Avec un réseau de 1083 km, la ville de Montréal se situe nettement au-dessus de la plupart des villes nord-américaines en termes de pistes cyclables – notamment avec 251 km de portions protégées, c’est-à-dire celles qui sont physiquement séparées par un élément matériel comme un séparateur de béton, des bollards ou une rangée de stationnement. Les bandes cyclables délimitées par des lignes peintes sur la chaussée sont comprises dans les 1083 km, mais ne comptent pas parmi les portions protégées.
Selon les recensements, la part modale du vélo (qui correspond à la proportion de tous les déplacements réalisés à vélo par rapport à l’ensemble des déplacements, et non au nombre de cyclistes) se situe autour de 3 à 4% à Montréal – et elle connaît une augmentation constante. Cette moyenne annuelle masque cependant des variations saisonnières importantes. En été, la part modale peut atteindre jusqu’à 14% dans des secteurs du centre de la ville. Par contre, elle chute considérablement pendant l’hiver en raison de la rigueur du climat.
La gestion et l’aménagement du réseau cyclable reflète l’orientation idéologique de l’urbanisme municipal. Le vélo n’est pas un simple mode de transport, c’est aussi le symbole d’un modèle de ville. Il devient un marqueur visible d’affirmation idéologique.
L’urbanisme n’est jamais neutre : il reflète des valeurs, des rapports de pouvoir, et une vision du « vivre ensemble ». Le parti Projet Montréal de Valérie Plante se situe dans l’urbanisme progressiste, plus précisément dans l’urbanisme durable/écologique. Il défend une vision anti-productiviste (qui ne sacrifie pas le bien-être ou l’environnement à la croissance), post-automobile, priorisant le climat ainsi qu’une ville inclusive et verte.
L’administration Plante investit dans l’aménagement de nouvelles pistes cyclables protégées alors que l’état de la chaussée se détériore lamentablement à la grandeur de la ville. Il faut comprendre qu’un cycliste ne circule pas uniquement sur les voies cyclables pour se déplacer du point A au point B : il emprunte aussi la voirie où circulent les automobiles et doit composer avec l’asphalte crevassé et les nombreux nids de poule. L’entretien du réseau routier devrait constituer la priorité pour une administration municipale, car la totalité des résidents en dépend.
La municipalité construit actuellement une nouvelle piste cyclable protégée sur la rue Hochelaga, dans l’est de la ville. Il est difficile de penser que l’aménagement de ces voies réponde à un réel besoin étant donné que la rue voisine, de Rouen, comporte déjà une piste cyclable. La rue Hochelaga se fait défigurer avec des plateformes en béton sur la chaussée aux intersections, qui semblent avoir comme principale fonction de réduire la circulation à une seule voie. À noter que plusieurs lignes d’autobus empruntent cette artère et que ce nouvel aménagement promet d’aggraver la congestion aux heures de pointe.
De vouloir répondre aux besoins d’une part croissante de Montréalais qui se déplacent à vélo est louable, mais il y a un problème quand l’accommodement raisonnable tombe proie à l’idéologie. Non seulement l’aménagement dépasse largement l’usage effectif, mais il importune davantage les automobilistes qu’il n’accommode les cyclistes.
Pour les militants climatiques, désormais aux postes de commande dans plusieurs arrondissements, le développement des pistes cyclables s’inscrit dans la lutte contre les émissions de gaz à effet de serre. Dans l’exemple d’Hochelaga, comme dans bien d’autres, on penserait que l’initiative découle avant tout de l’orientation post-automobile (pour ne pas dire de la « guerre à l’automobile »), où la suppression d’espaces de stationnement apparaît comme un objectif en soi. Cette approche s’ajoute aux initiatives de verdissement et d’élargissement des trottoirs, qui réduisent déjà considérablement la capacité de stationnement.
La multiplication des pistes cyclables ne fait pas forcément l’unanimité dans la population générale, y compris parmi les cyclistes, dont bon nombre sont également automobilistes. Plusieurs cyclistes préfèrent d’ailleurs rouler sur la chaussée ordinaire plutôt que sur les pistes cyclables dites protégées ou séparées. Ils invoquent la perte de fluidité, la difficulté des dépassements, les nombreux arrêts et détours imposés par ces voies souvent mal intégrées au tracé urbain. D’autres soulignent que les pistes dites « protégées » peuvent paradoxalement accroître les risques aux intersections, où la visibilité mutuelle entre cyclistes et automobilistes diminue.
Une piste cyclable longeant une artère desservie par des autobus complique effectivement les manœuvres d’embarquement et de descente des usagers, qui doivent traverser la voie cyclable pour accéder au véhicule. Quand une piste cyclable bidirectionnelle longe une rue à double sens, automobilistes, cyclistes et piétons doivent composer avec des flux inversés et une signalisation plus complexe, augmentant les risques de confusion et de collisions.
Les aménagements cyclables de l’administration Plante reflètent moins des besoins concrets que des principes idéologiques dictés par une vision post-automobile, où le vélo est utilisé comme instrument de transformation urbaine, parfois au détriment de la praticité et de la sécurité réelle des usagers. La réélection de Projet Montréal, cette fois avec Luc Rabouin aux commandes, promet de continuer d’engager Montréal sur cette voie à un rythme effréné. Et l’aménagement cyclable n’est pas le seul dossier qui, d’un point de vue conservateur, pose question : le progressisme social et les initiatives DEI (diversité, équité, inclusion) s’inscrivent dans le même paradigme que l’écologisme urbain, où chaque décision municipale vise à traduire des valeurs idéologiques avant de répondre à des besoins pratiques immédiats.
Le parti qui forme actuellement l’opposition officielle, Ensemble Montréal avec Soraya Martinez Ferrada, envisage aussi de rajouter des pistes cyclables. Il n’y a que le parti Action Montréal de Gilbert Thibodeau qui propose de « reconfigurer ou retirer les pistes cyclables nuisibles à l’harmonie le plus rapidement possible ». Après deux mandats d’urbanisme progressiste de Projet Montréal jugés dérivants, de ralentir la cadence ne suffit pas – il faut la volonté de faire marche arrière lorsque jugé nécessaire.



