Alors que l’Union européenne s’apprête à bannir totalement les importations de gaz russe d’ici 2027, une fenêtre stratégique s’ouvre de nouveau pour le Canada. Si Ottawa a refusé à plusieurs reprises, sous Justin Trudeau, de répondre à l’appel de l’Europe pour diversifier ses sources d’approvisionnement gazier — notamment en rejetant les projets de terminaux d’exportation sur la côte Est — les bouleversements actuels pourraient rouvrir la voie à une participation canadienne crédible au redéploiement énergétique du continent européen. Dans un contexte où l’Europe cherche des partenaires fiables à long terme, le Canada dispose encore de ressources, de savoir-faire et d’alliés pour jouer un rôle clé.
Selon un article de Kate Abnett, publié par l’agence Reuters et relayé dans le Globe and Mail, la Commission européenne présentera ce mardi un plan visant à interdire, d’ici la fin de 2027, toutes les importations de gaz naturel et de gaz naturel liquéfié (GNL) en provenance de Russie. L’objectif : inscrire dans la législation l’engagement pris après l’invasion de l’Ukraine en 2022 de couper les ponts avec le principal fournisseur gazier du continent.
Une législation contournant les vetos prorusses
Pour éviter que la Hongrie et la Slovaquie, encore dépendantes du gaz russe, ne bloquent cette initiative, la Commission européenne utilisera une base légale permettant l’adoption à la majorité qualifiée des États membres et du Parlement européen, plutôt qu’à l’unanimité comme pour les sanctions. Ce contournement juridique est nécessaire pour faire avancer une rupture énergétique historique.
Ces deux pays continuent d’importer du gaz par gazoduc, et affirment qu’un arrêt brutal des livraisons entraînerait une flambée des prix. Toutefois, la Commission entend sécuriser le processus avec des délais de transition et des garanties contractuelles, notamment en invoquant la clause de force majeure pour annuler légalement les contrats avec la Russie sans pénalités.
Un calendrier précis et juridiquement contraignant
Le document interne obtenu par Reuters précise que l’interdiction entrerait en vigueur progressivement :
- 1er janvier 2026 : interdiction des nouvelles importations de gaz et GNL russes.
- 17 juin 2026 : fin de validité des contrats à court terme signés avant juin 2025.
- 1er janvier 2028 : fin des importations dans le cadre des contrats de long terme.
Des entreprises européennes comme TotalEnergies ou l’espagnole Naturgy disposent encore de contrats les liant à la Russie jusque dans les années 2030. Cette réforme leur permettrait de s’en dégager sans poursuite.
En parallèle, les terminaux de GNL européens ne pourront plus offrir de services aux clients russes, et toutes les entreprises devront déclarer leurs contrats gaziers aux autorités nationales et européennes.
Une dépendance encore bien réelle
« Environ 19 % du gaz européen provient encore de Russie, via le gazoduc TurkStream et des livraisons de GNL – contre environ 45 % avant 2022. La Belgique, la France, les Pays-Bas et l’Espagne font partie de ceux qui importent encore du GNL russe. »
Cette citation tirée de l’article de Kate Abnett illustre l’ampleur du défi. Malgré les efforts, la Russie reste un fournisseur significatif, ce qui donne au projet européen une dimension aussi symbolique que stratégique.
Le Canada à la croisée des chemins
Pour le Canada, ce réalignement représente une nouvelle occasion à ne pas manquer. Sous le gouvernement Trudeau, plusieurs projets de terminaux GNL sur la côte Atlantique — qui auraient pu fournir directement l’Europe — ont été écartés ou abandonnés, jugés incompatibles avec les objectifs climatiques du gouvernement. Pourtant, des provinces comme le Nouveau-Brunswick, la Nouvelle-Écosse et Terre-Neuve possèdent des capacités portuaires qui pourraient être mises à profit avec un minimum d’investissements.
L’arrivée d’une nouvelle direction politique à Ottawa — ou simplement une révision des priorités stratégiques — pourrait repositionner le Canada comme acteur énergétique fiable, à l’image de la Norvège ou des États-Unis. Les entreprises canadiennes, quant à elles, disposent déjà de l’expertise et des ressources pour livrer du GNL sur des marchés exigeants et éloignés.
Une sortie du gaz russe… et une porte ouverte aux alliés
En somme, l’Union européenne ne se contente plus de sanctions ciblées : elle institutionnalise la rupture énergétique avec la Russie, en y mettant des balises légales irréversibles. Pour le Canada, c’est un signal clair : les Européens cherchent de nouveaux fournisseurs à long terme, stables, politiquement alignés et technologiquement matures. Reste à savoir si Ottawa répondra enfin à l’appel, ou si cette nouvelle opportunité suivra le même sort que les précédentes — celui d’un rendez-vous manqué.