Ce n’est pas une bonne année pour Hydro-Québec, qui semble accumuler les pannes majeures à un rythme impressionnant. Que certaines d’entre elles soient justifiées par des « mesures de protection » des lignes de transports affectées par les feux de forêt, qu’on tente d’embarquer les changements climatiques dans l’équation, il n’en reste pas moins qu’un récent rapport de la vérificatrice générale est clair : l’entretien du réseau de distribution a été négligé pendant des années et nécessite une urgente mise à niveau. La vétusté de notre réseau engendre plus de pannes de plus longues durées, et la tendance est loin de s’inverser. À cela s’ajoutent, aussi, les prévisions d’un éventuel déficit énergétique en raison d’une transition trop radicale qui ne mise que sur le tout-à-l’électrique.

Dans ce contexte, il y a lieu d’être préoccupé par nos aînés, chez qui ces pannes peuvent s’avérer beaucoup plus dangereuses, voire fatales… En effet, cette population est beaucoup plus vulnérable aux températures extrêmes que peuvent occasionner des pannes pendant l’hiver ou lors de canicules. Dans une société vieillissante comme le Québec, la chose ne doit pas être prise à la légère.

C’est dans un texte d’opinion pour Le Devoir, ce vendredi, qu’une artiste et un sociologue de 80 et 77 ans expriment leurs inquiétudes face à cette situation. Brièvement, mais efficacement, ils expriment ce sentiment croissant d’être laissés pour compte :

« Pendant le mois de mars, période de froidure, nous avons vécu dans notre logement pendant quatre longues journées sans électricité, peu informés. Personne ne nous a aidés, à part les tenanciers d’une formidable boucherie, qui vient de fermer ses portes. Sans Thierry et Christine, nous n’aurions pas tenu le coup. […] Il y a quelques semaines, en juin, nous avons subi une autre panne, laquelle a duré quelques heures. Nous étions inquiets, craignant le pire, nous demandant si nous ne devrions pas, encore une fois, mettre à la poubelle de la nourriture. […] En pleine canicule, le jeudi 6 juillet 2023, encore une panne et encore de l’anxiété, encore de l’inquiétude, encore de la colère.«

Le couple, qui ne cache pas ses doutes et inquiétudes en ce qui a trait aux compétences réelles d’Hydro-Québec, en conclu tristement que la société est devenue « peu conviviale » et que peu de soutien est offert aux personnes âgés. Il termine abruptement son texte en affirmant : « Si la tendance se maintient, en ce qui concerne l’électricité, nous devrions connaître six ou neuf autres pannes en cette année 2023. Peut-être que c’est plus que trop ! ».

On sent dans leurs mots que ce sentiment d’abandon se conclu sur de l’amertume, voire de la colère. Et on peut les comprendre.

Il faut se rappeler, il n’y a pas si longtemps, en 2003, des canicules mortelles qui avaient frappé l’Europe. 15 000 personnes avaient alors trouvé la mort en suffoquant de chaleur dans leurs logements. Sur ces 15 000, 87% avaient plus de 70 ans. Cette crise avait alors sensibilisé le monde entier sur la vulnérabilité des plus âgés face aux canicules en milieu urbain.

À l’autre opposé, on parle en Grande-Bretagne de « surmortalité hivernale » pour faire référence à un problème tout simple : le manque d’énergie pour se chauffer durant l’hiver qui cause des morts chaque année. Il y aurait 32 000 morts de plus entre décembre et mars que dans le reste de l’année et au total, 9,700 morts sont soupçonnées d’être occasionnées par des maisons trop froides.

Ces deux exemples montrent bien l’impact direct que peut avoir l’insécurité énergétique sur la vie des citoyens. Au bout du compte, les déficits énergétiques, les problèmes d’approvisionnement et les pannes, tout comme la pauvreté, font diminuer l’espérance de vie.

C’est pourquoi la sécurité énergétique ne devrait jamais être prise à la légère. En une époque où des politiques de transition agressives viennent mettre à mal nos capacités énergétiques et menacent de créer des déficits, cet enjeu devient d’autant plus important.

En bannissant toute autre forme d’énergie, même lorsqu’elle est plus abordable et considérée comme une énergie de transition – comme par exemple le gaz naturel – nous mettons tous nos œufs dans le même panier. Là où on devrait plutôt promouvoir la diversification énergétique, pour s’assurer un maximum de sécurité et d’alternatives en cas de pannes, on cherche plutôt à restreindre l’éventail de choix des citoyens et les forcer à n’utiliser que de l’électrique sans se préoccuper des possibles problèmes que ça pourrait engendrer sur le moyen et le long terme.

En cas de pannes, on se retrouve complètement laissés pour compte et sans alternatives.

C’est une chose de vouloir « assurer l’avenir de nos enfants », mais il ne faudrait pas pour autant négliger les besoins de nos aînés et l’importance de la sécurité énergétique dans son sens large.

Philippe Sauro-Cinq-Mars

Diplômé de science politique à l'Université Laval en 2017, Philippe Sauro Cinq-Mars a concentré ses recherches sur le post-modernisme, le populisme contemporain, la culture web et la géopolitique de l'énergie. Il est l'auteur du livre "Les imposteurs de la gauche québécoise", publié aux éditions Les Intouchables en 2018.

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