Par Nicolas Rioux, étudiant à la Maitrise en Droit (LL.M.) à l’Université d’Ottawa.
Hier après-midi, la Cour d’appel du Québec a tranché : Mike Ward doit verser 35 000$ à Jérémy Gabriel pour des blagues « discriminatoires » proférées à son endroit lors d’un de ses one man show. Quelques heures plus tard à peine, Ward annonçait son intention de porter la décision en appel à la Cour suprême et affirmait préférer faire de la prison que de payer la somme. Ce jugement marqué d’une forte dissidence ne semble qu’être la pointe de l’iceberg dans ce litige.
Le recours initialement intenté par Jérémy Gabriel portait sur l’article 10 de la Charte des droits et libertés de la personne qui interdit toute distinction, exclusion ou préférence fondée sur un handicap. La première et deuxième étape de l’analyse dans une telle procédure sont à se demander si effectivement Mike Ward a opéré une distinction, exclusion ou préférence qui est fondée sur le handicap de Jérémy Gabriel. La majorité s’empêtre d’entrée de jeu lorsqu’elle sort la carte de l’égalité réelle.
L’égalité réelle est un concept reconnu en droit canadien selon lequel un traitement similaire en apparence peut être injuste s’il entraîne des inégalités pratiques entre deux classes d’individus. Par exemple, si un emploi requiert comme critère d’embauche de mesurer 6 pieds minimum, cette norme en apparence applicable à tous tendra à fortement écarter les femmes, ce qui sera considéré comme discriminatoire. Ce concept sera utilisé par la majorité afin de faire une distinction entre les blagues faites à l’endroit de Jérémy Gabriel et celle faites aux autres personnalités publiques dans le numéro à l’origine du litige. Le fait que Ward rie de plusieurs autres individus ne serait alors pas suffisant pour conclure qu’il n’a pas opéré de différence de traitement envers Gabriel.
Comme l’exprime à merveille la juge dissidente, Ward n’a pas décidé de parler de Gabriel en raison de son handicap, mais plutôt parce qu’il est une personnalité publique et que son statut public est intimement lié à ce handicap. De la même façon, on ne saurait considérer comme une différence de traitement un commentaire sur le poids d’un homme qui se vante publiquement dans les médias être l’homme le plus obèse au monde. D’ailleurs, la très grande majorité des personnalités publiques mentionnées dans le numéro de Ward en question ont fait l’objet de blagues à caractère physique. Ces seuls constats permettaient théoriquement de faire gagner Mike Ward. Toutefois, il y a plus.
La troisième et dernière étape de l’analyse consiste à évaluer si la distinction fondée sur le handicap (pour autant qu’il y en ait une) a eu pour effet de détruire ou de compromettre le droit à la pleine égalité dans la reconnaissance et l’exercice d’un droit ou d’une liberté de la personne. C’est ici qu’on pondère le droit à la liberté d’expression de Mike Ward et le droit à la dignité de Jérémy Gabriel. À cet égard, le juge de première instance aura fait deux erreurs majeures en utilisant le concept d’égalité plutôt que de dignité dans son analyse et en utilisant un critère subjectif plutôt qu’objectif dans son appréciation.
Pour apprécier cette troisième étape, il faut se demander si une personne raisonnable aurait conclue que les propos de Mike Ward portaient atteinte à l’exercice en pleine égalité du droit à la dignité de Jérémy Gabriel. L’arrêt Whatcott nous rappelle à cet effet l’importance du contexte dans l’interprétation des mots. Une personne raisonnable aurait certainement compris les figures de style derrière le numéro que ce soit l’exagération, la généralisation abusive ou l’absurdité. Le contexte du spectacle d’humour noir permettait à quiconque de comprendre que les propos tenus ne visaient qu’à dépasser l’entendement dans un but humoristique. Les propos de Mike Ward ne visaient certainement pas à alimenter des stéréotypes envers les personnes handicapées et à susciter une haine envers eux. L’auditoire l’avait bien compris.
Reste maintenant à voir si la Cour suprême acceptera d’entendre la cause. Il serait fort souhaitable qu’elle le fasse car cette décision est fort inquiétante et constitue un dangereux précédent. À la lumière de ce jugement, du moment qu’un humoriste lance une blague touchant à un motif de discrimination prévu dans la Charte, cette blague ne se justifie que si elle promeut la recherche de la vérité, l’épanouissement personnel, le développement démocratique ou l’intérêt public. Il s’agit d’une pente glissante qui risque malheureusement d’inciter les humoristes à censurer leurs numéros de façon préventive. Est-ce que les propos de Mike Ward étaient diffamatoires? La question est tout autre, mais rien dans ses propos ne méritaient d’être perçus comme de la discrimination du point de vue juridique. On aura indûment restreint sa liberté d’expression pour interdire les blagues de mauvais goût.
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