Peut-on être catho-laïc dans une société qui pousse l’effacement de toutes les religions?

La question peut surprendre. Pourtant, elle ne manquera pas de provoquer et de choquer deux camps que tout oppose. D’un côté les tenants d’une laïcité pure et dure qui fait la guerre à toutes les religions, et de l’autre, les partisans d’une laïcité dite « ouverte » qui accepte le port de signes ostentatoires. Oui, car il y a un troisième camp qui souhaite se faire une place dans le débat sur la présence des signes religieux : oui au patrimoine et à l’histoire du catholicisme au Québec, mais oui également à une laïcité affirmée de la part des individus à qui l’on demande une pratique privée de leur culte. Voici quelques réflexions dans un débat qui n’en finit plus.

En France, deux scandales éclatèrent en quelques semaines à propos de statues religieuses de l’espace public. D’un côté, Saint-Louis-de-France, roi canonisé qui se battra en terre sainte, sur la place d’une ancienne école qui sera transformée en théâtre. Pourquoi ils souhaitent la retirer? Car elle contreviendrait à « la charte de la laïcité » de la CAF (Caisse d’allocations familiales) qui finance en partie le projet. Bien au-delà de l’aspect religieux du personnage, il demeure quand même un symbole de l’histoire du pays. Dans une autre histoire, en Vendée cette fois-ci, ce sera une statue de Saint-Michel Archange qui sera déboulonnée au nom de la « séparation de l’Église et de l’État ».

Pourquoi parler de ces histoires en France? Parce qu’elles font écho à un débat de société qui touche la société québécoise depuis des décennies, et qui s’est particulièrement manifesté depuis le mandat de Lucien Bouchard lorsqu’il était premier ministre. On a ainsi commencé à retirer les croix de certaines écoles primaires, à en renommer d’autres pour des noms sans âme. Sans compter bien évidemment la déconfessionnalisation des commissions scolaires. Auparavant, les commissions scolaires étaient soit catholiques ou protestantes, depuis elles sont basées sur le régime linguistique.

Mais le symbole le plus frappant du retrait de nos symboles nationaux fut le crucifix à l’Assemblée nationale du Québec lors du dépôt de la loi 21 sur la laïcité. Cette demande fut adressée à François Legault par Québec solidaire. Pour obtenir quoi au final? Une rétractation des qsistes sur la laïcité. Ils considèrent depuis leur congrès après l’élection de 2018 comme étant discriminatoire l’interdiction des symboles religieux pour les fonctionnaires en position d’autorité.

D’un côté, nous effaçons nos symboles historiques qui ont fait l’histoire du Québec, mais nous souhaitons encourager des pratiques religieuses qui contreviennent au principe de la laïcité défendue par bon nombre de québécois. Le retrait des symboles catholiques par le Parti Québécois a été fait pour inciter les communautés culturelles non catholiques à appuyer davantage l’indépendance. Pour des résultats que nous connaissons aujourd’hui.

Contrairement à une fausse croyance répandue par le camp des inclusifs, le taux d’appui des communautés culturelles à un Québec indépendant n’a jamais changé, charte des valeurs ou non. Il est toujours demeuré très très faible, autour des 10%. Donc à qui nous croyons nous adresser en retirant les symboles catholiques de l’espace public, qui ne faisaient jusque-là de mal à personne?

Il est possible d’assumer l’héritage catholique du Québec, et d’être en faveur de la laïcité au sein des institutions et des services publics. Par exemple, nous pouvons mieux protéger les églises qui sont souvent les grandes œuvres architecturales de nos quartiers et villages. Elles sont le reflet d’un passé pas si lointain qui voyait se mettre en place autour d’elle une vie communautaire complète avec l’école du quartier, les ligues sportives, les associations de femmes, la Saint-Vincent-de-Paul…

De plus, ces églises ont été construites par le travail et les donations en matériaux ou en argent de nos ancêtres. Il serait dommage aujourd’hui de s’en prendre à ce qu’il reste au nom de la laïcité! Tout comme il est parfaitement possible d’exiger le retrait des signes religieux des employés en position d’autorité dans la fonction publique.

Les fêtes aussi sont un sujet de discorde. De nos jours, et certains le regretteront, Noël et Pâques sont des fêtes sécularisées qui sont marquées en famille lors de la fin de l’année, ou bien pour célébrer l’arrivée du printemps autour d’un brunch. Il est donc inutile de vouloir les retirer au nom de la laïcité. Les gens feront bien ce qu’ils veulent de leurs congés. S’ils veulent aller à l’église, c’est leur droit. Tout comme de sortir prendre l’air ou de manger en famille. Aucune obligation religieuse n’est ainsi imposée à la population.

Les nouveaux arrivants qui exigent déjà des congés religieux à leur arrivée doivent comprendre qu’il y avait une société ici avant eux. Que l’on ne peut faire du passé table rase, car une nouvelle religion avec ses croyances arrive dans l’espace public. D’ailleurs, dans beaucoup de pays musulmans, les chrétiens qui souhaitent célébrer Noël sont harcelés ou intimidés. L’idée n’est pas de faire comme ces pays qui ne respectent pas les droits de la personne, mais de voir que si on dit oui à une nouvelle religion, il faudra dire oui aux autres et cela deviendra ingérable.

Les catholiques n’ont pas l’obligation d’aller à la messe tous les dimanches, pas plus que les musulmans ne sont dans l’obligation de faire cinq prières par jour (qui peuvent être regroupée), pas plus qu’une femme musulmane n’est obligée de porter le voile. Les pratiques religieuses sont généralement flexibles, et si on demande beaucoup aux catholiques, il est normal d’en exiger autant des autres.

Cela dit, le Québec s’est bâti qu’on le veuille ou non avec l’Église Catholique. Si l’Église a commis des fautes, cela n’empêche pas que l’on doit beaucoup de nos services publics actuels à l’État dans l’État que nous, les Québécois se sont donnés quand tout était perdu après l’acte d’union. Cette Église a permis aux Québécois de survivre, d’où le terme de survivance pour qualifier cette période entre 1840 et 1960. Que serait devenu le Québec sans le petit clergé qui s’est souvent battu contre Rome? Les Lionel Groulx et Antoine Labelle? Même si nous pouvons ne pas croire ou ne pas pratiquer, il serait injuste de nier leur contribution à ce que nous sommes aujourd’hui. Une société solidaire avec un État-providence et un peuple qui existe toujours 263 ans après la conquête anglaise de 1760.

Anthony Tremblay

Après des études en politique appliquée à l'Université de Sherbrooke, Anthony Tremblay s'est intéressé notamment aux questions sociales telles que le logement ou l'itinérance, mais aussi à la politique de la Chine, qu'il a visité et où il a enseigné l'anglais. Il vit à Sherbrooke avec ses deux chiens.

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