la gauche québécoise", publié aux éditions Les Intouchables en 2018.

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