Minéraux critiques : l’industrie automobile européenne suspend des lignes de production face aux restrictions chinoises

L’industrie automobile européenne fait face à une onde de choc provoquée par la décision de la Chine de suspendre l’exportation de nombreuses terres rares et aimants spécialisés. Des usines de pièces automobiles sur le continent ont temporairement suspendu leur production, tandis que le constructeur allemand BMW admet que des segments de son réseau d’approvisionnement sont affectés par des pénuries croissantes. C’est ce que rapportent Victoria Waldersee (Berlin), Marie Mannes (Stockholm) et Hakan Ersen (Francfort) dans une dépêche de Reuters, avec une rédaction centrale assurée par Josephine Mason à Londres.

Une décision stratégique de Pékin

La Chine a annoncé en avril une restriction à l’exportation d’un large éventail de terres rares – matériaux critiques pour l’industrie automobile, l’aéronautique, les semi-conducteurs et l’armement. Produisant près de 90 % de l’offre mondiale, Pékin exerce ainsi une pression redoutable sur les chaînes d’approvisionnement mondiales.

Cette décision s’inscrit dans une stratégie plus large de représailles commerciales face aux tarifs douaniers imposés par le président américain Donald Trump, mais les restrictions s’appliquent à l’échelle mondiale. Selon Reuters, ces tensions sont devenues un levier dans le bras de fer sino-américain, mettant en lumière le rôle central de la Chine dans la transition énergétique et technologique.

L’Europe impactée de plein fouet

L’association européenne des équipementiers automobiles, CLEPA, a confirmé que plusieurs lignes de production ont été arrêtées en raison de la pénurie. L’organisation souligne que, depuis avril, seules 25 % des demandes de licences d’exportation ont été approuvées. Le reste des demandes, selon CLEPA, est souvent rejeté pour des « motifs procéduraux », parfois variables selon les provinces chinoises, avec des exigences de divulgation de données sensibles sur la propriété intellectuelle.

CLEPA met en garde contre de nouvelles interruptions d’activité dans les trois à quatre prochaines semaines si la situation n’évolue pas rapidement.

BMW, de son côté, a indiqué que si ses propres usines fonctionnent encore normalement, plusieurs de ses fournisseurs sont désormais touchés. Volkswagen a précisé avoir reçu des informations selon lesquelles certains sous-traitants chinois ont pu obtenir des licences, sans pour l’instant constater de ruptures d’approvisionnement. Mais les inquiétudes demeurent.

Course à l’indépendance technologique

Face à cette vulnérabilité, plusieurs constructeurs et fournisseurs ont entrepris de développer des moteurs électriques nécessitant peu ou pas de terres rares. BMW, par exemple, utilise des moteurs sans aimants pour sa nouvelle génération de véhicules électriques, bien qu’elle continue d’avoir besoin de terres rares pour des composants secondaires comme les essuie-glaces ou les lève-vitres.

Des fournisseurs comme ZF ou BorgWarner travaillent également sur des alternatives, mais les coûts élevés de ces solutions freinent leur adoption à grande échelle. Wolfgang Weber, PDG de l’association allemande ZVEI (industrie électrique et numérique), avertit que certaines entreprises n’ont que quelques semaines de stocks. « Les entreprises se sentent abandonnées par les responsables politiques et tentent parfois de résoudre la situation directement en Chine », a-t-il déclaré par courriel à Reuters.

Autoliv, le plus grand fabricant mondial d’airbags et de ceintures de sécurité, a indiqué ne pas être encore touché par la crise, mais son PDG Mikael Bratt a tout de même mis sur pied une cellule de crise.

Tensions commerciales et diplomatiques

L’escalade commerciale entre la Chine et les États-Unis rebat les cartes du commerce mondial. Les restrictions sur les terres rares s’ajoutent aux nouvelles séries de tarifs imposées par Donald Trump, qui a relevé certains droits de douane jusqu’à 145 % avant de les réduire en raison de secousses sur les marchés financiers. Le président américain espère ainsi forcer Pékin à des concessions pour réduire le déficit commercial et relocaliser la production.

Une discussion entre Trump et le président chinois Xi Jinping est prévue cette semaine, avec les exportations de terres rares comme sujet central. Trump a déclaré sur les réseaux sociaux mercredi que Xi était « TRÈS DUR, ET EXTRÊMEMENT DIFFICILE À NÉGOCIER », soulignant la fragilité de l’accord commercial récemment conclu.

Une vulnérabilité systémique révélée

Cette nouvelle crise révèle, une fois de plus, la dépendance stratégique de l’Occident à l’égard de la Chine pour des matières premières critiques. Alors que la transition énergétique repose en grande partie sur des technologies nécessitant ces matériaux, la vulnérabilité des chaînes d’approvisionnement devient un enjeu économique et géopolitique majeur. Il est de plus en plus évident que l’autonomie industrielle ne pourra se construire sans réévaluation des politiques commerciales, minières et environnementales à l’échelle continentale.

Toutes les informations de cet article sont rapportées par Victoria Waldersee, Marie Mannes, Hakan Ersen, Josephine Mason et Emelia Sithole-Matarise pour l’agence Reuters, publiées le 4 juin 2025.