Depuis des lunes, il ne s’est pas passé une journée sans que les médias alertent sur le plus grand « danger » de notre époque : la pénurie de main-d’œuvre. Des dizaines de reportages à la télé, dans les journaux, ont montré des employeurs exaspérés de trouver des travailleurs pour pourvoir les nombreux postes disponibles. Mais depuis un mois ou deux, voilà que le discours a changé : les employeurs sont très satisfaits d’avoir enfin trouvé des travailleurs « temporaires ». En quoi les préoccupations d’une partie de la population étaient fondées? Quelques réflexions sur ce virage des médias québécois.
Il est rentré en peu de temps plus de 500 000 travailleurs dits « temporaires », sans compter les étudiants étrangers et les demandeurs d’asile qui ont eu un permis de travail. Tous mis ensemble, il est probable que nous approchions de 700 000 personnes. Ce qui n’est pas rien dans une province de maintenant 9 millions de personnes.
Vous irez au McDonald’s, vous aurez parfois du mal à vous faire servir en français. Tim Hortons? N’en parlons pas. Sans compter les industries spécialisées qui ont eu la permission de contourner les traditionnelles exigences linguistiques grâce à la CAQ. Le discours qui jusqu’à présent alertait sur les « dangers » pour la pérennité des entreprises au Québec a maintenant fait place à des employeurs qui s’estiment satisfaits.
Radio-Canada, comme TVA, met de l’avant ces travailleurs « temporaires » qui ont sauvé les restaurants, les abattoirs comme les usines aux conditions de travail peu attirantes. S’il y avait précisément une « pénurie de personnel », c’est que les conditions offertes n’étaient pas à la hauteur des exigences des Québécois. Ceux-ci connaissent leurs droits, et veulent les faire respecter. Ce qui est trop pour une certaine classe de mauvais entrepreneurs au Québec.
Pendant longtemps, le Québec était la capitale du chômage en Amérique du Nord. Les Québécois devaient se battre pour avoir un emploi loin d’être idéals. Les gens devaient aussi faire des pieds et des mains pour conserver leur « job » et satisfaire les patrons. Mais tout à changé lors de l’arrivée sur le marché du travail des milléniaux. Ceux-ci ne voulaient pas être des esclaves comme leurs parents.
La pandémie a démontré l’un des grands paradoxes de notre époque : il est parfois plus intéressant de ne rester à rien faire, que de trimer dur pour un salaire pas si bon que ça. Les personnes sur l’aide sociale savent c’est quoi. C’est ce qu’on appelle la trappe à pauvreté (ou d’inactivité). Les gens font le calcul des autres auxquelles ils ont le droit, et comparent s’ils avaient un emploi au salaire minimum.
Avec le compte à la fin, ils voient qu’ils gagnent seulement quelques centaines de dollars de plus par mois, qu’en restant sur les aides. De plus, se déplacer engendre des coûts, faire garder ses enfants également. Donc, comment reprocher à ces gens de demeurer « inactifs »? Bien, la pandémie a montré ce paradoxe à grande échelle.
Pourquoi travailler dans une usine aux conditions de travail médiocres, si c’est pour se détruire la santé? Aussi bien vivre de l’aide d’urgence du gouvernement. Ou d’aller vendre des téléphones cellulaires dans un kiosque. Les emplois les moins payants sont souvent les plus durs. C’est qu’à force de ne pas avoir amélioré la productivité, modernisé la machinerie et les procédures, les patrons se sont tirés dans le pied.
Maintenant, que les jeunes sont conscients de la difficulté de nos emplois et des bas salaires que nous offrons, que faire? Les patrons se disent alors : faisons venir des gens qui n’ont rien à perdre. De pays en crise économique, ou en guerre. Peu importe. Ils ne devraient pas se plaindre si on veut les faire travailler de nuit sans compensation. Ou bien si nous volons des heures ici et là sur leur chèque.
Les employés ne sont plus en mesure de négocier de meilleures conditions. Les endroits jadis en crise de recrutement croulent maintenant sous les CV. Les médias ne le disent pas ouvertement, mais nous vivons une crise économique. Les gens consomment moins. Pourquoi croyez-vous que de nombreux restaurants ferment? Bien, c’est parce que les gens n’ont plus les moyens d’acheter un trio Big Mac à 20$.
Des économistes mettaient en garde : si vous faites venir trop de travailleurs étrangers, vous ferez baisser les salaires ou les conditions de travail. Les libéraux et autres chambres de commerce ont dit que c’était des balivernes. Ou bien que nous étions xénophobes d’oser croire ces oiseaux de malheur. Cela s’est finalement produit. Notre société fonctionne selon les lois de l’offre et de la demande. S’il n’y avait pas assez de travailleurs intéressés par tel type de travail, il fallait augmenter les conditions. Mais quand les gens se bousculent pour un emploi chez McDo, les conditions ne font que baisser. Êtes-vous surpris? Non, pas vraiment.
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