Dans une longue publication Facebook sortie dimanche sur sa page publique, Pierre Karl Péladeau reproche au gouvernement Legault et au ministre Fitzgibbon de s’être ingérés à tort dans l’affaire du quotidien en faillite le Soleil.
Selon Péladeau, les pressions mises sur Desjardins de la part du gouvernement du Québec sont déplacées : « l’intimidation pratiquée cette semaine envers Desjardins par François Legault milite en faveur du fait d’une position autoritaire de ce dernier envers les rédactions ».
Avec raison, Péladeau souligne les failles du modèle d’affaires du Soleil, un quotidien ancré à gauche et en perte de lectorat qui refuse tout de même de se recentrer, demandant plutôt au gouvernement d’y injecter l’argent des contribuables sans souci du retour.
Le texte complet de Pierre Karl Péladeau :
« L’avenir du Soleil et des quotidiens régionaux
Le premier ministre du Québec et son ministre de l’Économie et de l’Innovation, que nous aurions cru attentifs à la pérennité des entreprises, à la solidité des plans d’affaires, à la lutte contre le gaspillage des fonds publics et à l’intérêt général des Québécoises et des Québécois, se sont récemment lancés dans une opération de tordage de bras et d’intimidation envers Desjardins en les menaçant de revoir les crédits d’impôt auxquels Capital régional et coopératif Desjardins (CRCD) a droit en vertu de sa mission d’investissement et de développement économique, crédits également accessibles à d’autres fonds comme celui de la FTQ (Fonds solidarité FTQ) et de la CSN (Fondaction).
J’interpelle le premier ministre et le ministre de l’Économie et de l’Innovation à l’effet qu’il serait plus utile pour le Québec et ses médias qu’ils refassent leur travail et leur analyse. Il aurait lieu qu’ils reconsidèrent la proposition de Québecor présentée au début du processus.
Évidemment, je n’ai aucune opposition au mouvement coopératif. Bien au contraire. J’ai toujours soutenu et défendu le mouvement coopératif, particulièrement Desjardins dont je suis membre depuis 1985, notamment à l’ancienne Caisse Saint-Louis-de-France qui se trouvait sur la rue Roy. Je me permets aussi d’ajouter que l’ancien président du Mouvement Desjardins, Claude Béland, avait accepté d’être un administrateur de mon mandat sans droit de regard alors que j’étais chef de l’opposition officielle à l’Assemblée nationale.
Le premier ministre et le ministre de l’Économie et de l’Innovation devraient savoir que la presse écrite, partout en Occident, fait face à des défis industriels qui dépassent la nature des entreprises qui les exploitent. Que ce soit un OBNL, une coopérative, une entreprise publique ou privée, la presse écrite fait face aux mêmes enjeux.
Depuis 2010, au Québec, le nombre de journaux locaux et régionaux a diminué de 28 %, passant de 200 à 147. Les revenus des éditeurs de journaux ont diminué de 38 % de 2008 à 2016, alors qu’entre 2009 et 2015 environ 43 % des emplois liés à la presse écrite ont disparu (source : L’avenir de la presse écrite et de l’information au Québec, MCE Conseils, mai 2016).
Au Canada, les quotidiens ont perdu 40 % de leurs revenus entre 2006 et 2015. Plus de 300 journaux depuis 2010 ont fermé leurs portes, une trentaine de quotidiens et environ 275 hebdos (source : Statistique Canada 2016).
Aux États-Unis, les emplois liés à la presse écrite ont chuté de 48 % entre 2008 et 2018, passant de 71 000 à 38 000 personnes, ayant pour conséquence de réduire le poids de la presse écrite. En effet, en 2008, la presse écrite comptait pour 66 % de l’ensemble des emplois dans le secteur de l’information, alors qu’elle ne représentait que 44 % en 2018 (source : Pew Research, juillet 2019). Entre 2004 et 2018, ce sont près de 1 800 journaux imprimés, soit plus de 60 quotidiens et 1 700 hebdomadaires, qui sont disparus (source : UNC, The Expanding News Desert, 2018).
Même le quotidien du Parti Communiste Français (PCF) fondé par Jean Jaurès s’est déclaré en cessation de paiement. Sans parler de l’Unita, le journal du PCI fondé par Antonio Gramsci aujourd’hui disparu.
Un tel constat ne peut que révéler que la consolidation des activités des entreprises de presse est incontournable pour des raisons fort simples que d’anciens dirigeants d’entreprise, comme François Legault et Pierre Fitzgibbon, veulent ignorer volontairement malgré les evidences d’une industrie en fort déclin.
Cette position est d’autant plus étonnante qu’ils ont tous les deux soutenu publiquement l’achat d’Air Transat par Air Canada, transaction qui illustre parfaitement la consolidation, mais mauvaise cette fois-ci parce que l’industrie de l’aviation civile est en croissance. Triste et curieuse logique qui aura comme conséquence de voir un siège social disparaître, des emplois de grande qualité et à haute rémunération se perdre, et des augmentations des prix des billets d’avion et des forfaits vacances que les Québécoises et les Québécois devront assumer.
Le premier ministre et le ministre ne se souviennent peut-être pas de Tricofil ? Il est possible d’avoir les meilleures intentions du monde, mais la réalité économique est incontournable. Pour assurer la pérennité d’une activité, et Dieu sait qu’ils le savent, la rentabilité d’une entreprise est fondamentale. Pour ce faire, des actifs, des économies d’échelle, de l’expertise, des moyens financiers et tant d’autres composantes sont requises.
Et, ce n’est pas parce que Québecor est plus « smatte » que les autres, mais elle a fait le choix, il y a de nombreuses années, de développer et de miser, avec succès, sur son modèle d’affaires axé sur les synergies.
Québecor est la seule à pouvoir procurer un tel environnement et de tels actifs nécessaires à la rentabilité. Elle détient :
– des imprimeries qui feraient épargner 5 M$ à GCM;
– un réseau de distribution qui générerait des économies de 3 M$;
– des infrastructures de direction et de systèmes qui dégagerait 8 M$;
– des locaux dans chacune des villes où les quotidiens de GCM sont présents, libérant ainsi 2 M$.
Ce sont plus de 18 M$ en réduction de coûts. Une seule organisation serait en mesure de provoquer un tel rendement. Elle serait également la mieux placée pour affronter les géants étrangers du Web, phénomène ravageur, en valorisant toutes les plateformes de diffusion et engendrer les revenus requis à la pérennité de toute entreprise. Ainsi, Québecor ferait de cette activité un projet rentable plutôt qu’un canard boiteux nécessitant l’argent des contribuables que François Legault aura décidé de faire financer par l’ensemble des contribuables.
Combien François Legault est-il prêt à mettre de l’argent des contribuables pour financer les pertes d’exploitation d’un plan d’affaires qui mène à l’impasse ? 20, 25, 50 M$ ? Se pense-t-il plus « smatte » que l’ensemble de l’industrie qui voit les fusions se multiplier comme celle des deux plus importants groupes américains que sont New Media Investment Group et Gannett, éditeur du USA Today, ou encore d’être en mesure d’éviter des difficultés financières telles que celles du plus grand éditeur canadien, Postmedia, dont les pertes des cinq dernières années cumulent 611 M$ ?
Laissez de côté votre orgueil et vos parties de bras de fer, monsieur le premier ministre, et prenez plutôt les justes mesures pour protéger l’information régionale comme nationale. La précipitation improvisée du gouvernement compromet aussi l’indépendance des salles de rédaction puisque ces dernières seront les affidées du gouvernement pour assurer le financement des pertes d’exploitation qui ne manqueront pas d’être très importantes. D’ailleurs, l’intimidation pratiquée cette semaine envers Desjardins par François Legault milite en faveur du fait d’une position autoritaire de ce dernier envers les rédactions.
Il en va de la démocratie saine et vivante.«
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