Nouveau PLC, ancien PLC ; du pareil au même?

Les médias et les analystes partisans du PLC vont insister sur la rupture entre le Parti libéral de Justin Trudeau et celui de Mark Carney.

Tandis que le bagage académique de Trudeau se résumait à un baccalauréat en arts et littérature anglaise doublé d’un baccalauréat en éducation lui ayant permis d’enseigner à l’école secondaire, Carney détient un doctorat en économie qui l’a amené à devenir gouverneur de la banque du Canada puis gouverneur de la banque d’Angleterre. On insistera beaucoup sur ces références pour asseoir sa crédibilité. De toute évidence, il n’est pas difficile d’avoir des compétences mieux adaptées à l’arène politique que celles d’un professeur d’art dramatique – bien qu’à l’heure de la personnalisation du politique, les talents de comédien peuvent s’avérer utile (comme l’ont démontré les 9 dernières années).

Il ne faudrait toutefois pas conclure que la nomination d’un nouveau chef modifie drastiquement l’inclinaison du parti – il modifie essentiellement son image. Celle décontractée de Trudeau tombait à point quand il s’agissait de trancher avec la rigueur et l’autoritarisme allégué d’un Stephen Harper. L’image de Carney tombe à point pour trancher avec l’amateurisme bouffon de Trudeau, mais demeure une façade pour le parti. Ça ne veut pas dire que le chef de parti n’exerce aucune influence, mais que la machine politico-médiatique d’une société politiquement analphabète mise beaucoup sur l’image et les impressions.

Le PLC compte plusieurs membres influents qui travaillent en coulisses pour soutenir et orienter ses activités. Ces individus forment le noyau opérationnel et stratégique du parti. Ils ne sont pas sous les feux de la rampe comme les députés ou les ministres, mais leur influence est déterminante pour la cohésion et la performance du parti.

Azam Ishmael occupe la fonction de Directeur national du parti depuis 2017, bien que sa participation au parti remonte au moins à 2015 [et potentiellement avant]. Le Directeur est nommé par le PM, donc Justin Trudeau. Son rôle consiste à superviser le personnel permanent, coordonner les campagnes électorales et mettre en œuvre les décisions stratégiques du parti.

Stephen Bronfman occupe le poste de trésorier du PLC depuis 2016. Il a été nommé à ce poste sous le leadership de Justin Trudeau, qui l’avait déjà recruté pour diriger la collecte de fonds lors de sa campagne à la chefferie en 2013 et pour l’élection fédérale de 2015. Bronfman est également reconnu comme un conseiller stratégique informel auprès des chefs du PLC, notamment Justin Trudeau et potentiellement désormais Mark Carney. Son réseau familial (la dynastie Bronfman) et ses liens personnels avec Trudeau renforcent son poids au sein de l’establishment libéral. On rappellera que selon des informations révélées en 2017 dans le cadre des Paradise Papers, Bronfman et l’ancien sénateur libéral Leo Kolber, auraient mis en place des arrangements financiers pour dissimuler 60 millions de dollars US dans des paradis fiscaux.

Carney a nommé Marco Mendicino comme chef de cabinet intérimaire. Alors ministre de la Sécurité publique (poste qu’il a occupé de 2021 à 2023), Mendicino a supervisé l’invocation de la Loi sur les mesures d’urgence par Justin Trudeau pour mettre fin aux manifestations du « Convoi de la Liberté » en février 2022.

Bien qu’environ 7 ministres Libéraux aient exprimé l’intention de ne pas se représenter aux prochaines élections, il ne s’agit pas d’annonces juridiquement contraignantes. Les candidats doivent déposer leur candidature environ 21 jours avant le scrutin. Jusque-là, changer d’avis reste possible. D’ailleurs, la ministre Libérale Anita Anand n’a pas tardé à revenir sur sa décision de se retirer de la vie politique, tout en endossant Mark Carney.

Quelles sont les priorités de Carney? Il focalise sur la décarbonation et le net-zéro. Il a d’ailleurs été Envoyé spécial des Nations Unies pour l’action climatique et les finances de 2019 jusqu’en février 2025. Quand il était Vice-président et responsable ESG chez Brookfield Asset Management (de 2020 à 2025), il a priorisé la transition vers une économie net-zéro, en misant sur les énergies renouvelables et la décarbonation, notamment avec le lancement du controversé Brookfield Global Transition Fund (BGTF).

Certains reprochent au BGTF d’être une forme de « greenwashing » (verdissement de façade), où les investissements sont davantage motivés par des rendements financiers que par un réel impact environnemental. Ses détracteurs accusent Carney d’utiliser la rhétorique climatique pour enrichir Brookfield et ses investisseurs. Le BGTF ferait la promotion de la transition vers le net-zéro tout en investissant dans des secteurs à fortes émissions. Ils y voient une hypocrisie: Carney critique l’exploitation des combustibles fossiles au Canada comme les sables bitumineux, tout en ayant soutenu des industries similaires ailleurs dans le monde via Brookfield.

La députée conservatrice Leslyn Lewis fait partie de ceux qui l’accusent d’avoir déclaré que Brookfield était à zéro émission nette et avait neutralisé la pollution, tout en sachant que le BGTF finançait des oléoducs et l’exploitation de charbon au Moyen-Orient.

Et ce n’est pas tout. La décision de déménager le siège social de Brookfield de Toronto à New York, en décembre 2024, a été vue comme une trahison de l’économie canadienne. Lors du débat à la chefferie du 25 février 2025, Carney a affirmé que la décision avait été prise après son départ. Toutefois, il demeurait président du conseil jusqu’en janvier 2025. Une lettre aux actionnaires du 4 novembre 2024 montre que le déménagement était effectif avant que Carney ne quitte son poste.

Quand Carney annonce son intention d’abandonner la taxe carbone du PLC afin de la remplacer par un programme incitatif qui récompenserait les Canadiens qui font des choix écologiques, il y a lieu d’être sceptique. Ça peut ressembler à une manœuvre politique pour séduire les électeurs mécontents de cette taxe très impopulaire. Parce que dans son livre « Value(s): Building a Better World for All » (paru en 2021), Carney a vanté les mérites de la tarification du carbone qu’il considère comme « l’une des initiatives les plus importantes ».

C’est plus inquiétant quand on considère que le concept d’incitatif avec récompense fait penser à un système de crédit social à la chinoise. Au chapitre 16, Carney écrit: « La focalisation sur l’atteinte du net-zéro peut catalyser d’énormes investissements privés, soulignant l’importance fondamentale des politiques de cadrage. Les politiques de cadrage sont des réglementations, des règles, des mandats, des interdictions, des taxes et des subventions qui orientent vers une économie à faible émission de carbone ». En d’autres mots, ces « politiques de cadrage » ont un potentiel de glissement vers la contrainte comportementale. La volonté Libérale de dicter ses choix à la population a été clairement annoncée avec l’interdiction de vente de nouvelles voitures à essence d’ici 2035. Carney ne changera pas de cap. [C’est Donald Trump qui a signé un décret exécutif qui inclut l’interdiction aux États d’interdire la vente de voitures à essence, annulant ainsi des plans comme celui de la Californie pour 2035].

Avec Mark Carney en poste, la guerre tarifaire avec les États-Unis risque de s’envenimer. Il a exprimé l’intention d’introduire des tarifs sur certains produits importés de pays ne disposant pas de taxes carbone équivalentes aux initiatives canadiennes.

Mark Carney entretient des liens étroits avec le Forum Économique Mondial (FÉM) et son président fondateur, Klaus Schwab. Il a d’ailleurs siégé au conseil d’administration du FÉM, contribuant ainsi aux discussions sur des questions économiques mondiales. En 2020, quand Klaus Schwab a lancé l’initiative « Great Reset » en réponse à la crise du COVID-19, Mark Carney a soutenu cette initiative, soulignant l’importance d’intégrer des valeurs humaines dans le système économique et, bien sûr, de la nécessité de transiter vers une économie à faibles émissions de carbone. Mark Carney est aussi membre de cercles élitistes comme le Group of Thirty (G30) et le Groupe Bilderberg aux réunions annuelles duquel il a participé en 2011, 2012 et 2019. Lors de son mandat en tant que gouverneur de la Banque d’Angleterre, l’une de ses premières actions fut d’appeler McKinsey pour examiner les opérations de la banque centrale. Avec ces affiliations, Carney est encore plus engagé dans l’initiative mondialiste que Trudeau. Voilà la mise à niveau du PLC avec son nouveau chef.

D’un poster boy choisi uniquement pour son nom de famille, le parti Libéral passe à un individu plus ruseur de l’écosystème mondialiste. On peut percevoir Carney comme un Justin Trudeau qui parle moins bien le français, doublement déterminé à décarboner le Canada (s’il se peut), tout en restant fidèle au néo-progressisme woke du Parti libéral. Car il a annoncé que le Canada n’emboîtera pas le pas aux USA en s’engageant dans une guerre contre le wokisme: « Nous continuerons à valoriser l’inclusion ».

Sous Carney, le clivage idéologique avec les États-Unis va rester le même qu’avec Trudeau. Sa vision du monde est tout aussi diamétralement opposée à celle de Trump. Les deux pays ont déjà eu des frictions commerciales, mais elles n’ont jamais été juxtaposées à des désaccords idéologiques aussi profonds.

Comme pour signaler qu’il est prêt à s’engager dans une course électorale, Carney a un slogan pour dire qu’il n’a pas besoin de slogans: « We need solutions not slogans; action not indifference » (des solutions pas des slogans, de l’action pas de l’indifférence). C’est presque digne de Kamala Harris.

Ophélien Champlain

Recent Posts

Itinérance au Québec : des idées innovantes, mais avec leurs limites

L’itinérance au Québec touche désormais toutes les régions. Autrefois concentrée principalement à Montréal et, dans…

18 heures ago

Renforçons nos liens avec l’Europe : le potentiel insoupçonné du commerce transatlantique.

Outre les réponses plus directes aux menaces américaines, comme les contre-tarifs et le versement discutable…

2 jours ago

Saga Northvolt : le BS corporatif, ça suffit !

Le gouvernement du Québec doit revoir sa politique économique de fond en comble. Il perdra…

2 jours ago

Vu des États-Unis : «Le Canada a-t-il appris de sa décennie perdue?»

Texte du comité éditorial du Wall Street Journal publié le 10 mars 2025 sur leur…

3 jours ago

Mark Carney, un PM compromis?

Ces derniers temps, l'attention s'est portée sur Mark Carney, notamment sur le fait qu'il possède…

4 jours ago