Le Journal de Montréal a présenté en première page ce 6 juillet un dossier sur l’état de nos routes intitulé « On se contente de peu ».
Un constat qui ne surprendra personne : nos routes sont en mauvais état et les réparations supervisées par le ministère des Transports les ramènent à un niveau à peine acceptable.
Pourtant, il y a des bitumes adaptés à notre climat et les ingénieurs et les constructeurs de routes ont suffisamment d’expertise pour choisir les asphaltes les plus performants selon les conditions locales.
L’expert consulté par le Journal de Montréal affirme que les normes du ministère ne sont pas assez exigeantes.
La question, c’est : pourquoi? Le dossier n’apporte pas vraiment de réponse.
Je considère que la paresse et la corruption des fonctionnaires y sont pour quelque chose.
Des lois sévères existent déjà sur l’attribution des contrats publics, mais sont contournées par des politiciens et des fonctionnaires tentés de se laisser corrompre.
On pourrait proposer des commissions d’enquête et d’autres lois pour renforcer l’intégrité dans l’attribution des contrats publics. Le scepticisme de la population ne diminuera pas avec ces lois. Les politiciens nous convaincront-ils qu’ils peuvent sérieusement réduire la corruption dans l’octroi des contrats publics? En fait, ils savent eux-mêmes que le « grand ménage » a des effets limités dans le temps.
Des lois supplémentaires, bien intentionnées, allongeraient la liste d’infractions à vérifier auprès de milliers d’entreprises. De cette inflation législative résulteront toujours plus de surveillance et de réglementation. À prévoir : délais, erreurs administratives et contestations judiciaires. Pour gérer ce terrain de jeu, on nous annoncera l’ajout d’une bureaucratie importante.
Les fonctionnaires dépensent l’argent du contribuable. La plupart sont honnêtes, mais dilapider cet argent par incompétence, paresse ou malhonnêteté nuit rarement à leur carrière. Plus fondamentalement, les fonctionnaires sont corruptibles parce qu’ils détiennent un monopole. La corruption existe parce qu’il y a des bonbons à distribuer.
Les corrupteurs ne créent pas vraiment beaucoup de réseaux : tous les contacts existent déjà dans cette relation monopolistique. La mafia n’a qu’à y plonger ses racines. Créez un interdit et il en résultera un marché noir, avec les mêmes acteurs.
Il faut assainir ce marais en faisant de la nature humaine un levier plutôt qu’un problème. Les solutions autoritaires régleront peu de choses.
Je suggère de résister au fantasme de la répression toute puissante qui fait le lit de la désillusion.
Il est temps de réfléchir à des incitatifs qui encouragent la nature humaine à pencher du bon côté plutôt que de compter sur des contraintes bureaucratiques irréalistes.
Je pense ici à une approche qui permettrait au secteur privé de se surveiller lui-même en se voyant confier la propriété des ouvrages qu’il réalise.
Pour une véritable économie de propriétaires
Imaginons un instant que nous responsabilisions les acteurs du système en attribuant des mandats à des entrepreneurs et à des consortiums qui deviendraient propriétaires, en tout ou en partie, des ouvrages construits et seraient donc responsables de leur entretien, par exemple des autoroutes ou des hôpitaux.
L’entrepreneur privé qui sera propriétaire de l’ouvrage qu’il construit ne lésinera pas sur les moyens de faire respecter les coûts, les délais et la qualité, car ce sera son intérêt de le faire pour ne pas perdre la rentabilité de son investissement. À la différence d’un PPP, l’ouvrage lui appartiendra.
L’entrepreneur-propriétaire ne se laissera pas dépouiller par la mafia ou par qui que ce soit. S’il manque 2 mm de bitume sur l’autoroute, il fera recommencer le travail. Il aura intérêt à repérer les magouilles car c’est son profit qui sera en jeu.
La qualité de construction des ouvrages qui resteraient aux mains du privé maintiendra les frais d’entretien dans une fourchette acceptable et permettra à ces propriétaires de les revendre plus tard à un prix intéressant.
Une telle approche, qui pourrait commencer par des projets-pilotes, reposerait davantage sur le principe de l’utilisateur-payeur, ici on parle de péages ou d’autres frais modérateurs, plutôt que sur le payeur de taxes. Les politiciens hésitent à permettre les péages, car ils sont dangereux électoralement, même si l’expérience internationale montre que les contribuables en sortent gagnants à moyen terme. Voir la théorie des choix publics[1].
Une approche progressive et réaliste
Cette approche fondée sur la propriété est réaliste si elle est réalisée progressivement. Des mécanismes transparents devraient présider au choix des consortiums de construction par les pouvoirs publics, seule étape où des pressions indues pourraient s’exercer. L’État déterminerait les normes de qualité, mais vu qu’il ne rachèterait pas l’ouvrage, l’intérêt de corrompre des fonctionnaires diminuerait.
Cette approche est appliquée en l’Europe, même en France, où il se construit de plus en plus d’autoroutes et d’hôpitaux privés financés en partie par des péages ou des frais modérateurs. Différents ouvrages routiers sont construits en vertu de concessions de service public, comme le magnifique viaduc de Millau, ainsi que des ouvrages de traitement des eaux, d’assainissement ou de réseaux informatiques.
Pour en arriver là au Québec, cela impliquerait une évolution de notre culture politique et donc, de moins s’en remettre à un État tout puissant et très »gouvernemaman ».
Donnons le pouvoir de propriété aux acteurs des travaux plutôt qu’à l’État. Avec pour résultat des contrepoids efficaces qui se maintiendront avec le temps.
[1] Selon la théorie des choix publics, les politiciens ont leur propre intérêt (ainsi que la bureaucratie étatique), à la différence d’approches plus traditionnelles qui voit l’État comme un ordonnateur relativement neutre. Cette théorie a été mise au point par John Buchanan, Prix Nobel d’économie et associé à l’institut économique de Montréal, jusqu’à son décès en 2013.
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