Normalisation du radicalisme : la CBC monte aux barricades pour les Antifas

Le 8 octobre 2025, la CBC a diffusé un épisode du balado Front Burner, animé par Jayme Poisson, intitulé What is Antifa, really? — un entretien d’une trentaine de minutes avec Mark Bray, universitaire américain et auteur de Antifa: The Anti-Fascist Handbook (2017). Sous des apparences pédagogiques, cette émission constitue un exercice d’idéologisation d’une rare transparence : on y présente la mouvance Antifa non seulement comme un simple héritage de la résistance au fascisme européen, mais comme une réponse légitime à la « menace autoritaire » que représenterait Donald Trump. À travers ce cadrage, la CBC ne se contente pas de diffuser un point de vue militant : elle l’avalise, en lui conférant la respectabilité académique et morale d’une cause humaniste.

De l’héroïsme à la justification idéologique : la rhétorique de la résistance recyclée

Le discours de Mark Bray s’articule autour d’une analogie historique : puisque le fascisme a jadis émergé au sein de régimes démocratiques (Mussolini, Hitler), il serait illusoire de croire que la démocratie libérale suffit à le prévenir ; d’où la nécessité d’une « militance antifasciste » en marge des institutions. Ce raisonnement, récurrent depuis une décennie dans les milieux anarchistes, repose sur un anachronisme flagrant : il transpose les conditions de l’Europe des années 1930 à la réalité pluraliste et juridiquement encadrée de l’Amérique contemporaine.

Dans cette perspective, l’antifascisme cesse d’être une vigilance morale pour devenir une légitimation d’actions extra-institutionnelles, voire violentes. Bray décrit Antifa comme « un ensemble de pratiques » plutôt qu’un groupe organisé : une manière commode d’éluder toute responsabilité collective, tout en revendiquant un pouvoir d’action direct contre les « ennemis politiques ». L’argument selon lequel « Antifa n’est pas une organisation » a souvent servi de paravent à des réseaux capables de coordonner des manifestations violentes, des campagnes de doxing et des attaques ciblées contre des militants de droite ou des forces de l’ordre.

Ce déplacement rhétorique — du collectif vers le comportement — permet à l’interviewé d’excuser la violence tout en la présentant comme inévitable : « Il faut parfois mettre son corps entre les fascistes et leurs victimes », dit-il, comme si les rues de Portland ou de Washington regorgeaient de milices néonazies prêtes à tuer.

Le récit inversé : la criminalisation du conservatisme et la canonisation de l’extrême gauche

L’angle choisi par Front Burner relève d’une inversion systématique des responsabilités. L’émission s’ouvre sur la désignation d’Antifa comme organisation terroriste par l’administration Trump, pour ensuite déployer toute la conversation autour des « risques » d’un tel décret pour la démocratie. Loin d’interroger les justifications de cette mesure — les émeutes, les incendies, les agressions contre des civils et des policiers — Jayme Poisson se contente d’y voir une « menace autoritaire » digne des pires heures de l’histoire.

Dans cette construction narrative, le gouvernement américain devient le fasciste, et les groupes radicaux, les résistants. Ce glissement sémantique n’est pas anodin : il renverse la charge symbolique de la violence politique. Les partisans d’Antifa sont désormais présentés comme les héritiers d’une tradition héroïque, quand leurs adversaires — réels ou imaginaires — sont assimilés à l’ombre de l’Hitlérisme.

Aucune mention n’est faite des multiples actes criminels commis par des militants « antifascistes » au Canada et aux États-Unis, ni du fait que la mouvance s’organise en réseaux transnationaux partageant des tactiques communes (désinformation, infiltration de manifestations, sabotage de propriété publique ou privée). L’absence totale de mise en contexte, conjuguée à l’usage constant de l’euphémisme, traduit une volonté de protection idéologique plutôt qu’un souci de vérité journalistique.

L’immunité morale du radicalisme : quand la violence devient prophylaxie politique

Le passage le plus troublant de l’entrevue demeure sans doute celui où Bray soutient que la confrontation physique peut être une forme de « prévention » : selon lui, il faut « traiter chaque petit groupe d’extrême droite comme le noyau possible d’un nouveau régime nazi ». Une telle logique absolutiste ouvre la porte à toutes les dérives : si tout adversaire idéologique peut devenir Hitler demain, alors toute violence préventive devient moralement légitime aujourd’hui.

Ce raisonnement illustre le cœur du paradoxe antifasciste : combattre un totalitarisme hypothétique par des moyens totalitaires bien réels. L’argument moral se retourne sur lui-même : au nom du refus du fascisme, on s’autorise à suspendre les règles libérales — liberté d’expression, pluralisme, présomption de légitimité de la parole opposée. C’est exactement le terrain sur lequel ont prospéré les régimes qu’Antifa prétend combattre.

Or, la CBC, en tant que diffuseur public, ne s’en distancie jamais. Aucune question critique n’est posée ; aucun contre-exemple n’est évoqué ; aucune distinction n’est faite entre la résistance clandestine sous Mussolini et les militants masqués qui, en 2020, incendiaient des commerces à Portland. En laissant l’idéologue exposer sa thèse sans contradiction, le service public se fait relais de propagande.

La fascination institutionnelle pour l’« antifascisme »

Cette indulgence médiatique s’inscrit dans une tendance plus large de la culture institutionnelle canadienne : la sanctuarisation de la gauche radicale. Depuis 2017, la CBC, Radio-Canada et plusieurs universités publiques ont multiplié les segments valorisant l’« antifascisme » comme expression de la démocratie militante. On y célèbre les « alliances » entre Antifa et les mouvements pour la justice raciale, on minimise la radicalisation idéologique et on occulte les liens organiques entre ces milieux et certains groupes anarchistes violents.

Cette fascination repose sur un malentendu moral : croire que la violence de gauche serait toujours défensive, quand celle de droite serait par essence oppressive. L’idée même de « violence vertueuse », déjà omniprésente dans les années 1970, refait surface, légitimée par des universitaires en quête de reconnaissance morale.

Le cas de Mark Bray en est emblématique : son livre de 2017 a servi de manuel officieux dans plusieurs campus nord-américains, contribuant à naturaliser le vocabulaire de la « résistance » permanente et de la paranoïa antifasciste. Ce discours, en polarisant l’espace politique autour d’un ennemi imaginaire, a paradoxalement nourri le discrédit de la gauche.

L’échec intellectuel d’un antifascisme devenu réflexe

Historiquement, l’antifascisme avait une légitimité morale : il désignait la lutte contre des régimes totalitaires réels, incarnant la terreur d’État et la négation du droit. Mais transposé dans des démocraties libérales où la liberté d’expression et l’alternance politique sont garanties, il se vide de sens et devient posture.

En 2025, près de dix ans après Charlottesville, l’invocation constante du spectre fasciste sert surtout à consolider une hégémonie idéologique. L’ennemi n’est plus le fascisme, mais le conservatisme ; plus l’État autoritaire, mais l’opinion dissidente. En érigeant la contestation « antifasciste » en critère de vertu civique, la gauche médiatique s’enferme dans une tautologie morale : tout ce qui s’oppose à elle est fasciste ; tout ce qui la soutient est antifasciste.

Cette inflation du langage politique appauvrit le débat public. Elle rend impossible toute discussion honnête sur les dérives de l’activisme ou sur la légitimité du recours à la force. Surtout, elle contribue à une cécité collective : en projetant le mal absolu sur l’adversaire, on perd la capacité de reconnaître les germes d’autoritarisme dans son propre camp.

Moralisme sans examen de conscience

L’épisode de Front Burner illustre un glissement inquiétant : celui d’un service public censé informer vers un rôle de gardien idéologique. Sous couvert de pédagogie historique, la CBC endosse un discours militant qui nie la symétrie fondamentale des extrêmes : l’intolérance et la violence ne changent pas de nature selon le drapeau qu’elles arborent.

En choisissant d’« humaniser » Antifa, Jayme Poisson et Mark Bray ne font pas œuvre d’analyse ; ils participent d’une entreprise de réhabilitation. L’antifascisme qu’ils invoquent n’a plus rien à voir avec celui des résistants européens : c’est une rhétorique d’intimidation, une morale d’exclusion, un instrument de pouvoir.

Qu’un radiodiffuseur public en soit le porte-voix n’est pas seulement une faute journalistique : c’est un symptôme du désarmement intellectuel d’une société qui confond la vertu avec le sectarisme, et la vigilance démocratique avec la haine sanctifiée.

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