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Pandémies et mondialisation : de la croissance à l’émergence de nouvelles menaces

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Par Yann Roshdy

Qu’est-ce qu’une ville? Un emplacement sur une carte? Une zone délimitée par des bornes et des frontières géographiques? Une définition dans un dictionnaire? De la même manière, comment peut-on décrire la « mondialisation »? Est-ce une idéologie, une stratégie des capitalistes ou un mauvais coup des méchants « néo-libéraux »? Pour comprendre le fonctionnement d’une pandémie il faut tout d’abord mettre en perspective ces deux réalités. Une ville, c’est un système complexe unissant des infrastructures et une population afin de maximiser le fameux cycle de la croissance économique : production, distribution/approvisionnement, consommation. La mondialisation? Un long processus qui unifie par des réseaux humains et la technologie l’ensemble de l’humanité dans un énorme éco-système aux proportions planétaires. Mettons les deux ensembles : la mondialisation permet l’essor de deux dynamiques : 1) la densification des villes à des niveaux jamais atteint dans l’histoire de l’humanité, 2) une augmentation de la mobilité des individus tout autant jamais atteint dans l’histoire. Ces deux réalités permettent d’augmenter dans des proportions exponentielles le nombre de contacts humains dans la population. Cette soupe de diversité humaine amène des gains de productivité immenses et fait mousser l’innovation, mais ces gains viennent avec des risques : les pandémies sont dans la liste de ces risques systémiques.

« The two dominant components that constitute a city, its physical infrastructure and its socioeconomic activity, can both be conceptualized as approximately self-similar fractal-like network structures. Fractals are often the result of an evolutionnary process that tends toward optimizing specific features, such as ensuring that all cells in an organism or all people in a city are supplied by energy and information, or maximizing efficiency by minimizing transportation times or times for accomplishing tasks with minimal energy. (…)

« All socioeconomic activity in cities involves the interaction between people. Employement, wealth creation, innovation and ideas, the spread of infectious diseases, health care, crime, policing, education, entertainment, and indeed, all of the pursuits that characterize modern Homo sapiens and are emblematic of urban life are sustained and generated by the continual exchange of information, goods, and money between people. The job of the city is to facilitate and enhance this process by providing the appropriate infrastructure such as parks, restaurants, cafés, sports stadiums, cinemas, theaters, public squares, plazas, office buildings, and meeting halls to encourage and increase social connectivity.

« Consequently, all of the socioeconomic metrics that reflect such activity (…) are proportional to the number of links, or interactions that take place, between people within the city. »

– Geoffrey West, Scale, Toward a science of cities

En décembre 2019 dans un marché du Wuhan un être humain est infecté d’un virus originaire d’un réservoir microbien d’un animal exotique – un pangolin ou une chauve-souris sont les deux animaux suspects. La même mutation qui permet la transmission animal-humain, par malchance, supporte aussi la transmission humain-humain. Le porteur commence à répandre le virus pendant plusieurs jours. Avant que les médecins de la ville-région découvrent l’éclosion de ce coronavirus (Covid-19), l’individu a déjà contaminé des dizaines de personnes. Les autorités minimisent la situation en attendant la fin des fêtes entourant le nouvel an chinois et des millions d’individus fourmillent hors du Wuhan afin d’aller voir leur famille. Le nombre de cas, le nombre de cas sérieux et le nombre de morts progressent de manière exponentielle. Le régime réagit début janvier : 1) construction d’hôpitaux de guerre, 2) confinement du Wuhan, puis de toute la région, et finalement de tout le pays , en plus des frontières, 3) conversion des membres du parti communiste chinois en surveillants de quarantaine. L’économie est à l’arrêt et le monde est sous le choc. Trop tard, la contagion se transmet en Corée du Sud, en Italie, en Iran, au États-Unis : la pandémie débute en janvier.

Les autorités sont lentes à réagir. On croit pouvoir contenir l’afflux de cas avec des confinements « fortement suggérés » et des mesures préventives. En plus du choc de la pandémie se joint la stupéfaction : il existe des porteurs asymptomatiques, le virus peut survivre sur des surfaces pendant plusieurs heures, plusieurs jours (plastique et métal) et peut même se transmettre de manière secondaire par la voie fécale-objet-mains-visage. Pendant ce temps, les dénégateurs de gauche et de droite se gaussent en gang. « Vous paniquez pour rien c’est juste une petite grippe! » disent-ils en coeur.

Juste une petite grippe

« The origins of the 1918-1919 pandemic have been contested. Jordan (1927) identified the British military camps in the United Kingdom (UK) and France, Kansas and China as the three possible sites of origin. China in the winter 1917-1918 now seems the most likely region of origin and the infection spread as previously isolated populations came into contact with one another on the battlefield of WW1 (Humphries 2013). By May 1918 the virus was present in eastern China, Japan, North Africa, and Western Europe, and it spread across entire US. By August 1918 it had reached India, Latin America, and Australia (Killingray and Phillips 2003; Barry 2005). The second, more virulent, wave took place between September and December 1918; the third one, between February and April 1919, was, again, moderate.

« Data from the US and Europe make it clear that the pandemic had a unusual mortality pattern. Annual influenza epidemics have a typical U-shaped age-specific mortality (with young children and people over 70 being most vulnerable), but age-specific mortality during 1918-1919 pandemic peaked between the age of 15 and 35 years (the mean age for the US was 27,2 years) and virtually all deaths (many due to viral pneumonia) were in people younger than 65 (Morens and Fauci 2007). But there is no consensus about the total global toll : minimum estimates are around 20 million, the World Health Organization put it at upward of 40 million people, and Johnson and Mueller (2002) estimated it at 50 million. The highest total would be far higher the the global mortality caused by the plague in 1347-1351. Assuming that the official US death toll of 675,000 people (Crosby 1989) is fairly accurate, it surpassed all combat death of US troops in all of the wars of the 20th century.

« (…) British data for combined influenza and pneumonia mortality weekly between June 1918 and May 1919 show three pandemic waves. The smallest, almost symmetric and peaking at just five deaths/1,000, was in July 1918. The highest, a negative binomial peaking at nearly 25 deaths/1,000 in October, and an intermediate wave (again a negative binomial peaking at just above 10 deaths/1,000) in late February of 1919 (Jordan 1927).

« Perhaps the most detailed reconstruction of epidemic waves traces not only transmission dynamics and mortality but also age-specific timing of deaths for New York City (Yang et al. 2014). Between February 1918 and April 1920, the city was struck by four pandemic waves (also by a heat wave). Teenagers had the highest mortality during the first wave, and the peak then shifted to young adults, with total excess mortality for all four waves peaking at the age of 28 years. Each wave was spread with a comparable early growth rate but the subsequent attenuations varied. The virulence of the pandemic is shown by daily mortality time series for the city’s entire population : the second wave’s peak reached 1,000 deaths per day compared to the baseline of 150-300 deaths. (…) »

– Vaclav Smil, Growth, Nature

Comment les virus fonctionnent

Les pathogènes comme les virus doivent traverser trois barrières d’immunité : 1) la peau, 2) la flore microbienne normale constituant notre « microbiote » et 3) les premières lignes de défense de notre système immunitaire – globules blancs et anticorps sanguins. Lors d’une pandémie, nous n’avons pas de défense (0 anticorps) ou presque; les virus se répandent ainsi très rapidement. Pour se reproduire, un virus se lie à une membrane cellulaire par des protéines situées sur sa capsule, puis le virus diffuse son matériel génétique dans la cellule, ce qui la fait prendre contrôle des processus d’assemblage de protéines. Le virus se reproduit ainsi jusqu’à la mort de la cellule, relâchant encore plus de virus dans l’organisme. Après une phase de croissance exponentielle, notre système immunitaire réussit à trouver une antidote : des anticorps qui s’accrochent aux particules virales afin de les détruire ou les chasser de l’organisme. Les symptômes baissent et quand l’organisme est libéré de toute la charge virale tout revient lentement vers la santé.

Plus spécifiquement, le virus Covid-19 est un virus créant une pneumopathie. Dans plus de 80% des cas les symptômes sont absents ou légers, dans environ 15% des cas nous avons des symptômes modérés de difficultés respiratoires et dans environ 5% des cas, le virus provoque un syndrome aigu de détresse respiratoire, au point de nécessiter une intubation et l’assitance respiratoire du patient par une machine-respirateur. Le virus est mortel dans environ 2-3% des cas et le R0 se situe autour de 3 – donc un proteur contaminera en moyenne trois personnes. Pour terminer, dans certains cas l’infection virale est suivie d’une pneumonie opportuniste via une infection bactérienne. Le virus n’est pas « une petite grippe comme les autres. » Les facteurs de risques et d’aggravation pour le Covid-19 inclus : l’âge supérieur à 60 ans, le tabagisme, l’obésité, les maladies chroniques, une grossesse, la prise de médications comme la cortisone ou les anti-inflammatoire non-stéroïdiens, les personnes immuno-supprimées et les jeunes enfants.

Le cycle d’une pandémie

« WHO (World Health Organization) divides the progression of a pandemic into six phases (Rubin 2011). First, an animal influenza virus circulating among birds or mammals has not infected humans. Second, the infection occurs, creating a specific potential pandemic threat. Third, sporadic cases or small clusters of disease exist but there are no community-wide outbreaks. Such outbreaks mark the fourth phase. In the next phase, community-level outbreaks affect two or more countries in a region, and in the sixth phase outbreaks spread to at least one other region. Eventually the infections subside and influenza activity returns to levels seen commonly during seasonal outbreaks. Clearly, the first phase has been a recurrent reality, and the second and third phases have taken place repeatedly since 1997. »

– Vaclav Smil, Growth, Nature

Nous sommes donc en face d’une pandémie au stade exponentiel dans plusieurs pays. De la transmission animal-humain aux éclosions dans plus de 100 pays en moins de trois mois. Nous sommes dans des territoires jamais explorés en terme de portée planétaire. La présence sur toute la planète implique que la crise durera encore plusieurs mois, voir jusqu’à l’année 2021. Deux scénarios sont possibles : 1) la percée du virus dans l’écosystème des épidémies saisonnières, en conflit avec les souches d’influenza qui sévissent à chaque année, puis 2) la pandémie globale en trois, quatre vagues ou jusqu’à ce qu’un vaccin soit développé, testé et distribué. Mais ce n’est pas tout car le monde des pathogènes est aussi celui des mutations : entre ici et mars 2021 plusieurs mutations pourraient rendre le virus plus contagieux ou plus létal. L’incertitude englobe toutes les prévisions à long terme.

L’analyse du virus

« … the SIR model (susceptible, infected, recovered), occupies a central position in epidemiology.

« Given the model’s origins and given that recovery occurs more naturally in diseases, we describe the model using the spread of a disease as an example. To avoid overcomplicating the mathematics, we assume that people who recover reenter the susceptible pool, that being cured of the disease does not create future imunity.

« Epidemiologists keep separate track of the probability of contact and the probability of spreading, so we will as well. Contact rates depend on how the disease passes from one person to another. HIV spreads through sexual contact. Diphteria spreads through saliva. Flu viruses spread through the air. Thus flu has a higher contact probability than diphteria, which has a higher contact probability than HIV. Once contact occurs, the probability of spread also varies. Pertussis (whooping cough) transfers to another person more readily that SARS.

« The SIR model produces a tipping point at what is known as the basic reproduction number (R0), the ratio of the probability of contact times the probability of spread to the probability of recovery. A disease with a R0 greater than 1 can spread through the population. Disease with a R0‘s less than 1 dissipate. In this model, the information, or in this case the disease, need not spread to the entire relevant population. Whether or not it does depends on the value of R0. Hence, government agencies like Centers for disease Control rely on estimates of R0 to guide policy. »

– Scott E. Page, The Model Thinker, Boradcast, Diffusion, and Contagion

Suite à la première vague dans le Wuhan les épidémiologistes de toute la planète ont mis ensemble leurs données afin de décrire les attributs du covid-19 et le modéliser. Les données permettent l’utilisation des modèles afin de suivre l’évolution de la contagion : 1) prévoir le peak d’épidémie, 2) cibler les interventions et 3) connaître l’impact des mesures de prévention, de confinement, les traitements ou la protection donnée par le vaccin. La modélisation du virus permet aussi de trouver un vaccin ou d’influencer le choix des traitements anti-viraux.

Les mesures à prendre

« Simulations of an influenza pandemic in Italy by Rizzo et al (2008) provide a good example of the possible impact of the two key control measures, antiviral prophylaxis and social distancing. In their absence, the epidemic on the peninsula would follow a Gaussian curve, peaking about four months after the identification of the first cases at more than 50 cases per 1,000 inhabitants, and it would last about seven months. Antivirals for eight weeks would reduce the peak infection rate by about 25%, and social distancing starting at the pandemic’s second week would cut the spread by two-thirds. Economic consequences of social distancing (lost school and work days, delayed travel) are much more diffcult to model.

« As expected, the diffusion of influenza virus is closely associated with population structure and mobility, and superspreaders, including healthcare workers, students and flight attendants, play a major role in disseminating the virus locally, regionally, and internationally (Lloyd-Smith et al. 2005). The critical role played by schoolchildren in the spatial spread of pandemic influenza was confirmed by Gog et al. (2014). They found that the protracted spread of American influenza in fall 2009 was dominated by short-distance diffusion (that was partially promoted by school openings) rather than (as is usually the case with seasonal influenza) long-distance transmission.

« Modern transportation is, obviously, the key superspreading conduit. Scales range from local (subways, buses) and regional (trains, domestic flights, especially high-volume connections such as those between Tokyo and Sapporo, Beijing and Shanghai, or New York and Los Angeles that carry millions of passengers a year) to intercontinental flights that enable rapid global propagation (Yoneyama and Krishnamoorthy 2012). In 1918, the Atlantic crossing took six days on a liner able to carry mostly between 2,000 and 3,000 passengers and rew; now it takes six to seven hours on a jetliner carrying 250-450 people, and more than 3 millions passengers now travel annually just between London’s Heathrow and New York’s JFK airport. The combination of flight frequency, speed, and volume makes it impractical to prevent the spread by quarantine measures : in order to succed they would have to be instantaneous and enforced without exception. »

– Vaclav Smil, Growth, Nature

Nous connaissons la plupart des risques derrière le covid-19, la trajectoire probable du nombre de cas et de morts, mais le plus important : nous connaissons les limites de notre système de santé. Les limites en termes de ressources matérielles, de ressources humaines et d’infrastructures pour contenir, traiter et confiner les patients infectés. Ce sont ces limites pratiques, dans la quantité et la localisation de ces ressources, qui doivent être prises en compte dans l’adoption d’une stratégie de santé publique.

Qu’est-ce que la santé publique?

Dans la hiérarchie des institutions il existe deux domaines primaires qui tronquent toutes les hiérarchies : 1) la santé publique et 2) la sécurité publique. En cas de pandémies ou d’attaques terroristes biologiques, chimiques ou nucléaires, c’est la santé publique qui devient maître des clés. Les protocoles, lois et plans de contingences forment une matrice de processus qui se mettent en mouvement dès que les acteurs clés donnent le feu vert. Ces plans sont déjà écrits depuis l’épidémie du SRAS il y a dix ans, comme dans tous les états où le virus avait sévit. La santé publique a pour tâche de transmettre l’information entre les acteurs et rassembler les informations à un poste de commandement : c’est le donneur-d’ordres qui assigne les missions. Si la santé publique est efficace les ordres se transmettent rapidement au point d’être opérationnalisés le plus rapidement possible. Dans le cas inverse, les mesures seront inefficaces. Le pire qui pourrait arriver serait l’afflux de cas sérieux à un même moment dans la journée et où les professionnels de la santé devront se mettre en processus de triage – quand le nombre de ressources est inférieur au nombre de patients – ce qui peut faire doubler ou tripler le taux de mortalité du au virus, en plus de mettre les professionnels de la santé dans l’obligation de devoir choisir entre intuber un jeune homme père de famille de 30 ans et une grand-mère de 65 ans. Des choix que personne ne voudrait faire.

En conclusion

La mondialisation permet la densification et la mobilité, mais elle permet aussi l’émergence de pandémies. Les risques de la pandémie sont difficilement envisageables ou modélisables : il faut faire des analyses de risque et être capable de prévoir des processus exponentiels difficiles à reconnaître avant qu’il soit trop tard. La santé publique a beau être préparée le mieux possible, sa stratégie reste à la hauteur des moyens mis en place ainsi que du respect par la population des consignes de bases. À chaque sortie de la maison, à chaque fois que vous croisez quelqu’un, vous vous mettez à risque en plus de tous ceux que vous croiserez ensuite. Le nombre de contacts est exponentiel et quand le stade exponentiel est enclenché il n’y a que deux moyens pour passer le pic épidémique : 1) quand 50 à 70% de la population aura été contaminé et aura les anticorps au virus dans leur sang et 2) quand il n’y aura plus eu de transmission dans le pays pendant 24 jours. De même, quand un vaccin sera disponible il sera possible d’envisager les meilleures stratégies de vaccination dans la population encore une fois grâce aux modèles des épidémiologistes  : comme en vaccinant les professionnels de la santé, les étudiants ou les personnes à risque.

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